samedi 25 octobre 2008

Récits voyageurs



Durant les deux années que je passai au Zaïre (actuellement République Démocratique du Congo), je me livrai à un très grand nombre d'exploits aventureux dont je réserve le récit à mes mémoires posthumes.

L'un des plus éclatants reste d'avoir pu supporter la durée d'un dîner au restaurant dos à dos avec monsieur Gérard de Villiers qui pérorait à la table voisine, et ceci sans l'étrangler sauvagement.

Bel exemple de maîtrise de soi, ou de self-control, comme on dit en franglosaxon.

Les remous de la rébellion dans la région du Shaba s'étaient apaisés après l'intervention de la Légion à Kolwézi. Et cette heureuse idée de monsieur Valéry Giscard d'Estaing avait sauvé le régime du président Mobutu...

La rumeur nous avait appris que le grand écrivain avait été vu aux abords de l'ambassade de France, du Centre culturel français et du bar de l'hôtel Intercontinental. Sa présence en chair et en verbe nous la confirmait.

Mais moi, je l'avais dans le dos.

J'étais jeune alors, pas encore trente ans, et ma surdité inexistante, et je pus profiter, sans vergogne, des propos du créateur de l'immortel prince Malko Linge... et les transmettre à mes commensaux et commenselles.

Pas trop classieux, le monsieur insista pour qu'on lui servît des frites pour accompagner le filet de perche du Nil à l'oseille... Ayant ainsi imposé son mauvais goût, il monopolisa ensuite la parole en dressant pour ses interlocuteurs consentants un tableau définitif de la situation du pays, agrémenté, il est vrai, d'une demi-douzaine d'anecdotes ramassées sur le trottoir de l'ambassade (de France) ou pas trop loin.

Ces anecdotes, je les retrouvai toutes dans le SAS tiré de ce séjour de grand voyageur. Je crois que c'était Panique au Zaïre... Je ne vais pas le relire pour vérifier, ça non!
Canon à fantasmes bidochons

Lorsque Lieve Joris est venue à Kinshasa, six ou sept ans plus tard, ce n'était pas pour faire provision de couleur locale afin d'agrémenter de quelques effets de réel un récit d'espionnage alternant avec une certaine monotonie les scènes de violence et de torture où les natifs révèlent un naturel bien sadique et les scènes de sexe où les femmes sont des tigresses en chaleur feulant de plaisir en labourant de leurs ongles le dos de l'irrésistible altesse sérénissime...

Non, cette jeune journaliste belge de trente deux ans, travaillant aux Pays-Bas, était venue pour y chercher les traces d'un oncle parti comme missionnaire au Congo dans les années 1920. Elle avait fait comme lui le voyage en bateau en compagnie de vieux coloniaux nostalgiques - ce qui en soi est déjà une preuve de grand courage - et allait passer plusieurs mois au Zaïre, prenant le temps de découvrir les lieux et de créer des liens avec les gens qu'elle rencontrait.

De son séjour, elle rapportera assez de matière pour construire ce beau livre intitulé Mon oncle du Congo, qui est paru en néerlandais en 1987, et qui a été traduit en français par Marie Hooghe, en 1990 aux éditions Actes Sud (maintenant en poche Babel).

Son récit est celui d'une voyageuse peu commune, qui s'immerge dans la réalité du pays qu'elle parcourt sans jamais se départir d'elle-même, mais sans jamais non plus réduire son propos à ses seules impressions: elle est là pour retrouver, voir, écouter, comprendre, et retranscrire. Et cela, elle le fait avec beaucoup de talent, et avec également une indépendance d'esprit qui pourra choquer les lecteurs qui l'aborderaient avec des idées un peu tranchées. Mais ce qu'elle a pris le temps de découvrir et de mettre en livre, il faut aussi que nous prenions le temps de le lire et de le comprendre. Avec Lieve Joris, nous sommes bien loin du prêt à penser...


Lieve Joris (assise au premier plan)
tenant salon
et y signant son dernier livre.

Après ce premier voyage au Congo-Kinshasa, qui s'est terminé de façon confuse au regard des autorités du pays, Lieve Joris ne pensait pas pouvoir y retourner...

Elle y reviendra pourtant au moment de la chute du régime de Mobutu, et y passera seize mois. Elle tirera de ce voyage Danse du léopard, paru en 2001 et traduit par Danielle Losman, en 2002, pour les éditions Actes Sud.

Un dernier livre sur la RDC, L’Heure des rebelles, a été publié en 2006 et traduit par Marie Hooghe en 2007 ( on peut en lire le début sur le site d'Actes Sud).

A l'occasion de la sortie en France de ce livre, Mona Chollet a eu un entretien avec Lieve Joris et en a tiré un article que l'on trouve sur le site Phériphéries, dans la rubrique "Gens de bien".

Lieve Joris y a bien sa place.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est rigolo comme les souvenirs s'entrecroisent.
De SAS, je me souviens de Maurice, mon deuxième papa, qui était avocat et cuisinier, et qui en tant que tels, servit de nègre à Gérard de Villiers pour rédiger La Cuisine aphrodisiaque de SAS, toujours disponible sur Amazon (ou autres) et dont un exemplaire prend la poussière au dessus de la cuisinière de mes parents (les premiers et légitimes…)
Je me souviens notamment de Maurice expliquant que le sorbet au citron est le seul endroit où râper une noix de muscade entière sans que ça devienne immangeable.
Un héritage que j'attends avec impatience.
Bref.
Sourire.

Guy M. a dit…

Gérard de Villiers faisant travailler un nègre... que ça a dû lui coûter (je me souviens de l'esprit de son "discours sur la négritude" en ce restau de Kinshasa).

Mais côté cuisine, il ne pouvait sans doute faire autrement (des frites avec le filet de perche!)

Quant à la noix de muscade entière, n'est-ce pas un peu risqué: c'est assez toxique, il me semble (à moins que ce ne soit le macis...) Enfin, si c'est aphrodisiaque, autant essayer.

Bonne journée.