jeudi 13 octobre 2011

Un accouchement dans la clandestinité

N'ayant jamais été particulièrement activiste en ce domaine, je n'y suis en général pour rien ; mais je suis souvent frappé par la superbe présence, belle et insolente, de certaines jeunes femmes en état de gravidité un peu avancée. Cet état m'étant plutôt étranger, leurs regards me conduisent parfois à évoquer mezzo voce la première voix de Trois femmes, le poème de Sylvia Plath :

I am slow as the world. I am very patient,
Turning through my time, the suns and stars

Regarding me with attention.
The moon's concern is more personal :
She passes and repasses, luminous as a nurse.
Is she sorry for what will happen ? I do not think so.

She is simply astonished at fertility.

When I walk out, I am a great event.
I do not have to think, or even rehearse.

What happens in me will happen without attention.

The pheasant stands on the hill ;

He is arranging his brown feathers.
I cannot help smiling at what it is I know.

Leaves and petals attend me. I am ready.

Traduction de Laure Vernière et Owen Leeming, pour les éditions Des femmes-Antoinette Fouque :

Je suis lente comme la terre. Je suis très patiente,
J'accomplis mon cycle, soleils et étoiles
Me regardent avec attention.
La sollicitude de la lune est plus personnelle:
Elle passe et repasse, lumineuse comme une garde-malade.
Regrette-t-elle ce qui va m'arriver? Je ne le pense pas.
Elle est tout simplement étonnée devant la fécondité.

Quand je sors, je suis un grand événement.
Je n'ai pas besoin de penser ou même de me préparer.

Ce qui se passe en moi aura lieu de toute façon.

Le faisan se dresse sur la colline;

Il lisse ses plumes brunes.

Je souris malgré moi à tout ce que je sais.

Feuilles et pétales m'accompagnent. Je suis prête.


Pas encore en Pléiade, mais enfin en Quarto.

Serait-ce trop de demander que toute femme, fut-elle dépressive, ayant choisi(*) de mettre un enfant au monde puisse ainsi, tranquillement et simplement, se dire "Je suis prête" ?

Oui, sans doute, aux yeux des tenants de la loi-c'est-la-loi-qui-est-la-loi, ce serait trop demander.

Samia Hamadou n'a pas pris la pose pour donner au monde l'image de son heureuse maternité future, et comme Christophe Barbier n'a pas "la chance" de la connaître, il n'a pu lui téléphoner afin de nous donner de ses nouvelles sur son blogue.

Si elle a été admise en urgence à l'hôpital de Lens, au huitième mois de sa grossesse, c'est qu'elle venait de tenter de se suicider en avalant deux plaquettes de médicaments.

Ahmed Hamadou, le mari de Samia, est un ancien officier de la marine algérienne. Il affirme avoir été menacé par des groupes islamistes dans son pays et il a quitté l'Algérie pour la France, en 2009, avec un visa touristique. Il s'est installé à Liévin (Pas-de-Calais) avec sa famille et il a déposé une demande d'asile politique auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Cette demande a été rejetée en mars 2010, ainsi que, fin juin 2011, l'appel introduit devant la Cour nationale du Droit d'asile. Une demande de "régularisation exceptionnelle auprès de la Préfecture du Pas-de-Calais", déposée le 12 juillet, a elle aussi été rejetée, au motif que le couple n'entrait "dans aucune des dispositions prévues par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié". La préfecture, dans la foulée, a émis, en date du 23 septembre, une double obligation de quitter le territoire français (OQTF). Selon RESF 59/62, les OQTF respectives des deux époux portent les mentions suivantes : sur celle de madame, "...d'autant plus que M a aussi une OQTF", et sur celle de monsieur, "...d'autant plus que Mme a aussi une OQTF".

Les services de la préfecture savent trouver les mots qui consolent...

