mercredi 7 décembre 2011

Dispositions testamentaires

Depuis longtemps déjà, je me dis qu'un de ces jours, il faudrait que je songe à mettre par écrit mes dernières volontés. Je m'y mettrai demain ou, plus probablement, après-demain.

Il faudrait notamment que je prenne des dispositions claires sur le devenir de mes cendres après torréfaction complète.

Souventes fois, je me suis laissé aller à les imaginer dispersées en des lieux où j'ai pu me dire être chez moi, mais ces lieux sont eux-mêmes dispersés, et certains sont d'un accès assez difficiles.

Il est, après tout, possible que ma disparition fasse un peu de peine à celles et ceux qui me sont proches. Comme je n'ai aucun motif sérieux de les enquiquiner davantage en leur imposant un geste symbolique pour la satisfaction actuelle d'un ego qui sera alors dissous, j'ai renoncé à ces simagrées et j'autorise bien volontiers qu'on répande mes cendres au pied d'arbustes ornant un quelconque "jardin du souvenir". Cela ne me déplairait pas qu'il y ait là de simples rosiers, mais, que celles et ceux qui m'aiment se rassurent, je n'irai pas vérifier.

Un plant de Rosa canina ferait l'affaire.

On nous a dit avec une certaine insistance que feu le général Bigeard avait prévu de disposer testamentairement de ses cendres en demandant qu'elles soient dispersées au-dessus de la plaine de Ðiện Biên Phủ, afin d'y "rejoindre ses camarades tombés au combat". Cette belle idée, bien propre à émouvoir les cœurs virils battant sous les rudes étoffes militaires, n'a pas reçu l'assentiment des autorités vietnamiennes. Malgré tout ce que l'armée française avait, à cette époque, fait pour eux, les Vietnamiens ont refusé leur accord.

Car il y a beaucoup d'ingratitude de par le monde...

Dans le même temps, on nous disait que le ministère de la Défense avait annoncé que les cendres du général Marcel Bigeard allaient être transférées à l’Hôtel des Invalides, à Paris, où reposent déjà, non loin de l'empereur Napoléon le premier, plusieurs héros guerriers.

Comme la plupart des informations pouvaient suggérer, entre le refus vietnamien et la proposition de monsieur Gérard Longuet, un lien certain de cause à effet, les officines sont actuellement envahies de personnalités civiles qui, désireuses de recevoir post-mortem les honneurs de la Nation, rivalisent d'inventivité loufoque en rédigeant leurs exigences concernant le devenir de leurs restes.

On a beau leur dire que, ce jour-là, ils auront sûrement un empêchement et qu'ils rateront la cérémonie, rien n'y fait.

Car il y a beaucoup de naïveté de par le monde.

Le dôme, comme si vous y étiez déjà.

Vouloir honorer ainsi le général-député Bigeard, le vaincu de Ðiện Biên Phủ et le héros de la bataille d'Alger, doit partir d'un bon sentiment national bien à même d'émouvoir ce qu'il y a chez nous d’extrêmement national...

Mais je suppose qu'on n'est pas obligé d'y applaudir et que l'on peut se déclarer tout à fait solidaire des 6137 signataires de la pétition nonabigeardauxinvalides.net.

Le général était, on nous l'a dit, une "grande gueule" à la faconde de soudard, mais il avait aussi d'étranges coquetteries de vocabulaire. Il préférait ainsi que l'on utilise l'expression "interrogatoires musclés" en lieu et place du mot "torture".

S'il acceptait de parler de la chose en passant sur le mot, comme il l'a fait, à 90 ans, avec deux journalistes du quotidien suisse La Liberté, Patrick Vallélian et Sid Ahmed Hammoucheil, il pouvait déclarer de fort jolies choses comme celles-ci :

"Vous savez, nous avions affaire à des ennemis motivés, des fellaghas, et les interrogatoires musclés, c'était un moyen de récolter des infos. Mais ces interrogatoires étaient très rares et surtout je n'y participais pas. Je n'aimais pas ça. (...)"

Mais le peu introspectif général ne dit pas vraiment pourquoi il n'aimait pas cela.

Peut-être simplement parce c'était salissant...

Les journalistes suisses ont eu de la chance. Quelques années auparavant, alors qu'on parlait beaucoup des révélations du général Aussaresses, ancien tortionnaire et fier de l'avoir été, Marcel Bigeard s'était montré plus tranchant :

Question : Mais on ne pouvait pas faire autrement ?

Réponse : Ah non ! Écoutez, je coupe là-dessus. Ne m'emmerdez pas avec ça, hein... Non, ça suffit. On en parle toute la journée, y en a marre...

Notre héros irascible ignorait sans doute qu'il y a, parmi ceux qui ont eu à subir la torture - car cela s'appelle comme cela -, des gens qui, certes, n'en parlent pas toute la journée, mais y pensent.

Toute la journée, et la nuit aussi, jusqu'à la fin de leurs jours.

De quoi en avoir marre, vraiment, de la vie.

7 commentaires:

Chomp' a dit…

"Je m'y mettrai demain ou, plus probablement, après-demain."

Ô mortel, encore surpris en flagrant délit de procrastination.
Bon.
C'est humain ...
:-)

Quant à l'interrogateur musclé, il était déjà tout-à-fait invalide au moins de la comprenette, et de longue date,
depuis qu'il avait promu si françaisement la guerre psychologique (les volts dans les génitoires, "ce n'est pas si terrible", comme le confirmait il y a peu d'ans un pittoresque porc breton, mais bon, c'est psychologique, c'est sûr)

Bref, l'ajout d'une crevure au Panthéon
ne fera qu'enfoncer un peu plus dans l'ombre les quelques uns qui y furent logés pour des raisons qui ont eu parfois à voir avec l'honneur ...
(Voir ce mot)

yelrah a dit…

Ah, Bigeard et ses crevettes ...
Les Huns validés quoi ..

Guy M. a dit…

@ Chomp',

...les Invalides, seulement les Invalides, mais il est vrai que c'est un Panthéon un peu ironique pour militaires.

@ yelrah,

Un jour, faudra aussi faire une fiche cuisine sur les crevettes à la Bigeard et leur finition à la nage.

Chomp' a dit…

Tiens, oui, pourquoi les ai-je ainsi mélangés ?
Une fusion-acquisition qui a raté, peut-être ...

Guy M. a dit…

On pourrait peut-être les mettre sous un seul dôme, ça économiserait des demi-cercles.

yelrah a dit…

De toutes façons certain invalides mettent toujours le petit doigt sur la couture du panthéon alors ...

Guy M. a dit…

Entendu comme ça, ça explique...