mercredi 1 octobre 2008

Pour Marina Petrella



Je me souviens encore de ce jour de fin novembre 1972, où j'ai failli pleurer de rage, devant l'entrée du métro Hôtel de Ville, en lisant sur la "Une" baveuse de France-Soir, que le président Georges Pompidou, ce délicat humaniste, cet esprit fin et cultivé, cet amoureux des arts et de la poésie, avait refusé de signer la grâce de Claude Buffet et de Roger Bontems et qu'ils avaient été exécutés.

A l'aube, comme il se doit, dans la cour de la prison de la Santé.

On dit que la décision de sacrifier deux têtes à un pays qui hurlait à la mort coûta au bon Georges Pompidou...

Murs de la prison de la Santé

Je ne crois pas que nos dirigeants actuels, pourtant fins humanistes, cultivés et poètes eux aussi, aient eu la moindre démangeaison de conscience en décidant de l'extradition de Marina Petrella.

D'ailleurs, on ne leur en demande pas tant!

Tout ce que l'on peut leur demander, c'est d'appliquer la clause humanitaire
prévue dans la convention d'extradition franco-italienne de 1957, qui permet de ne pas extrader une personne en raison de son âge ou si cela entraîne des conséquences d'une «gravité exceptionnelle» sur sa santé.

C'est ce que demande Maître Irène Terrel, ainsi qu'elle le rappelle dans l'entretien qu'elle vient d'accorder au Figaro.fr., en insistant sur l'état de santé de madame Petrella.

Lefigaro.fr. - La remise en liberté sous contrôle judiciaire de Marina Petrella, décidée début août, a-t-elle contribué à une amélioration de son état de santé ?

Irène Terrel. - Ça n'a rien changé ! La situation n'est pas bonne du tout sur le plan médical. J'ai en ma possession des certificats médicaux extrêmement alarmants émanant d'un collège de médecins. Je les rendrai publics bientôt. Il va falloir faire quelque chose très rapidement sinon sa situation va devenir irréversible. Concrètement, Marina Petrella ne se nourrit plus depuis presque six mois. Elle est alimentée par une sonde nasogastrique. Même dans l'éventualité d'un règlement (administratif, ndlr) de sa situation, rien ne dit qu'elle s'en sortira. On n'est pas non plus à l'abri d'un acte suicidaire, selon les médecins. Le problème c'est que, dans sa tête, elle n'est pas libre.

Que fait-t-elle au quotidien ?

Elle dans une mort personnelle et ne se reconstruit pas car elle estime que cela n'en vaut pas la peine. Elle ne fait donc plus aucune activité, ne sort plus du lit. Rien ne l'intéresse. Elle est dans le deuil, le deuil d'elle-même.

A la fin de cet entretien, Irène Terrel veut espérer:

Quels signes précis vous font croire à une issue favorable ?

Les autorités françaises ont manifesté ces derniers mois des avancées beaucoup plus que symboliques. Il y a une volonté politique d'avancer, car tout est politique dans ce dossier. Le décret qui permet l'application de la clause de sauvegarde doit être cosigné par le premier ministre et le ministre de la Justice. Mais à ce niveau, je considère que rien ne peut se faire sans l'accord du président de la République. D'ailleurs il s'est exprimé personnellement sur ce dossier. Maintenant, il faut passe à l'acte.

Irène Terrel (AFP)

Irène Terrel est une femme admirable, dont l'action impose le respect. Elle est, d'après le communiqué de la LDH, la seule personne que Marina Petrella admet encore à son chevet. Je tente de partager son espoir.

Mais puisque rien n'est encore arrêté, je copicolle la fin du communiqué de la LDH (daté du 28 septembre), qui invite à continuer les actions pour Marina Petrella:

(...) la Ligue des droits de l’Homme appelle à poursuivre la mobilisation notamment en participant aux rassemblements hebdomadaires qui ont lieu chaque jeudi depuis la publication du décret d’extradition pour demander l’application de la clause humanitaire en sa faveur et l’abrogation du décret d’extradition. Ces rassemblements ont lieu :

chaque jeudi à 18h30, au parvis Beaubourg (Centre Georges Pompidou), métro Rambuteau.

La Ligue des droits de l’Homme demande aussi d’écrire à Nicolas Sarkozy (cartes postales disponibles notamment au siège de la LDH).

