dimanche 11 septembre 2011

Supplément culinaire et dominical

Après avoir découvert à la fois l'art et la manière de faire du feu, le "brave néandertalien" normand, qui, en réalité, n'était autre qu'un banal homo sapiens de chez sapiens, mais un peu plus sage que les autres, apprit, lors des longues soirées d'hiver, à se faire cuire les pommes sauvages que son instinct de normand natif ainsi que de souche l'avait conduit à cueillir et à conserver dans un coin de sa masure troglodyte. Durant ces grands moments de convivialité, chaque membre du clan tendait vers la flamme le petit fruit aigrelet au bout d'une pique en bois dont la pointe avait été savamment durcie au feu. Ce n'était pas très goûteux, mais chacun profitait ainsi de la lumière et, surtout, de la chaleur, en devisant gaiement. Preuve de la prégnance de cette coutume, elle est encore pratiquée par l'homme moderne, certains soirs de la fin de l'été, autour d'un feu dit "de camp", où chacun fait rôtir sa golden au bout de sa fourchette, en chantant à l'unisson des cantiques édifiants ou en racontant à tour de rôle des histoires graveleuses tout aussi édifiantes.

Pommes sauvages cueillies sur le site de l'Agropolis-Muséum.

Avec la maîtrise de la cuisson au four, l'humanité devait entrer dans l'ère de la grande cuisine bourgeoise.

Et de la pomme au four.

Mais il fallut attendre que le cuisinier moderne reconnaisse que toute pomme n'était pas bonne à cuire pour que naisse enfin la haute gastronomie.

Sur le choix de la variété à passer au four, je ne craindrai point d'être quelque peu dogmatique. A une exception près, qui sera signalée plus bas, je ne rôtis que la Reinette, et, si possible, la Reinette normande, encore nommée la Bénédictin ou l’Œil de nèfle, variété que mes ancêtres ont patiemment sélectionnée au cours des millénaires en vue de la cuire de toutes manières possibles.

Bénédictin, vue en lumière un peu rouge, sur le site de l'APHN
(Association Pomologique de Haute-Normandie).

La pomme cuite à la berlinoise, selon le protocole décrit par Walter Benjamin, est déjà excellente, mais pourra décevoir celles et ceux qui ont, comme moi, la "goule sucrée" - pour reprendre l'expression de ma grand-mère.

Aussi vais-je vous indiquer la recette basique de mon enfance, qui est probablement celle de ma grand-mère.

Après avoir fait reluire vos pommes sur votre gros pull de laine, les évider* soigneusement de leur cœur-à-pépin.

Remplir la cavité ainsi obtenue avec du sucre, jusqu'au niveau permis par vos derniers résultats de glycémie.

Les disposer dans un plat, allant au four, cela va sans dire.

Ajouter une noix de beurre, ou seulement une noisette, selon votre taux de cholestérol.

Recouvrir d'eau le fond du plat, et enfourner.

Servir à peine attiédi dès que cela vous paraît cuit. Ou avant, selon préférences.

De nombreuses variantes apparaissent dans la littérature spécialisée. Ainsi, il est possible de parfumer le sucre ajouté, et l'on peut débattre longtemps des mérites comparés de la vanille et de la cannelle. On peut aussi déposer les pommes sur des tranches de pain, de brioche ou de pain d'épice - à condition qu'on les beurre largement, et que l'on surveille la cuisson pour éviter une lamentable détrempe, pourquoi pas ?

Cependant il faut signaler que certaines de ces variantes ont de quoi faire frémir.

Tout récemment, j'ai pu lire, sur un site dédié à la propagation du savoir-faire culinaire, une commentatrice suggérant, au prétexte que "les enfants [avaient] beaucoup aimé", de remplacer le sucre par de la pâte nutella...

(Pauvres gosses !)

Je conseillerai plutôt à cette "maman" de remplacer le nutella par une cuillerée à café de gelée de groseille et de faire cuire comme ça.

Et le jour où "les enfants" seront à la fête, d'accompagner le tout d'une simple crème anglaise.

Il n'y a plus qu'à...
(Photo tirée de la recette des bourdelots.)

Les pommes au four peuvent aussi servir de garniture pour certains plats de viande.

La variété Belle de Boscop, cuite au four avec une lichette de calva en son cœur évidé, n'accompagne pas trop mal le boudin grillé, et même très bien l'andouillette de chez nous - qui n'a rien à voir avec celle notée quintuple A, mais gagne aussi à être connue.

Mais je garde toute mon estime pour la Reinette quand il s'agit de s'harmoniser avec le canard, éventuellement réduit à ses magrets. Il ne faut pas hésiter à poivrer généreusement les pommes à caraméliser. Poivre noir, blanc, vert, rose, tout est bon, mais vous atteindrez des sommets si vous trouvez du cubèbe, ou encore "poivre à queue" - à chercher dans les petites boutiques exotiques plutôt que chez les fins épiciers classieux...


* Les magazines féminins que j'ai consultés préconisent l'emploi d'un vide-pomme qui me semble un banal emporte-pièce risquant de forer un trou de part en part dans le fruit, et ainsi d'empêcher toute mise en œuvre correcte de la recette. Je préfère, pour cette délicate opération, utiliser la petite cuillère en argent que j'avais en bouche à la naissance, convenablement affutée sur les bords.

5 commentaires:

Chomp' a dit…

Tant de variantes ...

Je demeure circonflexe

;-)

Guy M. a dit…

Mais ce n'est pas si complexe.

Ysabeau a dit…

Si on achetait moins de nutella, de produits à base de pomme de terre et de graisses industrielles et de boissons sucrées aux enfants ils aimeraient mieux les fruits et les légumes.

Je dois dire que je frémis en pensant à une pomme au four empâtée de cette saloperie nutellesque. C'est tellement bon quand le sucre est caramélisé comme il faut avec le beurre (un chouïa de cannelle peut-être aussi quand la pomme est acide).

Alunk a dit…

Une Belle de Boscop évidée, et fourrée de rillettes, juste passée au four (mangée tiède) ...

Guy M. a dit…

@ Ysabeau,

Ajoutons que, maintenant que les bonnes se font rares, on peut préparer les pommes avec les enfants.

(Et même la crème anglaise : rien de plus stimulant que le coup d’œil du gamin qui vient de réussir à séparer blanc et jaune d’œuf...)

@ Alunk,

J'essaye dès que mes boscops sont mûres. Pour l'instant, c'est encore un peu juste.