dimanche 20 mars 2011

Les nuits étoilées

Si Woody Allen possédait le centième du sens artistique de grand maître qu'on lui prête, il s'opposerait à l'utilisation, pour la sortie de son dernier film, de cette affiche à dominante bleue, lavasse ponctuée de jaune pisseux :


C'est peut-être ce qui s'appelle un "dégradé"...

On pense bien sûr à la lettre que Vincent écrivit, les 9 et 14 septembre 1888, à sa sœur Wilhelmina :

Je veux maintenant absolument peindre un ciel étoilé. Souvent il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour, coloré des violets, des bleus et des verts les plus intenses.

Reprenant sa lettre un peu plus tard, il décrit à sa sœur le tableau qu'il vient de peindre :

J'ai été interrompu justement par le travail que m'a donné de ces jours-ci un nouveau tableau représentant l'extérieur d'un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs. Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d'une rue qui file sous le ciel bleu constellé d'étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu'avec du beau bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de souffre pâle, de citron vert. - Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d'après le dessin. Mais moi je m'en trouve bien de peindre la chose immédiatement.


Vincent van Gogh, Terrasse du café le soir, Place du forum, Arles, 1888.

Vers la fin de cette lettre, cette confidence :

Plus je me fais laid, vieux, méchant, malade, pauvre, plus je veux me venger en faisant de la couleur brillante, bien arrangée, resplendissante.

Les bijoutiers sont vieux et laids aussi, avant de savoir bien arranger les pierres précieuses. Et arranger les couleurs dans un tableau pour les faire vibrer et valoir par leur opposition cela c'est quelque chose comme d'arranger les bijoux ou d'inventer des costumes.


Le tableau que ce jeune vieillard de 35 ans voulait "maintenant absolument peindre" est sans doute cette Nuit étoilée sur le Rhône, peinte à Arles à la fin du mois de septembre 1888 :


Vincent van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône, 1888.

Mais c'est l'année suivante que Vincent, à l'asile du monastère Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Rémy-de-Provence, peindra l'absolu de sa nuit :

Vincent van Gogh, La Nuit étoilée, 1889.

En février 1978, fut créée, par Mstislav Rostropovitch à la tête du National Symphony Orchestra of Washington DC, une composition symphonique en deux parties d'Henri Dutilleux, intitulée Timbres, Espace, Mouvement, et sous-titrée La Nuit étoilée. L'orchestre y atteint, il semble, cette "haute note jaune" que Vincent évoquait dans sa lettre à Théo du 24 mars 1889.

Pour l'entendre, il suffit d'écouter* :








* En fermant les yeux, car la "mise en images" est plutôt désastreuse...

4 commentaires:

Olivier a dit…

Je me suis régalé, merci.

Guy M. a dit…

... de rien, une grande partie du plaisir a été pour moi...

ubifaciunt a dit…

Et je ne sais plus où, mais dans une des lettres à Théo :

"Encore une fois, je me laisse aller à peindre des étoiles trop grandes..."



(Soupir énamouré, rahhhh c'est beau....)

Guy M. a dit…

Mais quelles étoiles pourraient être trop grandes ?