vendredi 10 juillet 2009

Question de perspective

Ce n'est vraiment pas pour vous faire de la peine, mais j'ai la mémoire trop pleine de récits, de témoignages, de romans, de films et de chansons, pour que la photographie qui suit, avec cette mauvaise qualité qui rend parfaitement l'ambiance d'un six heures du matin sous la pluie, me laisse totalement indifférent et n'évoque des vieilles histoires de l'Histoire.

C'est une question d'ambiance et de perspective, probablement, mais les policiers que l'on devine sur cette image, ils ont une gueule de drôle d'atmosphère.

Atmosphère de plomb.

Montreuil, matin du 8 juillet.

Si nous nous en tenons aux informations diffusées par les agences de presse, voici ce qui c'est passé durant cette journée de mercredi, à Montreuil, aux environs du marché de la Croix de Chavaux, au 42 Boulevard de Chanzy, lors et à la suite de l'évacuation du squat dit la Clinique.

Trois personnes ont été arrêtées mercredi et placées en garde à vue après un affrontement avec la police à Montreuil (Seine-Saint-Denis), lors d'un rassemblement de soutien à des squatters expulsés de locaux qu'ils occupaient depuis six mois, a-t-on appris jeudi de sources concordantes.

Une autre personne a été blessée, a indiqué à l'AFP la mairie de Montreuil, sans donner davantage de précision.

Mercredi matin, une quinzaine de personnes avaient été évacuées, sans heurt, des locaux d'une ancienne clinique à Montreuil sur ordre du préfet de Seine-Saint-Denis.

"Vers 22H00 hier (mercredi), des personnes se sont dirigées vers la clinique pour la réinvestir. Les forces de l'ordre les en ont empêchées. S'en sont suivis des jets de projectiles contre la police et celle-ci a riposté en faisant usage de flashball. Il y a eu trois arrestations", a indiqué à l'AFP la préfecture de Seine-Saint-Denis, sans faire état de blessé.

(AFP, via Le Monde)

Pour préciser la situation, il faut dire que la Clinique est un immeuble vide, comme il y en a quelques uns, qui, en janvier 2009, a été investi par de nouveaux habitants. Ces nouveaux occupants s'y sont organisés pour y survivre et pour y vivre: la Clinique accueillait de nombreuses activités collectives, ouvertes à la population (ciné club, radio de rue, cantine), et une permanence pour rompre l’isolement des ayant droit face aux institutions sociales et s’organiser sur les problèmes de logement.

Le tout en négligeant le sacro-saint droit de propriété à la mode du capital.

En conséquence de quoi, la Clinique était expulsable.

D'après les témoignages reçus par les listes de diffusion, à 5 h45, il y avait déjà un fort déploiement de policiers, et l'expulsion a commencé vers 6h. Les occupants, qui s'étaient réfugiés sur le toit, en ont été délogés par une vingtaine de policiers cagoulés du RAID et ont été contraints de descendre et de sortir. L'un des messages signale "quelques petites blessures lors qu'une altercation sur le toit".

Vers 8h45 il y avait encore 5 ou 6 camions de CRS sur le boulevard de Chanzy, et les occupants cherchaient encore à récupérer une partie de leurs affaires personnelles, en négociant avec les policiers en civil.

Durant la journée, des vigiles avec leurs chiens prirent position pour protéger l'immeuble.

On retrouve ces éléments d'information sur le tract-affiche que le collectif de la Clinique, désormais en exil, a mis en circulation:

Ce matin, à 6 heures tapantes, un dispositif de plus d'une centaine de flics accompagnés d'un huissier, ont délogé les habitants de la Clinique occupée. Nous avons à peine eu le temps de monter sur le toit que la porte du bas était défoncée au bélier. Quelques feux d'artifice tirés et le RAID, l'unité d'élite de la police, nous encerclait déjà sur le toit, nous visant avec leurs fusils à pompe. Ils nous ont fait descendre après nous avoir donné quelques coups. Il y avait un flic par marche sur les trois étages, ils nous filmaient, nous insultaient et nous menaçaient avec des tasers. En une demi-heure, nous étions sur le trottoir avec des bleus et quelques affaires qu'ils ont consenti à nous laisser.

Après un contrôle d'identité, ils ont commencé à murer les fenêtres et les portes.



Concernant les événements du soir, voici des extraits du communiqué de la Clinique en exil:

Le soir du 8 juillet, une cantine de rue et un rassemblement contre cette expulsion étaient organisés rue du capitaine Dreyfus. Les manifestants se sont ensuite dirigés vers la Clinique, allumant des feux d’artifice avant de dialoguer avec les 3 vigiles chargés de garder l’immeuble expulsé. Lors de l’arrivée des forces de l’ordre, celles-ci ont violemment chargé les manifestants en utilisant à de nombreuses reprises des flash ball et en visant les manifestants à la tête. Parmi eux, un participant à la coordination des intermittents et précaires a été atteint à un œil par l’un de ces tirs. Il est actuellement hospitalisé et a été opéré. Le pronostic médical est des plus réservé : il n’aurait que très peu de chances de ne pas perdre cet œil.

