lundi 21 mars 2011

Une bonne guerre pour apprendre à vivre

Jadis, ma grand mère me faisait assez souvent l'honneur de m'interpeller pour s'adresser, à travers moi, à l'ensemble de la très frivole génération dont je faisais partie.

Ainsi :

"Une bonne guerre, ça vous apprendrait à vivre."

Me disait-elle.

"Apprendre à vivre sans bras ? sans jambes ? et la gueule cassée ?"

Aurais-je pu rétorquer si je n'avais déjà été pacifiste.


Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard.

Je ne lui ai jamais demandé ce qu'était, au fond, une "bonne guerre". Elle aurait pu se sentir attaquée : elle n'avait pas lu Bernard-Henri Lévy.

Ni Claude Askolovitch.

Monsieur Askolovitch, rédacteur en chef du journal du Dimanche, où il dépose son "commentaire" chaque ouiquende, sait sans doute ce qu'est une guerre juste, celle qui ne saurait être juste une guerre, mais est bien la bonne guerre qu'il nous faut.

C'est du moins ce que je crois pouvoir déduire de l'ouverture de son dernier papier :

En portant la France contre Kadhafi, Nicolas Sarkozy nous a épargné un remords. Il y avait l’Espagne républicaine, la Tchécoslovaquie, Srebrenica, le Rwanda. Il n’y aura pas Benghazi.

Pas moins de quatre guerres justes que nous aurions dû faire, avant d'en arriver, sans "remords" à celle où nous invite le très honorable Nicolas Sarkozy, qui y trouve, aux yeux du chroniqueur, comme une sorte de rédemption :

Cela n’annule aucun grief, mais cela peut aussi justifier un mandat. Un homme de pouvoir, à l’arrivée, ce sont quelques gestes, quelques choix, qui vous placent du côté de l’honneur ou du regret.

Et "du côté de l’honneur", Claude Askolovitch découvre, "et ce n’est pas un hasard", une grande figure tutélaire :

Et ce n’est pas un hasard si Sarkozy, dans l’honneur, a retrouvé Bernard-Henri Lévy. Le philosophe trimbale ses rires et ses scories. Mais quand vient l’essentiel, il est du bon côté. Ça justifie une vie.

Magnifique tableau, d'un pompiérisme léger, de ces deux justes - car tous deux justifiés, l'un dans son mandat, l'autre dans sa vie - "portant la France contre Kadhafi"...

J'aime plus que tout l'emploi de ce verbe "porter", qui introduit une délicate tonalité désuète dans les propos de notre chroniqueur.

Qui ne manque cependant pas de panache.

Cette France que l'on porte "contre Kadhafi" est le véritable sujet du papier de Claude Askolovitch qui, en son second paragraphe, part en guerre contre les "deux petites phrases" récemment lâchées par monsieur Claude Guéant, ci devant profond stratège électoral. Notre auteur nous livre un très beau morceau de prose de style exclamatif - bien que son clavier, apparemment, ne comporte que des points d'interrogation. Un Luchini en pleine forme s'y étranglerait :

De quelle France parle-t-on, et de quels Français? France paysanne, prolétaire, d’avant l’exode rural ou les délocs? Qui fumait des gauloises? Quand les rugbymen avaient du bide mais aussi des couilles? Quand Bataves et Britanniques ne rachetaient pas le Sud-Ouest? D’avant le jazz? Sans grands ensembles? Sans Europe? Sans mondialisation? D’avant l’orgie télévisuelle et le rire qui cautionne les petites saloperies de la peur? Jean Nohain, lui, n’aurait pas pris Zemmour?

Reprenant enfin sa respiration, monsieur Askolovitch, se "portant contre" Claude Guéant, développe une conception grandiose d'un nationalisme élargi à l'anglo-américaine :

Halal à Paris, c’est cacher à Brooklyn, ou paki à Londres.

Et en appelle à la "France réelle" :

C’est la France réelle que ses gouvernants devraient chérir au lieu de la nier. Et tant de "Muslims" s’en foutent d’ailleurs, du halal, et le seul enjeu est de vivre. Pas seulement vivre ensemble, cohabitants d’une république délitée, mais vivre. Pouvoir le faire : l’économie, imbéciles !

On admettra que le "suggéré" d'Askolovitch n'est pas d'une grande limpidité, et si l'on se souvient de l'introduction, on peut se sentir un peu perdu.

Tout s'éclairera de la conclusion :

La folie de tout ça : en allant secourir les Libyens, Sarkozy sort la France du sam’suffit mental qui sous-tendait nos non-interventions. Nous seuls, et que crève le monde entier ! Il n’y avait pas que des principes, mais aussi des moisissures dans nos indépendances, Irak inclus. Mais ces moisissures rongent ce que le même Sarkozy fait ou laisse faire à une partie de la France. Souffle de Benghazi, viens balayer nos miasmes!

Pas plus avancés ?

Disons que, peut-être, le monsieur veut nous dire, dans un grand mouvement d'un lyrisme échevelé, qu'il est bien content, car cette bonne guerre, qu'on va (enfin !) faire, va nous apprendre à vivre (et pas seulement ensemble (ouais !)).

Moisissures, détail.

2 commentaires:

Jeanmi a dit…

- Moi je sais ce qu'est une bonne guerre, c'est une guerre que l'on gagne !
- Mais qui gagne dans une guerre ?
- Mais le complexe militaro-industriel pardi !
- Mais alors si l'on n'est ni militaire ni marchand de canon ?
- On se planque et on attend pour tout reconstruire, espèce d'imbécile, décidément tu ne comprendras jamais rien !

Guy M. a dit…

C'est vrai que c'est confortable de tout comprendre...