samedi 24 mai 2008

Le croissant du dimanche

free music


Au train d'enfer où vont les réformes jugées nécessaires par les quelques têtes de pioches qui se croient appelées à gouverner et par les quelques têtes de manches qui se croient autorisées à donner leur avis, j'éprouve quelques difficultés à me projeter dans l'avenir, moi-perso-tu-vois-au-niveau-de-mon-ressenti.

Mon indécrottable optimisme ayant rapidement repris le dessus, j'ai affiné mes projets de carrière et je puis vous annoncer que tout est quasiment près pour les finaliser.

Tous les bilans de compétence que mon administration d'origine m'a fait subir l'ont révélé de manière éclatante, je possède un rare talent à savoir m'occuper sans rien faire. Aussi j'envisage de profiter pleinement de mes loisirs, sans partir à la recherche d'un emploi-senior, inexistant dans ma spécialité. Au besoin, je pourrais faire clodo (et non SDF, c'est pas un mot ça, SDF). J'ai repéré, dans le XXième arrondissement de Paris, un banc que le libéralisme socialiste de monsieur Delanoé n'a pas encore remplacé par une machine à sous et à vélibs. Situé devant une boulangerie plus ou moins pâtisserie, on y profite en hiver de bouffées de chaleur parfumées, et en été, ce n'est pas pire qu'au Soudan. Il est actuellement occupé par un charmant clodo, qui a un faux air de Joe Cocker barbu, et qui y fume avec délectation un petit cigare en faisant la conversation avec les habitués. Je pense que nous pourrions partager ce banc, s'il accepte la présence de mon chien.

Car je compte bien faire l'acquisition d'un chien, accessoire indispensable pour réaliser un de mes rêves qui est d'appliquer à la lettre l'emploi du temps hebdomadaire que le regretté Boby Lapointe chantait ainsi:

Revanche

Le Lundi je mendie
Le mardi je mendie
Et l'mercredi, et le jeudi
Le vendredi, le samedi

Mais quand qu'c'est qu'c'est dimanche
J'paye un croissant au chien
Le chien lui il s'en fout...
Ça ou du pain...

Mais le bourgeois qui passe
Sur le trottoir d'en face
Ça le fout en pétard
C'est rigolard
Et j'en jouis
Toute la nuit
Jusqu'au lundi !

Et l'lundi je mendie... bof...



Heureux chien!

Heureux, lui qui s'en fout ("ça ou du pain"), car le croissant, notre croissant, est gravement menacé, comme nous l'apprend Isabelle Saporta dans son article L'éclipse du croissant paru dans Marianne.


Mais plutôt que de vous donner un extrait de cette prose assez peu croustillante, je préfère vous citer amplement un extrait de la méditation que Jacques Roubaud à consacrée à l'idéalité du croissant au beurre dans son Grand Incendie de Londres (Editions du Seuil, 1989).

(…) L'idéal du Croissant (et il s'agit, bien entendu, du croissant parisien, le croissant provincial, dans toutes les villes où je l'ai essayé, est un désastre), le croissant qu'on pourrait désigner comme Croissant au Beurre Archétypal, présente les caractéristiques suivantes: losange très allongé, arrondi aux bouts mais de corps à peu près droit (le Croissant Ordinaire, et lui seul, a l'allure ottomane, lunaire) - doré - dodu - pas trop cuit - pas trop blanc et farineux - tachant les doigts à travers le papier pelure qui l'enveloppe, ou plutôt le soutient - de chaleur récente (il est sorti du four il y a peu; il n'est pas encore refroidi), (réchauffé, ce qui est bon peut-être pour les "quiches", ou pour les volailles, ou pour ces discoïdes innommables que les Français appellent "pizzas", il croustille, ce qui est horrible, et il rancit, à cause du beurre).

Il se compose de trois membres principaux, de trois compartiments de chair articulés l'un à l'autre, recouverts d'une carapace tendre, qui l'apparente au jeune homard. La partie centrale est, dans cet homomorphisme croissant-homard, le corps du crustacé, les parties extrêmes sont des pattes sans pinces. C'est un homard extrêmement stylisé, un Homard Formel, en somme. Pour que le croissant soit parfait, il faut qu'en tirant sur les "pattes" elles se détachent du "corps" avec facilité, entraînant, chacune, avec elle une excroissance oblique et effilée de chair intérieure de croissant, soustraite à la partie centrale, extraite en quelque sorte sans effort de l'intimité même encore chaude du croissant, sans miettes, sans bruit, sans déchirements. Je revendique, hautement la découverte de cette correspondance, morphisme structural (du moins je n'ai pas encore trouvé de "plagiaire par anticipation") que je propose de baptiser loi de Roubaud du Croissant au Beurre.


9 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu aurais peut-être intérêt à t'y prendre à l'avance parce que le créneau est déjà pas mal encombré. Le dernier recensement de l'Insee (2006) pointait déjà une augmentation sensible du nombre de sans abri par rapport à 1999, mais avec les efforts de Sarkozy et sa clique, on peut espérer un véritable essor dans les années à venir.

