jeudi 8 septembre 2011

Les heures claires de notre histoire

- Le plus clair de mon temps, dit Colin, je le passe à l'obscurcir.
- Pourquoi? demanda plus bas le directeur.

- Parce que la lumière me gène, dit Colin.

Boris Vian, L'écume des jours,
où le 'pataphysicien énonce, par anticipation et par mégarde, une des devises du sarkozysme.


Quand mes hypothétiques arrière-petits-enfants évoqueront la période, de durée encore indéterminée, que nous vivons, ils parleront probablement, si l'on en croit les autorités, des "n lumineuses", comme nous parlons des "trente glorieuses". Et comme nous nous demandons quelle gloire nous avons bien pu récolter en ces trente-là, ils chercheront, peut-être en vain, à discerner quelle clarté le sarkozysme avait bien pu nous apporter...

Nicolas Sarkozy, posant en docteur illuminé.

Mais voici une histoire très éclairante sur notre radieux temps présent.

Il était une fois deux familles, roms kosovares, ayant quitté la Serbie, où vivre ne leur était plus possible, pour demander l'asile en France...

Les familles Ajeti et Hasani, grands-parents, parents et six enfants de 4 à 11 ans, ont atterri à Clermont-Ferrand en février 2011 et demandé le statut de réfugiés. La commission le leur refusa, et les Ajeti-Hasani firent appel de cette décision.

Le 10 août, le préfet du Puy-de-Dôme, monsieur Francis Lamy, décide de prendre à leur encontre un arrêté de reconduite à la frontière, de le faire arrêter et de les faire placer en centre de rétention. Et, sans doute parce qu'il n'y a pas (encore) de CRA à Clermont-Ferrand, on les envoie à Lille. Le tribunal administratif de Lille annule le placement en rétention, jugé "disproportionné au regard des objectifs", au cours d'une audience tenue le 12 aout.

A leur libération, le village de Saint-Amant-Roche-Savine (Puy-de-Dôme) les accueille dans son camping d'abord, puis leur propose deux logements. "Les Savinois les intègrent à la vie du bourg, et à leur vie tout court", écrit-on dans le journal local La Montagne. La scolarisation des enfants est prévue - dans ce village de 530 habitants, il n'y a pas vraiment de surcharge : le collège y compte, à cette rentrée, 38 élèves, et pas de classe de sixième...

Des liens se sont aussi créés avec les membres de la Compagnie Jolie Môme qui vient régulièrement faire "retraite pour travailler" et organiser des stages d'été à Saint-Amant-Roche-Savine.

Michel Roger, fondateur de la troupe et metteur en scène, le dit tout simplement :

On les a accueilli chez nous. Ils ont participé à la fête du village, ça a créé des liens.

(Car enfin, en faut-il beaucoup plus ?)

J'ai mis lien du "site officiel" sur l'image,
mais il ne fonctionne pas...
(Jolie Môme reviens, s'teuplé !)

J'ignore quel est le "contrat", en nombre d'expulsions menées à leur terme, qui a été fixé au préfet du Puy-de-Dôme - ou qu'il s'est fixé lui-même comme un grand -, mais j'imagine quel crève-cœur cela a dû être de laisser passer ainsi dix "reconduites". Aussi a-t-il décidé de précipiter un peu les choses.

Le jeudi 1er septembre, les forces de l'ordre sont venues arrêter les deux familles, qui ont été, dans la foulée, transférées au centre de rétention administrative d'Oissel, dans la banlieue rouennaise.

Le vendredi, un recours est déposé devant le tribunal administratif de Rouen qui en prévoit l'examen pour le matin du lundi 5 septembre.

Marie Barbier, dans un billet de son blogue Laissez-passer, raconte la suite :

A 9h55, cinq minutes avant la convocation de l’audience, l’avion Air France à destination de Belgrade décolle de Roissy. A son bord, les hommes de la famille Ajeti-Hasini. « Jusque dans l'aéroport, nous avons tenté d'empêcher le départ, de faire intervenir les passagers, le Commandant de bord... raconte la Compagnie Jolie Môme. La Police rétorquait cyniquement qu'annuler ce départ ce serait séparer la famille ». Comble du machiavélisme, l’administration a séparé la famille. La grand-mère, la mère et quatre enfants ont eux décollé quelques heures auparavant de l’aéroport de Boos, près de Rouen, sur un avion de ligne spécialement affrété pour leur renvoi.

Le juge rouennais pouvait bien confirmer la décision du Tribunal Administratif, la préfecture du Puy-de-Dôme avait gagné la course engagée avec la justice.

Et, à Clermont-Ferrand, un(e) sous-fifre pouvait s'apprêter, passée la pause déjeuner, à "saisir" les dix noms à ajouter à la liste des expulsions réalisées...



PS : Cette histoire, qui donne un bon éclairage sur les possibilités ludiques introduites par la loi Besson, a dû sembler bien trop banale aux rédacteurs de la presse nationale qui l'ont écartée de leurs colonnes... Mais, sans doute alertés par les membres du RESF de Rouen, les journalistes de France 3 Haute Normandie en ont fait trois sujets que l'on peut retrouver en ligne :

Oissel (76) : expulsion de familles Roms, qui donne un résumé de l'affaire, avec le point de vue réglementaire de la préfecture...

"Une expulsion choquante", Maitre Madeline, qui laisse la parole à l'avocate des familles...

Des familles Roms expulsées: témoignages, qui présente le récit des familles, arrivées à Belgrade...

Une vue très partielle du centre de rétention d'Oissel.
(Copie d'écran du premier reportage de France 3.)

5 commentaires:

olivier a dit…

J'ai toujours été impressionné par votre culture et la façon dont vous en jouez, parcimonieusement, modestement.

emcee a dit…

Moi, je dis pareil.
Culture, honnêteté et conscience politique. (oui, tout ça :-)

Guy M. a dit…

Hum... Il me semble que, tous deux, vous faites erreur sur la date réelle de ma fête...

(Mais, tout rougissant, je vous remercie.)

emcee a dit…

Il faut profiter, ce n'est pas tous les jours que les compliments fusent de ma part ;-)
Sinon, quoi dire, sur le sujet du jour? Abjection, encore et toujours. On est bien d'accord.

Guy M. a dit…

Oh mais ! je suis bien conscient du caractère exceptionnel de la chose...

(Sur le fond, on est bien d'accord, je crois, en effet.)