dimanche 26 juillet 2009

Gendarmes en réserve

Mes compétences en histoire naturelle sont très limitées, je l'avoue.

Alors que je peux identifier quelques familles et espèces de lépidoptères de nos contrées ou d'Afrique subsaharienne, j'ai la plus grande difficulté à m'y retrouver lorsque je suis face à un de ces coléoptères casqués, cuirassés et caparaçonnés qui se rassemblent en colonies assez denses et agressives, excrétant des produits puants et urticants, à la fin des manifestations. Je suis par exemple incapable de faire la distinction entre un gendarme mobile et un membre des CRS.

Pourtant, lorsque j'étais petit, je savais très bien reconnaître les gendarmes.

C'était assez facile, car sur le riche plateau agricole où j'ai grandi (modérément), nous n'en connaissions que deux, et de mœurs plutôt paisibles, ce qui facilitait l'observation. Ils faisaient épisodiquement leur apparition au village, soit pour une visite de routine ou de courtoisie, soit pour régler une affaire mineure de la vie courante: bagarre d'ivrognes, querelle de voisinage ou un exceptionnel homicide présumé. Ils arrivaient dans un véhicule dont j'ai oublié la marque et la couleur, mais qui a pris, dans ma mémoire, une forme assez curieuse, hybride entre la quatrelle et la juvaquatre. Le premier à en sortir, du côté passager, était un petit brun à moustache, que l'on appelait le "p'tit gros". Le second à se déplier était nettement plus grand, et glabre; on le surnommait le "grand Corse", car il avouait une origine insulaire. Certains allaient jusqu'à le désigner par "le grand couillon", mais c'était par pure gentillesse, et pour tenir compte d'une certaine réalité.

Ils n'ont jamais accumulé parmi nous un énorme capital d'antipathie, et malgré quelques embuscades en rase campagne, aux carrefours munis d'un "Stop", ils savaient inspirer confiance, et tenaient, grâce à leur connaissance du "terrain", un rôle de médiateurs plutôt qu'un rôle de "sales flics" jouant les cowboys. On disait parfois qu'ils n'avaient pas inventé la poudre, mais on reconnaissait qu'ils n'en faisaient pas tellement usage non plus.

Gendarme de nos campagnes ou Pyrrhocoris apterus.
Photographie © F. Köhler

Ce ne sont là que souvenirs d'enfance, racontés avec toute la complaisance que l'on met à raconter des souvenirs d'enfance, mais ils remontent à une époque où l'on ne parlait pas de "sécurité partout et pour tous" et où il n'était pas encore question d'entériner par une loi le rapprochement (inéluctable, forcément inéluctable, je suppose) de la gendarmerie et de la police. Ce rapprochement, on a pu le constater, depuis longtemps, en voyant la gendarmerie emprunter à la police nombre de pratiques et comportements, y compris les plus détestables.

Le jeudi 23 juillet, les députés présents ont voté, à main levée, la loi qui rattache la gendarmerie au ministère de l'Intérieur, qui aura désormais le contrôle de l'organisation et du budget de la gendarmerie (qui dépendait auparavant de la défense).

Monsieur Hortefeux est très content, et il l'a fait savoir:

Brice Hortefeux a salué, dans un communiqué, l'adoption définitive jeudi du projet de loi consacrant le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, "une bonne nouvelle pour les 105 000 militaires qui assurent, au quotidien, sur le terrain, la paix et la sécurité publiques et, au-delà, pour l'ensemble de nos concitoyens". "A la fois nécessaire, pragmatique et concrète, cette réforme conforte le statut et l'identité militaires de la gendarmerie nationale et permet de mieux lutter contre la délinquance en plaçant, sous un commandement ministériel unique, l'ensemble des forces de sécurité intérieure", affirme le communiqué. Le ministre de l'Intérieur affirme qui veillera "à ce que ce rapprochement devienne rapidement réalité sur le terrain".

On comprend aisément que le fait de disposer d'une réserve supplémentaire de 105 000 petits soldats bien disciplinés soit une bonne nouvelle pour notre ministre.

Et pour le budget de l'Etat, puisque

L'objet de cette réforme est également de mutualiser les moyens et de réduire les effectifs. Sur les 100 000 gendarmes et 150 000 policiers que compte actuellement la France, 8 300 postes devraient disparaître d'ici à 2011, dont 3 500 de gendarmes et 4 800 de policiers.

Pour certains, comme le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, cette "mutualisation" mène à la fusion entre police et gendarmerie qui devrait venir "d'elle-même comme un fruit mûr". On peut consulter son point de vue de "spécialiste des questions de sécurité" dans un texte mis en ligne sur le site de Terra Nova.

Pour avoir un éclairage de l'intérieur sur ce passage de la gendarmerie à l'Intérieur, il faut lire l'article que Jean-Hugues Matelly a écrit en collaboration avec Christian Mouhanna et Laurent Mucchielli.

Les propos critiques du commandant Jean-Hugues Matelly, officier de gendarmerie et chercheur associé au CNRS, ont conduit sa hiérarchie a lui reprocher un manquement au devoir de réserve. Déjà blâmé, le gendarme citoyen Matelly est maintenant convoqué "devant la plus haute instance disciplinaire militaire" et risque la radiation.

Car décidément, ce commandant manque de réserve...

Mais quand on se veut citoyen,
la réserve n'est pas naturelle.

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