lundi 22 août 2011

Le poids d'une vie

Très professionnels, les exécuteurs de métier vous expliqueront qu'il y a l'art et la manière de confectionner un nœud coulant et de le disposer au col du condamné afin qu'il se rompe les vertèbres cervicales à l'ouverture de la trappe. A les croire, les bourreaux, âmes sensibles et humanistes incontestables, préfèrent infliger à leurs clients cette mort un peu brusquée mais tout à fait supportable plutôt que de les laisser prendre le temps de s'étouffer en gigotant au bout de la corde.

De toute façon, et cela ravira les plus subtils des amateurs de dérision, le pendu mourra du poids de sa propre vie.

Et la vie du plus désespéré des désespérés ayant reçu, au nom de la loi, "vocation à" aller se faire pendre ailleurs, aura encore bien assez de poids pour lui permettre de s'étrangler lui-même, ici et tout de suite...

Vision un peu idéalisée de la pendaison.

Samedi 13 août, on pouvait lire dans le Midi Libre :

Un Roumain de 45 ans qui était détenu au centre de rétention de Nîmes depuis le 31 juillet s’est donné la mort par pendaison. Le suicide a été découvert aujourd’hui, à 6 h.

La Cimade précisait, dans son communiqué :

Marius B. avait 45 ans, était marié et père de 2 enfants. D'origine Rom et de nationalité roumaine, il avait vendu tous ses biens pour venir travailler en France sur des chantiers. Il disait ne pas comprendre pourquoi il était ainsi retenu alors que citoyen européen il était seulement venu en France pour travailler.

Et l'on apprenait aussi que les autorités n'avaient pas jugé opportun d'informer du suicide de Marius les membres de la Cimade intervenant dans le centre de rétention où il était enfermé... Ils l'ont appris "par la rumeur" que l'administration, malgré son louable souci de ne pas déranger, n'a pu empêcher de courir.

Cette admirable discrétion de la direction du centre de rétention a été bien suivie par les quotidiens et hebdomadaires nationaux. Peut-être attendront-ils les résultats de l'enquête diligentée "pour déterminer les circonstances exactes [du] décès" de Marius ?

Laquelle conclura probablement à l'entière responsabilité de l'intéressé, qui a choisi de se pendre dans ce centre où, réglementairement, il avait tout pour être heureux en attendant son expulsion.

(Jean-Paul Nuñez, cité par le Midi Libre : "Les étrangers se trouvent dans une situation de néant, sont considérés comme du superflu. Toutes les considérations humaines sont mises de côté. Ces centres nouvelles générations sont à mettre au musée des horreurs. Il faut les fermer.")

Le très moderne et fonctionnel CRA de Nîmes.

La vie de Marius a cessé de peser sur le sol français où elle n'était pas bienvenue...

Mais, face à sa mort choisie en désespoir de tout, je ne peux toujours pas comprendre pourquoi cette vie était une charge insupportable pour la France.

5 commentaires:

Christine a dit…

Mais tu sais bien que c'est pas la question, le poids de cette vie. La question c'est seulement de caresser dans le sens du poil l'électorat bbf (brun bas du front)... quel qu'en soit le prix en souffrances qui ne comptent pas pour les gens de pouvoir.

Quand les juges font leur boulot : http://www.liberation.fr/societe/01012355292-une-famille-rom-en-retention-liberee-pour-traitement-inhumain-et-degradant

Ysabeau a dit…

Ben si on comprend quand le raisonnement type, par ailleurs, est :

un type qui perçoit 500€ par mois est un assisté et un cancer social mais un type qui est payé 4500€ par mois pour ne pas délivrer les heures de cours pour lesquelles il est payé n'est pas un profiteur ni un resquilleur et c'est tout à fait normal et quand 45 millions d'euros au titre de préjudice moral pour dix mois de prison (VIP et pour les motifs de corruption et de subornation de témoin) contre 1 million d'euros pour une erreur judiciaire ayant abouti à 15 ans de prison (le condamné avait 16 ans au moment des faits), donc une vie foutue.

C'est euh logique... pas très rationnel, ne serait-ce que d'un point de vue strictement économique mais il y a une cohérence.

Guy M. a dit…

@ Christine,

Mais tu sais bien que je comprends si lentement qu'on dirait que je ne veux pas comprendre...

(Merci pour le lien : tu répares un oubli de ma part; j'aurais dû le glisser en post-scriptum.)

@ Ysabeau,

La logique voudrait sans doute que l'on considère toute vie égale à n'importe quelle autre. Avec éventuellement une valeur nulle : "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie".

Marianne a dit…

Nous avons laissé se construire des centres de rétention partout en France .Gestion couteuse et inhumaine , j'espère au moins que c'est Bouygues qui réalise ....
Cette France la n'a plus d'âme .

Guy M. a dit…

Je ne sais pas trop qui construit les cra, mais je suis sûr que c'est une entreprise sérieuse...