"Mais pourquoi tiens-tu à désobéir ? »
Le présumé papa, crâne d'œuf soigneusement rasé, mais la barbe blondasse maintenue méticuleusement à deux-trois jours, regard dur derrière ses verres à l'épaisse monture façon Rapetou, attendait avec la poussette au bas de l'escalier, tandis que la présumée maman, visage fermé genre victime du devoir, accompagnait le désobéissant probablement récidiviste dans sa descente imposée par la mise en place concertée d'un dispositif éducatif parental.
Peu soucieux de répondre à la pertinente question paternelle, le petit garçon s'acquittait de sa tâche avec une certaine application, prenant le temps de regarder ses pieds, de babiller dans le vide, détaillant avec pertinence et esprit critique les avantages et inconvénients des escaliers parisiens.
Malgré toute la sympathie que sa position pouvaient m'inspirer, je me gardai bien de lui adresser le moindre mot d'encouragement.
Papa Rapetou aurait pu mal comprendre.
Je pense que dans quelques années, la papa en bermuda n'aura toujours pas obtenu de réponse satisfaisante à sa question.
Et j'ai quelque plaisir à imaginer son désarroi s'il découvre alors que son petit garçon se trouve dans la classe d'un "désobéisseur".
Il est possible, et souhaitable, qu'il en reste beaucoup, malgré les efforts faits par l'institution pour les mettre au pas.
Dans le cas d'Alain Refalo, initiateur du mouvement des désobéisseurs, si l'on en croit LibéToulouse, l'Inspection d'Académie a réuni une commission de discipline afin de le juger pour «refus d’obéissance, manquement au devoir de réserve, incitation à la désobéissance collective, attaque publique contre un fonctionnaire de l’Éducation nationale».
Autant ne pas y aller avec le dos de la cuillère, comme disait ma grand-mère, s'agissant d'un récalcitrant qu'une retenue de 19 jours de salaire, assortie d'un refus de promotion, n'ont pas réussi intimider.
Fidèle à une vieille tradition qui veut que l'on règle ses comptes académiques en période de démobilisation, l'inspection a donc convoqué ce "conseil de discipline" la semaine dernière...
Selon la Dépêche, 500 personnes ont tenu à accompagner Alain Refalo à la cité administrative, pour marquer leur soutien. Je ne sais pas si monsieur l'inspecteur d'académie, Jean-Louis Baglan, a beaucoup apprécié ce désordre et ces prises de parole devant ses grilles.
Commencée à 15 heures, la réunion s'est terminée vers minuit. Aucune majorité n'a pu se dégager à l'issue des débats, et le dernier mot reviendra à l'inspecteur d'académie, qui devrait prendre une décision "avant la fin du mois".
Cela devrait lui permettre de prendre suffisamment de contacts avec son ministère, afin de savoir de quel pas il doit marcher.
Alors, conseillons au moins à monsieur Luc Chatel, qui prétend, à propos de désobéisseurs, qu'«il ne s'agit pas d'en faire des martyrs», la lecture de la lettre ouverte que Raymond Aubrac, Walter Bassan et Stéphane Hessel ont adressé le 5 juillet à l'Inspection académique de Toulouse:
Raymond AUBRAC
Résistant, membre de l'Etat Major de l'Armée Secrète, ancien Commissaire de la République.
Walter BASSAN
Résistant, déporté, président de 1995 à 2005 du comité départemental du « concours national de la Résistance et la Déportation » pour les scolaires de Haute-Savoie.
Stéphane HESSEL
Déporté, co-rédateur de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, ambassadeur de France.
Le 5 juillet 2009
Lettre ouverte à Monsieur l'Inspecteur d'Académie
Directeur des Services Départementaux de l'Education Nationale de Haute-Garonne
Monsieur l'Inspecteur d'Académie,
Nous avons appris la convocation pour sanction de monsieur Alain REFALO devant une commission disciplinaire interne à l'Education Nationale, ce 9 juillet 2009.
Nous avons eu l'occasion de rencontrer Alain REFALO, de discuter avec lui de son action enseignante et de l'écouter expliquer le cadre de son engagement citoyen. Nous avons particulièrement apprécié sa pondération et son sérieux.
