vendredi 30 septembre 2011

Caviar du Nord

J'avais fait erreur dans le billet où je voulais adresser un dernier salut à Marie-Noëlle Gues passée "par dessus les barbelés"...

Un journal au moins a annoncé son décès, et c'est la Voix du Nord dans une très brève publiée le 19 septembre sous la rubrique "Actualités Calais" :

Marie-Noëlle Gues est décédée

Nous avons appris le décès, samedi, de Marie-Noëlle Gues, à l'âge de 52 ans. ...

Enseignante de profession, Marie-Noëlle Gues s'était surtout fait connaître, ces dix dernières années, pour son militantisme en faveur de la cause des migrants. Militantisme qu'elle envisageait beaucoup moins sous l'angle humanitaire que sous celui de la « défense des droits humains ». Extrêmement présente sur le terrain, elle n'avait de cesse de dénoncer les pressions, voire les violences, que les forces de l'ordre font subir aux migrants. En particulier, elle alimentait son propre blog, ainsi que d'autres sites alternatifs, tel Indymedia, de textes et de photos, sous le pseudonyme de Zetkin. Parfois virulents, ces écrits lui ont valu de comparaître plusieurs fois devant le tribunal correctionnel.

(...)


L'articulet n'était pas signé, mais il a dû être rédigé par un(e) journaliste travaillant à Calais, donc connaissant Zetkin, et qui n'a pas hésité à écrire : "elle n'avait de cesse de dénoncer les pressions, voire les violences, que les forces de l'ordre font subir aux migrants."

Passons sur les guillemets inutiles encadrant "« défense des droits humains »", qui feraient presque croire qu'il s'agit d'un très gros mot très audacieux...

Au service des avis de décès, dans le même journal, il semble que l'on soit beaucoup plus précautionneux. Pas question d'employer, même adoucies, de telles expressions, qui tranchent, il est vrai, avec les trémolos bondieusards que l'on peut lire quotidiennement dans les rubriques nécrologiques des journaux de province.

Haydée Saberan, envoyée spéciale de Libération à Calais, raconte comment ledit service a caviardé l'hommage à Marie-Noëlle Gues que "des associations, dont le Gisti, Médecins du monde et Amnesty International" entendaient faire paraître dans les deux quotidiens locaux, la Voix du Nord et Nord Littoral.

Il s'agissait d'un texte fort modéré :

Marie-Noëlle Gues vient de nous quitter. Nous n’oublierons ni son long et courageux engagement aux côtés des migrantes et des migrants, ni sa volonté opiniâtre de les protéger des violences institutionnelles, ni son exigence politique d’une communauté mondiale fondée sur l’égalité de tous les êtres humains. A sa famille et à ses proches, l’expression de notre peine.

Dans le texte publié, de même longueur, et qui a donc été facturé au même tarif, que le texte initial (214 euros), on peut constater la disparition des "violences institutionnelles", de la "communauté mondiale" et de l’"égalité de tous les êtres humains".

(Se reporter à l'article de Libé pour prendre connaissance de la réécriture de l'hommage transformé en faire-part.)

On voit mal ce que ces trois expressions ont de choquant, et il semble qu'il faudra insister beaucoup avant de le savoir, car :

Contactée par Libération, la direction de la Voix du Nord n’a pas répondu à nos appels.

Écrit Haydée Saberan, qui a cherché à éclaircir ce mystère.

Et qui ajoute :

Me Marie-Hélène Calonne, avocate des associations, a sommé le journal de publier la version initiale, en vain.

Avant de conclure :

Un vieux militant calaisien résume : «Même morte, elle les emmerde

«Même morte, elle les emmerde
(Photo empruntée à l'hommage
de quelques No Borders de Calais
paru sur Indymédia Lille.)


Au moins nous aura été rappelé, à cette occasion, jusqu'où peut descendre la bassesse très naturelle de ceux (ou celles) qui jugent de ce qui est convenable.

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