lundi 17 octobre 2011

Taches blanches de la mémoire

En octobre 1961, je venais tout juste d'entrer en sixième, interne dans un honorable établissement rouennais tenu par la congrégation des frères des écoles chrétiennes. S'y mêlaient les rejetons (mâles) de diverses catégories socio-professionnelles bien représentées au sein de la catholicité normande, et nous avions devant nous sept ans pour que le mélange s'émulsionne...

Le jeune monsieur François Hollande devait alors être un des élèves des petites classes avec lesquels nous devions partager la cour de récréation ponctuée des deux ou trois marronniers réglementaires. Peu sensible à son destin futur, je ne l'ai pas reconnu, et je le regrette fort. Mais je regrette plus encore qu'il ait, d'après les éléments biographiques que l'on publie ici et là, quitté l'établissement à la fin du cycle primaire. S'il était entré en sixième, peut-être pourrais-je maintenant, bien que cette pratique n'ai été que très rarement en usage parmi les élèves, raconter comment fut passée au cirage la bite d'un futur ancien futur probable président de la république afin de l'accueillir dignement parmi les "grands".

Fruits de saison.

A part, une fois par semaine, l'insistante odeur d'oignons en cours de cuisson qui nous avertissait que le charcutier mitoyen préparait son boudin, le monde extérieur ne pénétrait guère entre les murs du "pensionnat".

(Je me souviens cependant, seule exception, de l'annonce de la mort du président Kennedy, faite de manière quasi solennelle dans l'atmosphère glacée de l'étude matinale que nous devions subir avant d'aller prendre le petit déjeuner.)

Si, à la maison, l'information pénétrait avec parcimonie, j'y entendais la radio et j'y lisais "le journal" - c'est à dire Paris-Normandie. Ainsi je me vois encore, perplexe, en train de lire des extraits du discours de René Coty, qui cédait la place à Charles de Gaulle, déclarant que "le premier des Français [était] désormais le premier en France".

De la guerre d'Algérie, je savais peu de choses précises, mais je savais que l'armée française y faisait, depuis longtemps - depuis toujours pour un enfant de dix ans -, une guerre et que cette guerre était sale, très sale. Cela, je le savais, et j'ai l'impression de l’avoir toujours su, tout simplement parce que mes grandes sœurs - celles qui m'appellent encore "petit frère"- avaient l'âge de ceux qui partaient, et de ceux qui revenaient, et qui parfois arrivaient à parler de ce qu'ils avaient vu, ou fait.

Mais des événements du mois d'octobre 1961, je n'ai rien su.

Cette tache blanche sur la carte de ma mémoire m'apparaît maintenant comme une tache de sang séché... (*)

Car, bien plus tard, j'ai voulu savoir. Il me semble que je devais cela à l'enfant que j'avais été et qui n'avait rien su.

(Et que dire de ce que nous devons aux enfants qui n'ont pas revu leur père après le 17 octobre 1961 ?)



(*) Je parlerai une autre fois de ceux qui m'ont permis de compléter la carte.

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