En regardant les quelques images utilisées par la presse pour les articles rendant compte de la très regardée prestation télévisuelle de monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, dans l'émission Un dîner presque parfait, je me suis réjoui de constater que je n'étais pas le seul à mettre une cravate pour passer en cuisine. En effet, il apparaît sur ces photos de tournage que le ministre, qui la porte de manière habituelle, la conserve à son col en s'activant aux fourneaux.
Pour éplucher des légumes, découper une volaille ou monter un beurre blanc, c'est évidemment beaucoup plus commode qu'un tablier à bavette comme en portait ma grand-mère - avec de toutes petites fleurs mauves sur un fond noir - et bien plus seyant pour un monsieur - comme aurait justement dit ladite grand-mère.
Selon une note "A la une" du site ministériel que j'ai consultée, la claounerie gastronomique et cravatée de monsieur Mitterrand aurait été diffusée sur M6, vendredi dernier, à l'occasion de la Première Fête de la Gastronomie.
Selon les règles de l’émission, le Ministre a élaboré un menu « autour de ses plats d'enfance préférés », fait les courses, cuisiné sur les fourneaux du Ministère, dressé et décoré la table dans la salle à manger où, dans le cadre de ses fonctions, il reçoit habituellement ses invités.
Les gazettes ont souligné la "simplicité" du menu - apéritif avec tomates-cerises, carottes en bâtonnets et autres concombres accompagnés d'une sauce, velouté froid de petits pois, tajine de poulet aux citrons confits et mousse au chocolat et à la cannelle avec "ses" framboises - et ont largement largement diffusé l’émerveillement des heureux invités de notre ministre cultivé et communicants, tous séduits par sa très grande "simplicité".
Cette même "simplicité", sans doute, que l'un de ses oncles, plutôt amateur d'esprits, et de coups, tordus, avait déjà remarquée.
Afin de protéger la cravate, on la passe dans la ceinture.
Une dizaine de jours avant cette émission spéciale, monsieur Robert Redeker, philosophe malcontent de profession, avait réussi à placer, dans les colonnes du Monde, un "point de vue", intitulé La cuisine dénaturée par sa surmédiatisation, où il exprime, plus que son agacement de téléspectateur devant la place prise par la téléréalité culinaire, son extrême inquiétude devant "la montée en puissance de la cuisine, et sa létale exploitation médiatique" qui, à ses yeux, "relèvent de la pathologie sociale".
On devine que les ronchonnements de monsieur Redeker peuvent devenir très drolatiques :
Longtemps nous avons vécu sous l'identification du religieux et du culturel. La religion fondait l'identité d'une civilisation. Son inscription dans le patrimonial - ce linceul ou ce tombeau qu'est le patrimoine - signe la mort de la religion comme alpha et oméga de la vie collective. C'est alors le patrimoine qui devient l'objet d'un culte, et non plus Dieu ou un prophète - on visite les églises et monastères pour leur beauté, non pour y prier. La folie collective pour la cuisine, si elle prépare à moyen terme sa mort par la patrimonialisation qui l'accompagne (la cuisine française vient d'entrer dans le Patrimoine mondial défini par l'Unesco), substitue à la vieille identification du religieux et du culturel une nouvelle identification : celle du culinaire et du culturel. L'identité d'une civilisation, ce n'est plus sa religion, c'est sa cuisine.
Cet extrait est copicollé d'un développement sous-titré Parodie de l'eucharistie.
Si l'on considère que l'eucharistie est elle-même la parodie commémorative du dernier repas d'un homme se sachant, puisqu'il était Dieu, toujours-déjà condamné à mort, on pressent toute la richesse de pensée de notre philosophe...
(Fresque du couvent Santa Maria delle Grazie, Milan.)
Le peu sympathique Lawrence Russell Brewer, membre du Ku Klux Klan, qui a été exécuté au Texas le 21 septembre - le même jour que Troy Davis -, avait décidé de faire de son dernier repas de vivant une sorte de parodie :
Il a demandé deux steaks de poulet frit, un triple cheeseburger au bacon, une livre de porc au barbecue, trois fajitas, un bol de gombos frits, une pizza à la viande, une livre de glace et une plaque de chocolat au beurre de cacahuète avec des éclats de cacahuètes. Le repas, servi "dans des proportions plus raisonnables" selon les autorités pénitentiaires du Texas, a finalement été refusé par le détenu.
(Peut-être envisageait-il de pouvoir inviter quelques convives pour fêter ça.)
Le sénateur John Whitmire, que l'on dit opposé de longue date à cette tradition permettant aux condamnés à mort de choisir leur dernier repas selon leur convenance, a jugé que "c'[était] extrêmement inconvenant de donner un tel privilège à une personne condamnée à mort".
"Maintenant, ça suffit", a-t-il écrit dans une lettre, réclamant qu'il soit "mis fin immédiatement à cette pratique". Brad Livingston, directeur du département de la justice pénale du Texas, a jugé "fondés" les arguments du sénateur et décidé de mettre fin "immédiatement à ce type d'arrangements". Désormais, les condamnés à mort "recevront le même repas que les autres détenus".
On ne parle pas encore d'inscrire cette mesure à l'actif du plan de lutte biopolitique contre ce fléau états-unien qu'est l'obésité, mais je sens que ça ne va pas tarder...
A moins qu'une chaîne de télé ne propose un nouveau concept d'émission téléréelle : le condamné aurait tout le loisir, dans les cuisines du pénitencier, de concocter un dernier repas presque parfait, où il pourrait inviter ses propres avocats, les avocats de l'accusation, le procureur et les jurés...
Ce serait terriblement convivial, et tout de même plus sympa que de l'exécuter à jeun.
2 commentaires:
"il pourrait inviter ses propres avocats, les avocats de l'accusation, le procureur et les jurés..."
cannibal holocaust ...
;-))
Variante intéressante !
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