C'est un enseignant avec de fortes convictions républicaines, engagé dans son travail au service de l'ensemble de ses élèves. Notre service national d'éducation a besoin d'hommes solides et construits dans leur vision d'éducateurs. Incontestablement, Alain REFALO est de ceux-là.
Nous souhaitons témoigner qu'il est divers moments dans une vie d'homme où assumer ses convictions et les faire partager à d'autres est une nécessité impérieuse. Alain REFALO exprime qu'il vit un de ces moments là.
Quels que soient les différents de l'administration avec ce fonctionnaire, nous ne comprendrions pas qu'elle ne reconnaisse pas cette dimension essentielle pour notre pays : pour former des futurs citoyens libres et conscients, il ne faut pas des enseignants muets et incolores mais des éducateurs citoyens.
Redonner à notre pays des perspectives au service de tous et d'abord des enfants, s'appuyer sur «des hussards» convaincus et investis dans leur mission d'éducateurs au service des valeurs de paix, redonner toute sa place à l'héritage du programme du Conseil National de la Résistance sont des nécessités dans la situation de crise que connaît notre nation.
Notre République ne saurait donner un signal aussi contraire que de sanctionner un enseignant tel qu'Alain REFALO.
Veuillez agréer, Monsieur l'Inspecteur d'Académie, l'expression de nos salutations citoyennes.
7 commentaires:
A chaque fois que je lis ou entends une intervention de Stéphane Hessel, je suis frappé par l'immense classe de ce bonhomme : avec son ton mesuré, il parvient à être d'une efficacité remarquable. La preuve - au moins - que la vieillesse n'est pas forcément un naufrage : si seulement tous les plus de 80 ans pouvaient avoir ne serait-ce que le quart de l'intelligence de ce monsieur…
Il y a aussi pas mal de moins de 80 qui peuvent aussi s'inscrire.
je ne vais pas etre innovante:
Mrs Hessel, Bassan et Aubrac,
recevez tout mon respect,
et mes remerciements pour nous apprendre avec tant d'obstination et de dignité la nécessité et vertue de la resistance....
une nouvelle fois, ils arrosent
mon courage parfois défaillant...
Alain Refalo, que je n'ai pas le plaisir de conaitre , semble un
héritier "méritant"..
merci à l'escalier de nous donner à les connaitre
A ba je comprends plus rien.
Sur la marche d'Escalier précédente («La rage au bord des lèvres»), une dépêche de l'AFP tout en finesse nous suggère qui sont les désobéissants : «jeunes», «plusieurs centaines de jeunes», «les jeunes gens», «un jeune homme».
Aubrac, Bassan, Hessel ? Rajsfus, Hazan ?
Une ritournelle funèbre me tinte en mémoire : «Vous avez passé l'âge».
La dernière personne à m'avoir dit ça était un communiste.
Bonne chance, petit garçon !
@ Marie,
Alain Refalo fait partie de la relève, mais aussi ces 30 stagiaires de l'IUFM de Toulouse, ajournés pour cause d'esprit trop critique: http://www.libetoulouse.fr/2007/2009/07/les-apprentis-enseignants-de-liufm-saqu%C3%A9s-pour-avoir-critiqu%C3%A9-la-r%C3%A9forme-darcos.html
@ pièce détachée,
Tu sais bien qu'il n'y a pas d'âge pour bien faire...
(Dès que possible, je transmettrai au petit garçon...)
Oui, Guy, je sais bien.
Ce qui me gratouille, c'est ce clivage (parmi tant d'autres) jeunes / vieux dans la révolte : pour les vieux, la DLUO, c'est à partir de quand ? Et les jeunes, y en a pas à Neuilly-sur-Seine ?
Il y a au moins une catégorie de la population pour laquelle ce clivage s'estompe: les forces de l'ordre.
J'ai pu constater qu'on ne respectait plus mes cheveux blancs...
Quant à mon boitillement de vieil arthritique, que je simule très bien, il ne faut plus en parler.
(Je vois bien une étude sociologique sur la jeunesse de Neuilly - mais des gens comme Pinçon et Pinçon-Charlot ont peut-être déjà abordé la question.)
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