Enfin, il est souhaitable d’écrire à Marina pour lui manifester notre solidarité. Elle est très sensible aux lettres qu’elle reçoit :

Marina Petrella

CMME

100 rue Sainte-Anne

Paris 75014


PS: Erri de Luca est un très grand écrivain. Il s’est engagé politiquement, dans les rangs de Lotta Continua. Il est devenu ouvrier de la Fiat, chauffeur, puis terrassier et maçon. Au début des années 80, il a travaillé sur les chantiers de construction en France.

Voici un texte qu'il a écrit directement en français:

"Le corps de Marina tente une dernière résistance contre l’extradition, qui n’est autre pour elle qu’une sépulture de vivante.

Son corps me tient à cœur. Il est son dernier retranchement, une fois toutes les raisons rejetées, toutes les défenses anéanties.

Aucun intérêt d’évoquer ce qui se passe chez nous. Nos feuilles de choux répètent comme des petits perroquets bien dressés le bobard qui parle d’une Marina en fuite, tombée dans un banal contrôle de police. De cette façon, ils la font passer pour naïve et clandestine. Chez nous, le respect des faits n’est dû qu’aux puissants.

En France, les mots ont encore une dignité à défendre. Le corps de Marina dépend de ces mots. D’une signature ou d’un refus de signature, d’un geste de la main qui dans une pièce confortable décide du sort d’un corps épuisé dans une pièce dépouillée.

Je soutiens les dernières fibres qui retiennent la vie de Marina.

Je soutiens son ‘non’ extrême, qui choisit de s’éteindre au lieu de se livrer au premier jour d’une peine sans fin. Depuis presque un an, Marina est prisonnière d’un jour zéro.

Elle a été une révolutionnaire, elle s’est battue sans aucun profit personnel, avec une foule d’insurgés dans l’Italie des années 70. Elle a perdu, fait de la prison, s’est réfugiée en France et il y a un quart de siècle qu’elle a prononcé son définitif adieu aux armes. Elle a été condamnée par une justice d’exception, qui aujourd’hui ne lui reconnaît même pas un seul des jours de prison purgés pendant des années dans les pénitenciers d’Italie.

Aujourd’hui, elle a raison et le droit de confier à son corps sa dernière résistance.

Lèvres cousues, regard éteint, Marina met ses quatre os en travers, ultime obstacle au chemin qui la ramène en arrière, dans l’obscurité d’un pays excité par des rancunes et des peurs. J’approuve son choix:

que ce ne soit pas l’Italie, mais la France, terre de deuxième vie, la responsable du corps de Marina, mort ou vif.

Erri De Luca
Paris, journées du 9 et du 12 juillet 2008”



Je crois que ce morceau de Louis Sclavis est dédié à Erri de Luca...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

quel texte, quelle vérité,
quelle humanité !
je suis admirative et reconnaissante envers vous, Guy M,
pour me donner dès le matin, un appel d'air vers l'essentiel et l'exigence....
Quand à Erri de Luca, qui nourrit mon âme depuis belle lurette, et dont je ne connaissais pas ce texte, en plus de la reconnaissance, "respect!"
Marina Petrella, que je n'ai jamais rencontrée, qui ne m'est "familière" que depuis la demande d'extradition ou presque,
admiration est un mot faible, je n'en ai pas d'autre, sororité est un mot trop "précieux", je n'en ai pas d'autre....

merci à vous trois

Guy M. a dit…

Merci pour votre commentaire, frangine anonyme, mais je n'ai fait que transmettre...

Je ne connaissais pas non plus ce texte d'Erri de Luca, que j'ai trouvé un peu par hasard après avoir écrit le billet (ce qui fait que je n'ai pas cherché à retrouver son origine...)

Anonyme a dit…

Tout pareil, merci de sortir avec tant de classe Marina Petrella de l'isolement dans lequel elle se trouve. Ça ne la sauvera peut-être pas, mais c'est une très jolie façon de la garder (un peu) en vie.

Guy M. a dit…

Merci.

On ne peut pas faire grand chose, de si loin, pour quelqu'un qui "s'est retourné vers le mur"... comme il semble qu'elle ait fait.

On essaye de dire...

Anonyme a dit…

merci guy.hamed son compagnon

Guy M. a dit…

Hamed, aucune visite sur ce blog ne pourra me toucher autant que la vôtre aujourd'hui.