mardi 13 septembre 2011

A peine une opinion, mais pernicieuse

Dans le gonflant mouvement d'opposition à la prétendue "introduction de la théorie du genre dans les manuels scolaires", les 80 députés UMP - qui ont rappelé opportunément au Yéti Les 80 chasseurs - ont été rejoints par 113 sénateurs de même tendance - pour être précis, il y a 98 UMP, 12 centristes et 3 non inscrits.

On est loin encore des onze mille vierges (effarouchées), mais on avance, on avance...

Et on avancera d'autant plus vite que "l’Église catholique organise la riposte", ainsi que nous l'apprend un article de Stéphanie Le Bars, dans le Monde, précisant même les dimensions de "la riposte", un livre de 192 page, vendu à 16,80 euros chez l'éditeur Pierre Téqui*.

Signé du Conseil pontifical de la famille.

La présentation de cet ouvrage, sur le site de l'éditeur, ne cache en rien l'intention de peser dans le débat pour lequel monsieur Christian Jacob a audacieusement suggéré que soit mise en place une "mission parlementaire" - on sait que l'on peut compter sur lui pour ne reculer devant rien.

Extrait de ce résumé :

La théorie américaine du Gender, référence des instances internationales (ONU, Unesco, Commission européenne, etc.) et source d’inspiration de nombreuses législations, figure désormais dans les manuels de S.V.T. de 1re L et ES.

(...)

Face au bouleversement identitaire, social et familial, qui se met en place, cet ouvrage présente, dans un esprit critique, les axes fondamentaux du Gender (ses origines féministes et égalitaristes, ses données anthropologiques, sociologiques et psychanalytiques, son évolution depuis les années 1980, etc.).

Enseignants, éducateurs et parents pourront se forger, en toute connaissance de cause, une pensée argumentée et pédagogique à l’adresse des jeunes dont ils ont la responsabilité.

Sept "experts" ont apporté leurs contributions à cette œuvre de salubrité identitaire, sociale, familiale et religieuse. La présentation a été rédigée par le plus expert d'entre eux, Tony Anatrella, prêtre, psychanalyste, spécialiste de psychiatrie sociale, qui est aussi monseigneur au Vatican, où il est "consulteur" au Conseil pontifical pour la famille.

On peut trouver, somme toute, assez savoureuse sa manière de présenter la "théorie du genre" comme "un agencement conceptuel qui n'a rien à voir avec la science" qui "est à peine une opinion", puisque cette description pourrait fort bien convenir pour esquisser ce que l'on peut attendre d'une religion en matière de connaissance.

Mais monseigneur n'a certainement pas le (sacré) cœur à rire, persuadé qu'il est de lutter contre "une idéologie totalitaire, plus oppressive et pernicieuse que l’idéologie marxiste" susceptible d'entraîner "un changement de paradigme remettant en question la différence sexuelle intrinsèque à l'humanité".

(Apocalyptique, non ?)

Malgré lui, probablement, en utilisant ce concept de "changement de paradigme", monseigneur Anatrella daigne accorder à la "théorie du genre" un statut bien plus considérable que celui qu'on accorde ordinairement à "une idéologie" - "totalitaire" ou non -, ou encore à "un agencement conceptuel qui n'a rien à voir avec la science ".

Thomas S. Kuhn (1922-1996) a avancé, en 1962, l'idée qu'une révolution scientifique - pour une fois, je graisse comme un malpropre - est caractérisée par une modification radicale dans la représentation du monde, c'est-à-dire par ce qu'il a appelé un changement du paradigme dominant. C'était dans La Structure des révolutions scientifiques - la traduction française est parue chez Flammarion et se trouve peut-être encore dans la collection Champs. Il s'y appuyait sur l'étude d'un certain nombre de cas repérables dans l'histoire des sciences, mais l'on peut dire que son paradigme du changement de paradigme a été la révolution copernicienne, que notre sainte mère l’Église a mis un certain temps à admettre. On se souviendra , simplement, que ce n'est qu'en 1757 que les livres de Copernic et Galilée ont été rayés de l'Index Librorum Prohibitorum (index des livres interdits par l’Église), et que l'on estime que c'est aux alentours des années 1820-1830 que l'Église et ses fidèles ont fini par accepter complètement cette idéologie pernicieuse d'une Terre tournant autour du Soleil.

Pour Kuhn, ces changements de point de vue, irréversibles, ne peuvent se mettre en évidence qu'à la lumière de l'histoire des sciences.

Mais, puisque dans le cas des Gender Studies, monseigneur Anatrella prophétise qu'elles portent en elles le risque d'un "changement de paradigme" dans le domaine des sciences humaines, espérons qu'il ne se trompe pas.

Sa présence au Vatican lui a peut-être, par contagion, fait acquérir quelque infaillibilité...



* Pour savoir qui est Pierre Téqui et ce qu'il édite, je vous conseille de parcourir son catalogue. J'y ai personnellement découvert un bien intéressant opuscule "qui traite exclusivement de l’Ordre des vierges consacrées. Une vocation féminine par excellence, bien connue aux premiers siècles du christianisme et qui reprend actuellement un essor remarquable. Ce livre donne une lumière nouvelle sur la place qui est dévolue à la femme dans l’Église." Cet ouvrage, de Jeanne Hourcade, a pour titre L'Eglise est-elle misogyne ? Depuis longtemps, cette question me lancine et me taraude, aussi vais-je peut-être le commander...

2 commentaires:

Marianne a dit…

Cet éditeur a publié un écrit sur Victor Hugo au milieu de toutes ses bondieuseries ,

Guy M. a dit…

Pauvre Victor !