lundi 12 septembre 2011

Ma vie sans Jacques Lacan

Puisqu'il ne s'était lui-même jamais privé du plaisir d'en commettre d'exécrables, Jacques Lacan est peut-être l'homme qui a suscité la floraison la plus abondante de jeux de mots, d'à peu près et d'équivoques à prétentions signifiantes, mais de la plus mauvaise qualité qui soit. Le titre-à-la-con grasseyé en couverture du numéro spécial de Libération publié le 11 septembre 1981, deux jours après sa mort, en est un des exemples parmi les plus symptomatiques - si l'on ose dire.

Avec une fierté maison assez naïve, Béatrice Vallaeys se vantait de nous remettre ce titre en mémoire dans un articulet paru samedi :

Avec la mort de Jacques Lacan, Libération a eu l’occasion d’illustrer un de ses talents indiscutables. La une du 11 septembre 1981, consacrée à cette figure de la psychanalyse, reste la plus pertinente de toutes celles qui font la réputation de notre journal : «Tout fou Lacan», écrivions-nous en manchette. Un trait de génie concernant cet intellectuel expert en jeux de mots (...).

Ce qui prouve que, dès la disparition du docteur Lacan, le "trait de génie" s'est fortement dévalué.

Hors de prix, pourtant, chez les bouquinistes.

La célébration du trentième anniversaire de la mort de Jacques Lacan a donné l'occasion à nos médias préférés de nous informer d'une polémique naissante entre Jacques-Alain Miller, ayant droit moral de Jacques Lacan, responsable de l'édition de ses Séminaires - et par ailleurs époux de Judith, née Lacan -, et Élisabeth Roudinesco, historienne instituée de la psychanalyse, biographe de Jacques Lacan - et par ailleurs compagne d'Olivier Bétourné, PDG du Seuil, chez qui sont publiés les Séminaires...

Pour suivre tous les détails de cet impitoyable feuilleton pour intellectuels parisiens, on pourra se reporter aux commérages de Pierre Assouline, qui ont lancé l'affaire, au texticule compassé d'Alain Beuve-Méry, aux considérations bibliobscopiques d'Eric Aeschimann et, enfin, aux divers numéros du Lacan Quotidien.

De quoi vous convaincre qu'il est sans doute préférable de s'affronter à la lecture de Lacan en ignorant tout des chamailleries de ses "héritiers"...

Vient de paraître, encore au Seuil...

Tout en restant dans les histoires de famille, on peut aussi lire ce petit texte dont Jacques Roubaud avait publié une première version en 1989 et qui a été réédité en 2004 aux Éditions de l'Attente - leur catalogue mérite vraiment d'être exploré.

Ma vie avec le docteur Lacan

"Un livre est l'autobiographie
de son titre et comme tel, la narration
d'une singularité", Fin de citation.

1.
A vingt ans je découvris très belle une amie d'enfance. Je l'aimai. Elle s'appelait Sylvia.

2.

Son père était Paul Bénichou. Sa mère, Gina, était née Labin.

3.
Nous allâmes un jour voir un film de Jean Renoir. Le crime de Monsieur Lange. J'appris que l'actrice principale avait été amie très proche de Gina Labin-Bénichou. Son nom était Sylvia Bataille.

4.
Je me rappelle que Paul Bénichou, toujours d'une élégance irréprochable, parla plusieurs fois, en ces temps anciens, des gilets colorés que portait, en leur commune jeunesse, son ami Lacan. Il me semble que c'était avec une discrète ironie.

5.

Nous eûmes une fille, dont le prénom fut Laurence : Laure est un prénom provençal, le prénom de la cousine de mon père, qui vivait à Saint-Jean du Var ; un prénom de poésie. Par ailleurs Laurence Bataille était la fille de Sylvia Bataille.

6.
En 1961, après le suicide de mon frère j'étais, militaire rapatrié médical du Sahara, au pavillon des isolés de l'hôpital du Val-de-Grâce. Le docteur Lacan accepta la responsabilité de ma sortie, et de mon retour dans mes foyers. Il me reçut une heure chez lui. Je ne me souviens que de silence.

7.
En 1965 probablement, en compagnie d'un de mes amis d'alors, le mathématicien Philippe Courrèges, je lus et essayai de comprendre le Séminaire sur la lettre volée.

8.
Un jour, à la fin de 1968 je crois, je reçus un coup de téléphone. Je décrochai et entendis une voix dire : "C'est moi". Il y eut un nouveau silence. "Ici Lacan" (je ne suis pas sûr des ces mots-là, mais je suis certain des deux premiers), "il faut que nous nous voyions."

9.
Nous prîmes donc rendez-vous ; je vins le chercher chez lui, rue de Lille ; nous avons marché dans la rue ; mais il ne m'a pas dit pourquoi il m'avait convoqué.

10.
Ainsi, nous nous étions rencontrés deux fois.

11.
Je ne l'ai jamais revu.

Une belle édition pour le lire en vrai.

Je n'ai jamais vu le docteur Lacan, mais je me demande tout de même ce qu'aurait été ma vie s'il n'avait pas existé...

Autre.

Sans aucun doute.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

un brin merdique ce blog.' l'est temps d'ouvrir les fenêtres et de respirer un bon coup d'air frais, mon gars :)