samedi 20 août 2011

Le goût des mirabelles

Lorsque je me suis installé dans la maison que je continue d'occuper à Trifouillis-en-Normandie, m'est venu le désir évident, impératif et catégorique, de planter, sur le terrain qui la borde, un mirabellier. Et ce n'est que plus tard que je me suis rendu compte que je n'avais fait que réinstaller dans cette vallée toute proche du "plateau"où je suis né et ai grandi une part déjà largement oubliée de mon enfance.

A l'arrière du logis familial s'étendait un pré clôturé, en grande partie occupée par l’affairement stupide d'une troupe de poulets qui se faisaient d'enviables mollets en courant inutilement ici et là dans les limites imposées par un grillage assez distendu. Au fond, le long d'un mur de torchis, deux ou trois antiques charrettes achevaient leurs carrières, bien calées sur leurs brancards qui se perdaient dans les touffes d'orties. Elles possédaient encore leurs roues, mais elles finirent par les perdre : avec la vogue commençante des résidences secondaires, elles devinrent objet de convoitise pour les campagnards du dimanche qui rêvaient de les inclure en des bricolages déshonorants ou d'en extraire le seul moyeu afin de l'utiliser comme pied de lampe - voire comme support de pot de géraniums...

Cette étagère follement campagnarde
a au moins le mérite de prouver que
les ploucs ne sont pas ceux que l'on croit.
(En vente sur internet.)

A quelques encablures des carrioles abandonnées se tenait "mon" mirabellier. C'était un petit prunier exténué, à l'écorce crevassée, tout écaillée de lichens grisâtres. Ses branches tordues et desséchées portaient bien peu de feuilles et, chaque année, beaucoup moins de fruits que de feuilles, comme si son grand âge l'avait fait retomber à l'enfance de l'arbre. Mais ces fruits si rares étaient des mirabelles, les admirables mirabelles que je finissais par faire tomber sur l'herbe après avoir jalousement surveillé les étapes de leur avancée vers la maturité.

Le petit arbre finit par mourir, mais pas avant d'avoir eu un dernier sursaut de vitalité. Il se couvrit de fruits, et ses branches ployaient et cassaient sous la charge. Mais ce fut la dernière fois. Bien que je sois incapable de donner une date précise - étais-je encore à l'école du village, ou déjà "en pension" à Rouen ? -, je me souviens de la pointe de tristesse ressentie l'année suivante, la première année sans mirabelles.

Mirabelles de Trifouillis, 2011, détail.

Il faut croire que j'ai été le seul à vivre cet événement, puisqu'aucun(e) de mes frères et sœurs n'en a gardé le moindre souvenir...

D'ailleurs, personne n'accordait de soins particuliers aux arbres fruitiers qui vivaient leurs vies d'arbres fruitiers dans un certain abandon. Selon la tradition familiale, cela avait été, jusqu'à sa mort, l'affaire de mon grand-père paternel qui avait, je crois, planté un petit verger de poiriers et de pommiers "à couteau" à l'entrée du grand potager. Il taillait, amendait, élaguait, et, une fois la récolte faite, aimait, là-dessus les témoignages sont unanimes, confectionner de grandes tartes aux pommes qu'il faisait cuire dans le four à pain de la ferme.

(Je n'ai pas connu mon grand-père pâtissier occasionnel, à qui je dois peut-être la présence de "mon" mirabellier; il m'a fallu être déjà bien avancé en âge pour m’intéresser à lui et à son histoire. Des bribes recueillies, me hantera encore longtemps, je crois, l'image, insensée mais pleine de sens, de l'ancien poilu des environs de Verdun faisant creuser une tranchée à proximité de la maison familiale, en cette période, suivant le débarquement de Normandie, où, après avoir bombardé les ponts de la Seine, les avions alliés avaient un peu trop tendance à se délester du matériel explosif en surnombre au-dessus de notre plaine...)

Mirabelles de Trifouillis, réserve 2011, détail.

Pour moi qui n'ai jamais vraiment quitté l'école, les mirabelles ont toujours eu le goût de la fin de l'été et de la rentrée prochaine, qui mêle délicatement le sucré parfumé et la discrète amertume caractéristique de toute prune (digne de ce nom).

Un goût de "carpe diem, mais ça va pas durer"...

Tout le monde aura noté, pour cette année, une avance de trois semaines de l'arrivée à maturité des mirabelles. Le fait a été suffisamment remarquable pour que l'AFP publie une dépêche où sont reprises les publi-informations des producteurs de Lorraine, avec de judicieuses suggestions d'utilisation :

Le fruit est traditionnellement décliné en confiture, compote, coulis, sirop et tartes réalisées avec la "petite (mirabelle) de Metz", indique-t-on au Syndicat mutualiste des cuisiniers d'Alsace-Lorraine. "Mais avec la congélation, on peut faire toute l'année avec la 'grosse de Nancy' du crumble confit au miel de lavande, des beignets, du nougat glacé, des pruneaux, des sorbets voire du yaourt", ajoute-t-on.

Autant vous dire tout de suite que la "moyenne (mirabelle) de Trifouillis" a été, à la même période, récoltée par mes soins, et que je me suis bien gardé de la "décliner". Je l'ai dégustée, congelée, confite, conservée au sirop, tout ce que vous voudrez, mais surtout pas "déclinée"...

Et pour la première fois de ma vie, ce n'est qu'après avoir gaulé, ramassé et accommodé mes fruits que je suis parti en vacances.

En me disant qu'il n'y avait peut-être plus de saisons, mais que je m'en moquais : cette année, je ne ferai pas la rentrée...

Et je n'en ressens aucune amertume.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

La mirabelle qui vient d'être cueillie est certes à ce moment-là la meilleure.
Mais la "déclinaison" en confiture vaut tout de même rudement le coup, je trouve (cuisson au chaudron, de préférence)...

Alexandra

Guy M. a dit…

Je rate souvent les confitures, mais ça ne m'empêche pas de persévérer dans mes tentatives.

Et surtout les déguster...

Marianne a dit…

Signe de corvée pendant ma jeunesse champenoise , je bave devant le prix des mirabelles dans mon quartier !

Guy M. a dit…

Un arbre, ça va, mais sur des hectares, ça doit lasser...