Les amateurs de photographie qui aiment bien les alignements de beaux tirages sur de beaux murs blancs auront peut-être de quoi être déçus, voire décontenancés, par l'exposition Open See, de Jim Goldberg, présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson (2 impasse Lebouis, Paris XIVème).
Louis Mesplé, dans Rue89, regrette "une intention à un accrochage artistique"; Claire Guillot, dans Le Monde, parle de "l'ambiance rêveuse, l'accrochage alambiqué et les légendes parcellaires" et Luc Desbenoit, dans Télérama, s'en tire en notant, de manière, pour le coup, assez alambiquée, que "l'agencement de l'exposition est la métaphore de son sujet".
Je vois par là que j'ai bien fait de ne pas inventer de faire le critique, car la "scénographie" - comme on dit - choisie par Jim Goldberg pour présenter cette "installation" de tirages photographiques, polaroïds, vidéos, documents et objets divers, m'a semblé tout à fait adaptée à l'esprit de son travail.
Quant aux entorses prises avec la syntaxe des expos-photos, comment ne pas les attendre de la part de quelqu'un qui tire son titre de ce commentaire ajouté sur un cliché:
dont have border.
Jim Goldberg est un photographe étasunien, né en 1953, qui vit et travaille à San Francisco. Il est membre de Magnum depuis 2006, et c'est dans le cadre du projet Periplus, lancé par Magnum en 2003, qu'il est parti à la rencontre des migrants arrivés et bloqués en Grèce. Il conçoit alors un vaste projet sur les migrations vers l'Europe, qu'il appelle The New Europeans, pour lequel il reçoit en 2007 le prix Henrri Cartier-Bresson.
Ce prix va lui permettre d'aller dans les pays d'origine des migrants, comme l'Ukraine, l'Inde, le Bangladesh, le Libéria, le Sénégal, la Mauritanie ou la République Démocratique du Congo. Il y rencontre des candidats à l'émigration, des refoulés des territoires européens, victimes de filières de trafics humains et de réseaux de prostitution, ou victimes des politiques des pays d'Europe.
C'est donc, entre espoirs et déceptions, dans les marges ou à l'extérieur de l'Europe heureuse, ce rêve d'une vie meilleure, que Jim Goldberg trimballe son appareil photographique, sa boîte à polaroïds, ses cahiers, ses marqueurs et son sac à dos (enfin, je suppose...)
On est d'abord attiré par de grands ou moyens tirages, en couleurs ou noir et blanc, où le photographe compose avec l'espace et la lumière, la subtilité des teintes et la transparence des ciels, des images belles et énigmatiques, comme cette photographie prise au Bangladesh dont le passage sur écran ne peut donner qu'une vague idée.
Mais l'essentiel apparaît très vite: il est dans les traces des rencontres que Jim Goldberg a voulu conserver et a choisi de présenter.
Traces photographiques, fixées sur polaroïd, parfois floues, décentrées, sous exposées... mais qui ont été le support d'un échange entre le photographe et son "modèle".
Ici, cet échange aboutit à un touchant exercice d'enluminure (Grèce, 2003):
Et là, au dessin d'une cartographie de l'échec (Demba's Map, République démocratique du Congo, 2007):
Sur le polaroïd retenu, et au dos de ceux qui ont été écartés, se notent des bribes d'histoires, des interpellations à l'Histoire qui fracasse les vies...
Comme des cris étranglés, parfois.
My life is sick because of what they did to me. (Ludva, Ukraine, 2007)
Au centre de la seconde salle, dans une vitrine, Jim Goldberg a rassemblé quelques objets qu'on lui a confiés, ou qu'il a récupérés: un carnet d'adresses détrempé, un sac de cacahuètes déchiré, l'emballage d'une ration de survie, des questionnaires administratifs sur les tortures subies, les confessions naïves d'un "passeur" malchanceux, des pages du journal de Jim Goldberg, une pile de photos de ses archives...
C'est à la disponibilité du visiteur qu'il appartient d'établir les liens entre toutes ces traces de vies dont Jim Goldberg a voulu témoigner avec sa propre sensibilité d'artiste.
A lire les commentaires laissés sur le livre d'or, on constate que le "dispositif scénographique" de l'exposition est efficace, même si une visiteuse aux lèvres pincées a cru devoir laisser "OK, mais il n'aurait pas dû photographier Le rendez-vous" (je cite de mémoire)...
(Le rendez-vous est une des rares images volées qui soient accrochées. C'est la photographie nocturne, et à bonne distance, d'une étreinte, au milieu de ce qui semble un terrain vague.)
Dans un coin de la salle, Jim Goldberg a crayonné un message destiné aux visiteurs. Je n'ai malheureusement pas noté son texte, je croyais le retrouver sur le site de la fondation HCB et il n'y est pas. On n'en parle pas non plus dans les articles consacrés à l'exposition. Il faudra donc vous y rendre pour le lire.
En face, sur une porte de placard, il nous invite à envoyer une carte postale à monsieur José Manuel Barroso, président de la Commission européenne.
Sur cette carte postale, une main tendue, et la phrase suivante:
They always welcomed me.
PS: Les quatre premières photos, et la carte postale, sont de Jim Goldberg/Magnum.
Une seconde exposition de Jim Goldberg, Rich and Poor, est encore visible à Paris, à la Magnum Gallery, jusqu'au 17 juillet.
2 commentaires:
J'imagine que t'as choppé quelques exemplaires de la carte pour Barroso. J'en veux bien une, j'ai un petit message pour ce brave monsieur. Un truc très lapidaire et expéditif, façon "fuck off, you son of bitch" (T'as vu ? Je maîtrise pas mal en anglais, hein…)
Sinon, ils auraient tout intérêt à t'embaucher, au Monde. Ça leur apprendrait à trousser de jolis papiers.
Il m'en reste deux, de cartes postales... Bien qu'on m'ait refusé la réduction moins de 25 ans à l'entrée, je n'en ai pas pris beaucoup (j'ai eu peur que la cerbère ne me fouille).
T'exagères, pour le Monde... Il n'y a que des gens sérieux là-bas.
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