On pourra tenter de voir quelle est la perspective adoptée par la dépêche utilisée par la presse quotidienne.

Mais le collectif de la Clinique va plus loin.

Après avoir rappelé "le cas d’un lycéen Nantais lors d’une manifestation à l’automne dernier et d’un Toulousain qui participait à une autoréduction dans un supermarché ce printemps", ce communiqué poursuit:

La dotation en flash ball de la police a été appuyée par l’argument que ces armes seraient non létales et que leur usage serait rigoureusement encadré. Les faits démontrent qu’il n’en est rien : assurée de son immunité, la police utilise quotidiennement ces flash ball de façon offensive en ignorant délibérément les principes supposés régler leurs interventions dont celui de « proportionnalité de la riposte » , et sans hésiter à s’en servir de manière à occasionner le maximum de dégâts (tirs à bout portant, tirs à la tête).

(...)

Le débat public s’est récemment fait l’écho de l’énorme multiplication des mises en garde-à-vue comme des procédures pour « outrages, rébellion, violences à l’encontre d’agents dépositaires de la force publique ». Une autre face de l’activité policière est maintenant clairement mise en lumière: pour terroriser les anormaux, les opposants, pour dissuader toute insoumission, on tire à la tête.

Nous ne l’acceptons pas et appelons à s’opposer partout à cette nouvelle surenchère de la violence policière.


Rdv dimanche à 15h pour la réunion de la Clinique en exil, marché Croix de Chavaux.


Manifestation lundi 13 juillet à 18h, rdv à l’entrée de la rue du capitaine Dreyfus, métro Croix de Chavaux.


PS: Il faut croire que les faits sont têtus et qu'ils ont réussi à s'imposer à la presse... Les versions en ligne de nos quotidiens reviennent sur la version "sans faire de blessés" de la préfecture...

Les copains de la Clinique ont, de leur côté, publié un nouveau communiqué, dont je donne l'intégralité:

La Clinique occupée était un lieu d'habitation et d'organisation politique depuis janvier 2009. Elle a été expulsée le 8 juillet à 6h du matin par 200 flics, le RAID et les vigiles. Le quartier de la Croix de Chavaux a été entièrement quadrillée pendant deux heures.

A 19h, nous nous sommes rassemblés à l'entrée de la rue piétonne autour d'une cantine de rue pour informer de l'expulsion du matin, et affirmer que nous continuerons à occuper la rue quoi qu'il arrive. Nous avons distribué des tracts et pris la parole. Plusieurs bagnoles de flics nous surveillaient depuis la place. A la fin de la cantine, des feux d'artifice partis de devant la Clinique ont embrasé le ciel. Nous sommes allés devant l'entrée de la Clinique gueuler notre colère, notre rage de voir ce lieu que nous avons fait vivre repris par des flics et des vigiles, avec la destruction comme seul horizon.

Alors qu'on était juste devant, les flics se sont équipés et ont chargé violemment. Les gens ont commencé à courir pour se protéger. C'est à ce moment là qu'ils ont tiré dans le tas au flashballs à hauteur de tête: cinq personnes ont été touchées : épaule, clavicule et tête. L'une des personnes a perdu un œil.


Les flics ont continué à poursuivre les gens jusqu'à la rue piétonne. Plusieurs personnes ont été arrêtées durant la soirée. Trois personnes sont en garde à vue depuis 48h, avec des risques de poursuites pour couvrir le fait qu'il y ait des blessés.


Les tirs de flashball avaient pour objectif de blesser, au risque de mutiler ou de tuer. Tirer plusieurs coups à bout portant au niveau de la tête n'est pas une erreur. Au moindre trouble, les consignes sont claires : mater. On ne peut pas se dire que la violence de la police lors de cette soirée est une « bavure », elle s'inscrit dans une tension permanente: contrôles d'identités, menaces depuis qu'il y a eu les avis d'expulsion. La police fait son travail : défendre une propriété privée en centre-ville, éviter qu'il y ait du bruit ou de la résistance lors d'une expulsion, faire que rien ne se passe.

Nous ne voulons pas que la police tire sur des gens en silence. Nous ne voulons pas de police du tout.

L'Assemblée de la Clinique en exil. 10 juillet 2009, Montreuil.

Les rendez-vous sont maintenus.

3 commentaires:

JBB a dit…

Des tirs de flash-ball à hauteur de tête : les flics se sont comportés comme d'infâmes miliciens. Et ça commence vraiment à devenir une habitude beaucoup trop régulière. Pour un peu, je finirais bien avec un slogan un peu véner, style "flashballons les flashballeurs". Mais pas sûr que je sois à la hauteur…

Guy M. a dit…

... à la hauteur ? Tu rigoles, j'espère.

Ils sont bien à une hauteur suffisante pour viser la tête.

JBB a dit…

Eheh… :-)

Bien vu. Ça ira tout seul, alors.