Mais ils ne maîtrisent pas toujours la ponctuation :

Mardi dans la soirée [soit le lendemain de la tentative de suicide de Samia] , le préfet du Pas-de-Calais [a] décidé d'abroger les arrêtés pour une "erreur de forme", qui tiendrait à une lacune de ponctuation. Faute de virgule, une des phrases s'avérait ambiguë, impliquant que les deux fillettes du couple étaient nées dans le pays d'origine, en Algérie, contrairement aux faits. Comme l'a toujours soutenu Ahmed Hamadou, sa cadette Séréna, âgée de 2 ans, est bien née à Lens.

Cependant, madame Catherine Seguin, la directrice du cabinet du préfet, tient à préciser que "le fait que l'un des deux enfants soit né à Lens ne rend pas caduc le rejet du dossier".

En découvrant ce vice formel et en tirant très administrativement des conséquences, les services préfectoraux peuvent se permettre d'affirmer :

"Il n'y a pas pour l'instant d'arrêté de reconduite à la frontière."

Et de faire la leçon à la famille :

"La famille Hamadou dispose encore de possibilités de recours qui leur ont été notifiées dans le même courrier du 23 septembre. Mais ils ne se sont pas encore manifestés."

Tout en distillant quelques promesses, qui permettent à Nord Éclair de titrer, en une belle figure périphrastique :

La préfecture accordera une «attention particulière» à la dame enceinte expulsable qui a tenté de se suicider.

Peut-être permettra-t-on à la "dame enceinte expulsable" d'accoucher avec un peu d'espoir...

Mais ce n'est pas sûr.



(*) Ce droit de choisir, reconnu par la loi, ne peut s’exercer librement sans le maintien de centres IVG dans les hôpitaux publics.

La réouverture du centre de l'hôpital Tenon les ayant terriblement peinés, quelques mouvements d'une catholicité rétrograde avérée ont décidé de venir se montrer chaque mois devant l'hôpital et d'y réciter le rosaire. La première performance dévote a eu lieu le mois dernier, sous protection policière... La prochaine est prévue le samedi 15 octobre, à 10 h 30, et le Collectif Tenon, qui a lutté pendant 15 mois pour la réouverture de ce centre IVG, appelle de son côté à un rassemblement de protestation, rue de la Chine.

Pendant la prière, et la manifestation, le marché du samedi continuera d'accueillir les chalands, n'oubliez pas vos cabas...

4 commentaires:

Ysabeau a dit…

Bonne nouvelle la réouverture de ce service à Tenon. Jamais compris pourquoi dans un quartier aussi peuplé et populaire il avait été supprimé.

Pour le reste, on peut imaginer que la dame enceinte expulsable le sera quand son habitant l'aura été...

Guy M. a dit…

Il y a toujours des tas de fausses bonnes raisons de saine gestion pour fermer ou réduire les moyens des centres IVG. Ça doit être ce que l'on appelle administrer "en bon père de famille" (nombreuse).

La réouverture de Tenon est un symbole pour les intégristes, mais aussi pour celles et ceux qui défendent le plus simple des droits des femmes. Et c'est pour cela que la moindre des choses est de perturber la tenue de leurs séances de rosaires. On y tient à Tenon !

Rosalie a dit…

Bon, j'arrive un peu tard... Mais il me semble me souvenir que le CIVG de Tenon a été fermé suite au départ en retraite du gynéco qui le dirigeait et n'avait pas été remplacé. Bien sûr, le résultat est le même : le centre est resté fermé pendant plus d'un an. Mais quand même, c'est tellement faux-cul comme prétexte que ça mérite d'être souligné (je crois).

Guy M. a dit…

Oui, il me semble qu'il avait ce prétexte-là...

Quant aux résultats obtenus en mixant les divers prétextes, voici :

http://www.mgenrm.net/sante-droits-des-femmes/home_appel.php

(Relai médiatique :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/10/18/deux-mutuelles-denoncent-un-recul-de-l-acces-a-la-contraception-et-a-l-ivg_1590025_3224.html#xtor=RSS-3208 )