Le moins que l'on puisse dire - si l'on peut en dire quelque chose -, est que le ton du communiqué de presse du syndicat Synergie Officiers, publié hier en "soutien aux policiers de Clermont-Ferrand", est extrêmement désagréable, et peut-être même inquiétant.
Cela commence comme ceci :
SYNERGIE-OFFICIERS dénonce avec vigueur les violences commises depuis plusieurs jours à Clermont-Ferrand au prétexte de la dégradation de la santé, puis du décès, d'un individu après son interpellation par la Police.
Et cela se termine par cela :
SYNERGIE-OFFICIERS exhorte la cohorte des petits inquisiteurs de salons à s’abstenir de lyncher médiatiquement les policiers et à laisser la justice faire son travail.
SYNERGIE-OFFICIERS réfute les théories lénifiantes de la culture de l'excuse qui visent à victimiser les délinquants et à absoudre toutes les déprédations commises ces derniers jours au motif d’une colère montée artificiellement par des casseurs patentés.
Entre temps, nos syndicalistes ont cru bon de rappeler que "ce délinquant était très alcoolisé, sous l'emprise du cannabis et d’une forte dose de cocaïne lors de son arrestation, alors qu'il était dans un état d'excitation extrême et s'en était pris aux policiers en leur lançant des projectiles" et d'apporter leur "soutien aux policiers clermontois qui ont fait de leur mieux pour maîtriser un individu déchaîné par la prise de ces substances".
A l'évidence, on ne saurait suspecter le "second syndicat d'officiers de police" de vouloir par là dicter aux grands inquisiteurs de l'Inspection générale des services (IGS) les conclusions de leur enquête, ou encore de vouloir indiquer à la Justice, qu'il faut "laisser (...) faire son travail", ses décisions à venir. Il faut donc supposer que ce pressant "communiqué de presse" est, pour l'essentiel, adressé à la presse et, par-delà, à l'opinion nourrie des "théories lénifiantes de la culture de l'excuse" qu'elle propagerait...
Pourtant, à la lecture des pages quotidiennes en ligne, on n'a pas l'impression que la presse ait démérité. La plupart des médias, suivant plus ou moins les très objectives dépêches de l'AFP, ont bien donné les détails que rappelle le communiqué des officiers, et continuent d'ailleurs à les redonner dans chaque nouvel article consacré à cette affaire.
Donc tout le monde sait bien - nos policiers peuvent se rassurer - que "Wissam El-Yamni, 30 ans, était sous l'emprise de l'alcool, du cannabis et de la cocaïne lors de son interpellation dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, près d'un centre commercial du quartier de la Gauthière, alors qu'il était très excité, d'après les forces de l'ordre, et s'en était pris aux policiers, lançant des projectiles sur leur véhicule". (Extrait d'un article de La Montagne.)
Et ceux qui ne le savent pas finiront par le savoir puisque cela tourne en boucle.
On peut, cependant, se demander si le lynchage médiatique ne commence pas lorsque l'on donne certains détails sur le modus operandi de l'interpellation :
(...) Vers 2h30 du matin, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, un coup de téléphone prévient la police et les pompiers de la présence au sol d’un homme inanimé au centre commercial de la Gauthière (...). Arrivés sur les lieux, policiers et pompiers ne trouvent que quatre jeunes, assis sur un banc, raconte la Montagne. L’un deux, Wassan El-Yamni, décrit plus tard comme très excité, aurait lancé des projectiles sur la voiture de police, dont la vitre se brise à l’impact.
Une course-poursuite s’engage alors. Deux policiers de la brigade canine, appelés en renfort, finissent par interpeller le Clermontois. Selon la Montagne, l’homme (...) est alors mis au sol par le chien, menotté, placé dans le véhicule et aspergé de gaz lacrymogène. Lorsqu’il arrive au commissariat, il est inanimé. Selon le parquet, les policiers ne croient d’abord pas à son malaise. Victime d’un arrêt cardiaque, il est ranimé avant de tomber dans le coma.
Certes, tout cela - lâcher de chiens, mise au sol et aspersion de lacrymogène - peut sembler inutilement brutal. Mais cela ne saurait émouvoir que les âmes trop sensibles, et les âmes trop sensibles ne pratiquent pas le lynchage... Du reste, on leur épargne, la plupart du temps, les détails sur l'état du blessé à son arrivée à l'hôpital, dans un coma dont il n'est pas sorti. En effet les articles parcourus insistent beaucoup plus sur l’association alcool-cannabis-cocaïne que sur les constats médicaux transmis par le parquet : "une fracture des côtes, une autre du rocher orbitaire et des lésions au niveau du cou".
Très discrets, les médias ont mené assez peu d'investigations sur place, et ils reprennent tout juste ce témoignage publié par Mediapart :
Selon un habitant qui a assisté à la scène de sa fenêtre, (...) une dizaine de voitures de police seraient arrivées lors de l'immobilisation de Wissam El-Yamni. "Les policiers sont descendus, ils ont mis de la musique à fond, de la funk, et ont démuselé les deux chiens. Ils étaient chauds, ils ont fait un décompte 'Trois-deux-un go' et ils lui ont mis des coups", raconte-t-il.
(Il est possible que cet habitant du quartier ne maintienne pas son témoignage face à des enquêteurs, et cela pour des tas de raisons, mais on n'en sait rien...)
Selon toute apparence, c'est un autre témoignage qui a été diffusé sur Europe 1, et qui a été encore moins repris que le précédent :
Laure a raconté au micro d’Europe 1 que le jeune homme de 30 ans a été arrêté devant les vitrines des magasins et placé à l’arrière d’une voiture banalisée. La voiture aurait ensuite été se garer 300 mètres plus loin avant de s’arrêter à nouveau sur un parking à l’écart. C’est là que l’interpellation aurait dégénéré.
"Le jeune est sorti de la voiture. Il s’est mis à courir, même pas deux mètres. Deux messieurs sont sortis de la voiture - deux policiers -, ils ont sauté sur lui, l’ont plaqué au sol, l’ont tapé : ils lui ont donné des coups au niveau de la tête et au niveau du thorax", a-t-elle détaillé.
Laure a assuré, à deux reprises devant la police des polices, que les fonctionnaires qui ont interpellé Wissam El-Yamni "y allaient violemment avec des coups de pieds. Et celui qui était vers la tête a fini avec des coups de poings. Ça a duré cinq-dix minutes", a précisé Laure. Des propos appuyés par ceux d’une de ses voisines.
(Si l'on en croit l'incise du dernier paragraphe, ce témoignage aurait été entendu par la "police des polices".)
On voit mal Europe 1, du groupe Lagardère Active, prendre la tête de cette "cohorte des petits inquisiteurs de salons" prêts à "lyncher médiatiquement les policiers".
Cela renforce le côté troublant de ce témoignage, délivré, avec un courage certain, par l'habitante d'une cité vivant depuis quelques jours en un quasi état de siège, sur lequel peu de reportages ont été réalisés - comme si c'était tout à fait normal.
(Photo empruntée à La Montagne.)
4 commentaires:
"la France a peur !" célèbre formule a préciser néanmoins : la France a peur oui, mais de sa police !
Entre inspirer du respect ou de la peur, il semble que le choix a été fait.
Tout ça va très bien avec certains commentaires de cet article, dus aux lecteurs d'un «quotidien de référence» heureux de se situer un peu au-dessus du fond du panier.
On y retrouve avec toujours autant de plaisir ce bon Pierre-Marie Muraz, échantillon représentatif à lui tout seul.
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