Bises et bonne soirée, Monsieur Guy.

PS : tu as une préférence, pour la marque du chien ?

Guy M. a dit…

J'ai la vocation de clodo, pas de sans abri. Ne pas confondre: sans abri, c'est un euphémisme, et je n'ai pas un profil d'euphémisme.

Quant à l'abri, je pense pouvoir en trouver dans un des nombreux "jardins partagés" que les bobos ouvrent un peu partout et où ils installent des cabanes de jardin pou ranger les outils et le sparadrap.

Le chien sera un batard évidemment.

Bonne soirée, madame Py.

Anonyme a dit…

Et puis quand y aura plus de quoi s'acheter des croissants, on pourra toujours manger de la brioche...

Et puis on fera une Amicale des Clodos, l'union fait la force.

Bonne nuit.

Guy M. a dit…

Je vois Françoise que toi aussi tu envisages des lendemains qui chantent du Boby Lapointe...

Mais j'ai peur que mon futur chien (un batard, mais si possible de la cour d'Angleterre) ne refuse la brioche: dans ce domaine, la situation est plus calamiteuse encore que celle du croissant.

Bonne journée.

Anonyme a dit…

Bon courage!

A Paris, faut pas s'poser, surtout dans la rue.
Et surtout si on n'a pas des "garanties". Genre un taf, quoi.

Et les parents, comment sasamadou?
Non, parce qu'à 18 ans, c'est "passe ton bac d'abord" (bon, il ne me l'ont jamais faite, c'est ptête pour ça, on a du retard!), à 25, ils remettent ça... "trouve un taf d'abord!"...

Oui, bah ils savent bien, pourtant, que l'immobilier grimpe comme l'araignée de la chanson, et qu'elle est pas près de dégringoler, gypsie...
Surtout à Paname, mais ils répondent, ben tu restes pas à Paris, alors. C'est pas eux qui m'ont trouvé une formation? ... A l'Institut Catholique de Paris...
Comment yzosent!

Alors oui, je veux rester dans la ville qui pue. Et changer de quartier, là où qu'les punks avec une crète dessus, ils sont méchants, mais pas pour de vrai. Et où qu'les gens, is'disent bonjour.

Alors, wouala... tu me diras bonjour quand je te saluerai depuis le banc d'en face, qui ne me demandera pas un cdi, un salaire 3 fois plus élevé que son loyer, et que j'l'invite à ma crémaillère?
Ah oui, j'espère que ton chien n'attaquera pas mon chat!
(oui, un chat, ça n'obéit pas, et ça se lave tout seul!)

(quoi, c'est long? bah je commente, quoi!)

biz,

myrage.

myriam a dit…

beuh, j'comprends rien à blogger, il a pas pris mon pseudo de chez lui, avec l'image, et tout.
(une jolie petite zapatiste, pourtant!)
Là, ça marche?

Guy M. a dit…

Salut Myrage,
Moi non plus je ne comprends rien à Blogger, mais ce n'est pas très grave. C'est seulemnt dommage pour la jolie zapatiste, mais les gensses peuvent aller la voir sur ton profil.

Ton com n'est pas si long, et ben oui, il commente et pas si mal...

Bonne navigation entre Paris (qui pue, mais pas que) et le Mexique, bonnes rencontres, et pour le banc d'en face, tu verras plus tard, bien plus tard...

Bises.

myriam a dit…

Non, le Mexique n'est pas prévu d'ici longtemps. Pis je suis trop nostalgique des gens rencontrés, parfois européens, et même français. (c'est pas si loin de Paris, Lyon et Perpignan, mais bon, le temps, j'ai, le billets de train, moins...)
Pour les "locaux", en particulier les gamins de 5 à 13ans, qui auront bien grandi, d'ici que je puisse me repayer un billet... (ça grandit vite à c't'âge là!), il faudra attendre. *

C'est vrai, Paris, ça fait pas que puer. Sinon, je ne resterais pas! (c'est beau la Bretagne!)
Parfois, les punks, on a envie de leur foutre des baffes ("sans les artistes, la Révolution, ça ferait longtemps qu'elle serait faite!"), mais les autres ça va. :)
Même les punks, en dehors de la provoc' facile (je suis adepte moi-même de cette religion!), ils peuvent être sympa, de temps en temps.
(en tout cas on dirait qu'il a mis dans le mille, je radote! Y'a qu'la vérité qui blesse? Merde!)

* Par contre, j'ai demandé à un voyageur que tu connais de passer le bonjour à certains d'entre eux, c'est bien pratique, les voyageurs!

biz.

myrage (sans majuscule, c'est rien qu'un pseudo...)

Guy M. a dit…

myrage,
sans majuscule donc (et la petite zapatiste est bien passée cette fois, tu vois que blogger, ça marche parfois).

Je crois que tu as quand même la tête entre le Paris et le Mexique... mais on voit pire, comme options.

Bises.