De Don Cherry entrevu jadis sur la scène d'une salle de concert à la maison de la radio, je garde surtout l'image de l'élégant funambule qu'il était, en train de danser sur le fil musical de l'improvisation.
Et, de manière toute naturelle, je lui associe le souvenir de Laurent Goddet, autre funambule, qui était, ce jour-là, (parfois) assis à quelques rangées devant moi, et qui avait dansé sa pure jubilation durant toute la durée du concert.
J'allais parfois m'approvisionner dans la boutique qu'il tenait près de la place du Panthéon. Pour m'y rendre, il me fallait, la plupart du temps, dépasser le commissariat du cinquième arrondissement, devant lequel, très régulièrement, "on" tenait à voir mes papiers, comme si, en quelque sorte, mon faciès ne revenait pas aux factionnaires de service... Une fois cette vérification faite, je me retrouvais, souvent impécunieux, dans l'échoppe de Laurent Goddet, à fureter parmi les galettes récemment arrivées, à en écouter quelques plages choisies par le tenancier, qui parfois les connaissait déjà par cœur.
Je n'ai pas connu Laurent Goddet plus que cela... Mais en apprenant, avec des années de retard, la nouvelle de son suicide, je l'ai revu, dans sa boutique, en train de chantonner le début de Unit Structures de Cecil Taylor...
Parce que la musique ne meurt jamais.
A cette époque où, en toute liberté, Don Cherry était en train d'inventer ce qu'on allait nommer, dans les meilleurs et les pires des cas, la world music, il avait déjà participé, et aux premiers rangs, à des entreprises bien risquées, aux oreilles de certains, pour la survie du jazz.
Mais il faut se rendre à l'évidence, le jazz n'est pas mort de l'entreprise de débordement des frontières initiée par Ornette Coleman au tournant des années 1950. Don Cherry en avait été l'un des principaux acteurs, au sein du quartet "historique" sans piano, et il avait participé, en 1960, à l'enregistrement de l'improvisation collective en double quartet dont le titre allait devenir le programme d'un renouveau sans précédent : Free Jazz !
Cette libération pouvait s'entendre de diverses manières, et Don Cherry l'entendit chez Albert Ayler, vers 1963, à Copenhague. Leur collaboration devait donner quelques enregistrements où les défenseurs des limites jazzistiques entendirent sonner les trompes de l'apocalypse... Il fallut les rassurer, ce n'était qu'un cornet et un saxophone ténor.
Dans le même temps, Don Cherry pouvait jouer avec Sonny Rollins, autre grand défricheur, mais qui n'a jamais vraiment dépassé les frontières tacitement établies. On peut les voir et les entendre sur cette vidéo filmée à Rome en 1963. On peut reconnaître Billy Higgins à la batterie, et Henry Grimes à la contrebasse. Cependant je n'ai pu identifier la spiquerine de la télévision italienne qui fait une courte apparition, heureusement muette, à la fin...
Sonny Rollins et Ornette Coleman sont devenues des légendes que l'on applaudit debout...
Quant à Albert Ayler et Don Cherry, ils seraient plutôt à ranger au rayon des légendes oubliées : on en cause, on cause, c'est tout ce qu'on sait faire.
Le festival Jazz à la Villette, qui a adopté pour devise "Jazz is not dead", invitait, dimanche dernier, le quartet réuni par Aldo Romano pour l'hommage à Don Cherry qu'il a enregistré, en 2010, sous le titre Complete Communion to Don Cherry.
Bien loin d'être un revival-célébration en costumes, ce concert, davantage encore que le disque, a été une preuve évidente de la vitalité intacte de la musique de Don Cherry.
Pour en donner une idée, voici un extrait d'un concert donné le 30 mars 2011, à l'Odéon de Tremblay-en-France (93), par les quatre complices. Géraldine Laurent est au saxophone alto, Fabrizio Bosso à la trompette, Henri Texier à la contrebasse et Aldo Romano à la batterie. Ils jouent un thème de Don Cherry intitulé Art Deco.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire