dimanche 28 août 2011

Un blogueur de moins à l'Élysée

Il faut bien reconnaître que, à quelques accommodements près, la pensée sarkozyste la plus constante, depuis le début, est celle qui s'acharne avec détermination et rigueur à "résoudre" le "problème" de l'immigration. Cette doctrine est, on le sait, produite par quelques neurones mercenaires, issus de la haute administration et exerçant à l’Élysée avec le titre - ou le rang, je ne sais - de conseiller spécial - ou ordinaire, je ne sais - du président de la République.

L'un des éléments essentiels du réseau neuronal produisant la pensée relative à la politique sarkozyenne sur l'immigration, euphémisée technocratiquement en "gestion des flux migratoires", était monsieur Maxime Tandonnet, officiellement conseiller affaires intérieures et immigration auprès de la présidence de la République. Son nom est loin d'être inconnu des opposants à ses idées qui ont eu maintes occasions de lui envoyer des courriels (bien polis, surtout bien polis) de protestation, mais cette notoriété reste tout de même assez limitée. Seuls les plus attentifs d'entre nous reconnaîtront en lui le plumitif présumé rédacteur du discours sécuritaire xénophobe prononcé par monsieur Nicolas Sarkozy, le 30 juillet 2010, à Grenoble.

Discours de Grenoble : le président entre ses deux souffleurs.
(Photo : L. Cipriani / AP / SIPA.)

Monsieur Tandonnet est aussi membre de la blogosphère depuis le 7 octobre 2010, date à laquelle il a ouvert son blogue personnel, qui porte le titre sans ambiguïté de "Maxime Tandonnet - Mon blog personnel", par une notule souhaitant la bienvenue à ses lecteurs et explicitant ses intentions :

Alors que de nombreuses informations infondées, malveillantes, parfois insultantes, ont été colportées à mon sujet par certains médias sur Internet ces derniers temps, cet espace vise à vous permettre de vous forger votre propre opinion.

Vous y trouverez des éléments vous permettant de mieux me connaître, bien au-delà de l’image caricaturale et blessante qui a pu être donnée de moi-même.

On peut estimer qu'il y a beaucoup mieux à faire que de chercher à connaître un "passionné d’histoire et de musique classique, joueur de tennis, (...) également l’auteur de nombreux ouvrages à caractère historique ou en relation avec des faits de société", mais puisqu'il est par ailleurs penseur à plein temps de monsieur Nicolas Sarkozy depuis 2005, pourquoi pas ?

En ses débuts, la page auto-promotionnelle de monsieur Tandonnet était alimentée de billets présentant son dernier ouvrage (1940 : un autre 11 novembre, Tallandier, 2009), d'un article paru dans la revue de l'AAEENA (association des anciens élèves de l’ENA) , de notes de lectures (sur Le déni des cultures de Hugues Lagrange ou sur Le paradoxe français de Simon Epstein), d'un florilège de citations personnelles (Péguy, Nietzsche, Churchill, Chateaubriand et Montaigne)... Les convictions du blogueur apparaissaient, bien sûr, de manière bien marquée par un changement de style, comme en témoigne ce passage extrait du billet du 13 janvier 2011, intitulé Du pacifisme à l’angélisme :

L’angélisme est aussi une version contemporaine du pacifisme au sens où il place les bons sentiments humanitaire au premier plan de ses valeurs. Il secrète une fausse générosité, fondée sur le principe d’accueil inconditionnel, sans la moindre considération ni pour le sort réel de celui qui est accueilli ni pour l’impact de sa venue dans le pays de destination. Il se nourrit d’hypocrisie, de tartufferie, de bigoterie : l’accueil oui, mais jamais chez moi, pas dans mon jardin, ni dans mon quartier, ni dans l’école de mes enfants. Il déteste la vérité, érige en tabous absolus des questions de société comme celle de l’identité. Il développe enfin une intolérance, une haine féroce envers ceux qui osent s’en prendre au dogme, aussitôt insultés, dénoncés, diabolisés, jetés en pâture, traînés dans la boue ou devant les tribunaux.

(Cette phraséologie ne nous est pas totalement étrangère, on peut même dire qu'elle est tout à fait nationale...)

Au fil des texticules postés par notre blogueur, ces fermes convictions sont de plus en plus détaillées, dans ce même style méprisant et condescendant qui est souvent l'apanage du possesseur de vérité - vérité en grande partie fondée, dans le cas de monsieur Tandonnet, sur son interprétation infaillible des statistiques.

Pourtant, en bon bordelais d'origine, notre penseur se pose comme un grand lecteur de Montaigne - on a échappé au pire car c'était lui, ou Mauriac, ou Sollers... On le savait depuis la lecture de son carnet de citations préférées, mais il nous le rappelle encore dans un billet du 25 juillet où il prétend, "sans prétention", exposer des "réflexions sur la nature humaine", vieux poncif du conservatisme bien conservé. Il le fait en des termes quelque peu dédaigneux envers les lecteurs de son blogue :

Montaigne est l’un de mes auteurs favoris. Les Essais, écrits en vieux français, sont d’un abord difficile au début ; mais, à condition de se plonger dans l’œuvre, on s’habitue au style tortueux de l’écrivain qui recèle une pensée d’une modernité et d’une lucidité parfois époustouflants (sic).

Incontestablement, de ce Montaigne "d’un abord difficile au début" et "au style tortueux", mais "d’une modernité et d’une lucidité parfois époustouflantes", notre lecteur n'a pas trop retenu les grandes leçons de scepticisme...

(On peut lui suggérer, par exemple, cette citation qui semble applicable aux façons que nous avons de construire des vérités incontournables : "Ce que j’opine, c’est aussi pour déclarer la mesure de ma vuë, non la mesure des choses." Essays, II,10,389a.)

Maxime Tandonnet, lecteur de Montaigne et blogueur.
(Photo : Michel Monteaux / Le Figaro Magazine)

Quelques temps après le départ de monsieur Claude Guéant au ministère de l'Intérieur, notre modeste blogueur allait livrer, en date du 1er avril 2011, un billet, intitulé Le garrot, qui devait notamment attirer l'attention d'Abel Mestre et Caroline Monnot, rédacteurs du blogue Droite(s) Extrême(s). Dans ce texte, monsieur Maxime Tandonnet feint de s'interroger sur ce qu'il désigne comme "une prolifération de décisions des juridictions dans les domaines régaliens" qui, selon lui, "deviennent un obstacle réel à la conduite des politiques". Il décrit ainsi ladite "prolifération" :

Un double mouvement est ainsi à l’œuvre : d’une part l’empilement de lois européennes, de règlements et de directives, qui échappe au contrôle des autorités nationales les décisions étant prises à la majorité qualifiée et en « codécision » avec le Parlement européen ; d’autre part des juridictions, européennes et française, cour de justice européenne, cour européenne des droits de l’homme, conseil constitutionnel, cour de cassation, conseil d’État qui s’appuient sur ces textes, sur ces normes pour développer des jurisprudences dont l’effet est d’entraver l’action des pouvoirs publics.

(Sur les sept exemples donnés de telles entraves à la bénéfique "action des pouvoirs publics", les six premiers concernent les questions d'immigration...)

Notre haut fonctionnaire voit soudain "l’État de droit (...) s’emballer, devenir comme fou, au détriment de l’autorité politique, contre le pouvoir du peuple et celui de ses représentants élus, contre la démocratie". Et, avant de conclure par un joli lieu commun toujours efficace, "trop de droit finit par tuer le droit", il place son "analyse" idéologique :

(...) les instances européennes, les juridictions suprêmes font partie de ces élites sous l’emprise de la pensée unique sur la sécurité et l’immigration, qui privilégient les droits formels des individus sur l’intérêt général ou celui des personnes dans leur vie quotidienne.

Puis il dégaine "son" idée :

On ne pourrait vraiment sortir de ce mécanisme que par une logique de recours au référendum, si un jour les conditions politiques le permettaient sans risque de confusion entre la question posée et un vote de protestation. Face à une décision émanant directement du peuple, on peut supposer que les hautes juridictions choisiraient de se soumettre, sauf à abolir ouvertement la démocratie.

Cette sophistique populiste n'est, de toute évidence, pas très éloignée de celle du Front National, ainsi que l'ont souligné Abel Mestre et Caroline Monnot. Mais elle est surtout nourrie de la volonté de rendre possible un des grands rêves de tous les régimes autoritaires : se débarrasser de tout contrôle juridique dans la mise en application des décisions prises par l'exécutif au nom de "l’intérêt général".

Après tout, lieu commun pour lieu commun,
on ne va pas se priver...


Il n'est pas impossible que l'expression publique de telles opinions ait été jugée inopportune par le nouveau secrétaire général de la présidence de la République française, monsieur Xavier Musca - à l'époque, le Figaro a annoncé que monsieur Maxime Tandonnet allait mettre son blogue en veilleuse sur les sujets politiques...

Le 24 de ce mois, le même Figaro annonçait que, n'ayant pas "su trouver sa place dans la nouvelle équipe élyséenne, remaniée après le départ de" monsieur Claude Guéant, "le coauteur du discours de Grenoble quitt[ait] l'Élysée", et le 25, "Maxime Tandonnet - Mon blog personnel" confirmait partiellement l'information.

Aussitôt, un communiqué de madame Marine Le Pen, présidente du Front National, rendait un hommage très appuyé au conseiller écarté :

Nicolas Sarkozy envoie un signal très clair en se privant des services de son conseiller Maxime Tandonnet : il n’y a strictement rien à attendre de lui en matière d’immigration.

(...)

En effet, dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, Maxime Tandonnet était l’un des seuls à avoir une vision réaliste du grave problème de l’immigration massive.

Malheureusement, Nicolas Sarkozy n’a jamais suivi la ligne de son conseiller, en menant une politique d’immigration très laxiste (203 000 étrangers légaux accueillis en 2010 en France, un record, contre 114 000 en 2000 sous Lionel Jospin).

L’éviction de Maxime Tandonnet marque cependant une étape supplémentaire : seule la bien-pensance immigrationniste est désormais tolérée dans les couloirs de l’Elysée.

Il semble bien que l’intéressé n'ait pas apprécié ce beau, mais peu discret, témoignage d'estime.

Il a jugé bon d'y répondre, en une "mise au point", postée hier, où il "déplore et rejette toute récupération politicienne [le] concernant" - graissé dans le texte - et où il affirme :

Je ne suis en aucun cas « anti-immigration » (...).

On ne fera pas d'ironie facile - je crois que monsieur Tandonnet n'aime pas cela -, mais on pourra tout de même remarquer que c'était très bien imité.


2 commentaires:

yelrah a dit…

Ce pôvre avait tant donné ...

Guy M. a dit…

Je ne te l'ai pas fait dire...

(Ça m'avait démangé, et puis je me suis dit qu'on allait m'accuser de copier le K-nard.)