jeudi 18 août 2011

Gendarmes et voleurs

Quand on jouait encore aux gendarmes et aux voleurs, tout l'art du gendarme était de se trouver où le voleur ne l'attendait pas, alors que celui du voleur était de de ne pas se trouver où le gendarme l'attendait.

Dans le sérieux de la vraie vie, on peut dire que c'est à peu près la même chose, la rigolade en moins...

Et la science logicielle en plus.

Un article d'Erica Goode dans le New York Times, en partie repris par Corentin Chauvel dans 20minutes, révèle, en un scoupe estival qui fleure bon le marronnier, qu'un nouvel outil informatique, actuellement expérimenté à Santa Cruz, en Californie, pourrait apporter à l'avenir d'importantes modifications dans la tagadatactique du gendarme. Il s'agit d'un programme de prédictions criminologiques permettant à la maréchaussée d'être dans les lieux où ça craint au moment même où ça se passe.

Si on admet que ce type de prémonitions pifométriques basées sur les statistiques de la criminalité courante n'est pas vraiment nouveau, on insiste bien sur la scientificité pure et dure de cette expérience (santa)cruciale.

Cela donne, chez Corentin Chauvel :

Le logiciel de Santa Cruz est en tout cas le plus sophistiqué jamais utilisé, celui-ci se basant sur les modèles de prédiction des répliques de séismes. Il génère ainsi des projections sur les lieux et les horaires où les risques de futurs crimes sont les plus forts grâce à une base de données recensant tous les délits commis par le passé. Les projections sont rééditées chaque jour en fonction des nouveaux crimes qui ont lieu dans la ville.

(Ce qui me semble être une tentative presque désespérée d'adaptation française de la prose un peu plus claire, quoiqu'étazunienne, d'Erica Goode :

But Santa Cruz’s method is more sophisticated than most. Based on models for predicting aftershocks from earthquakes, it generates projections about which areas and windows of time are at highest risk for future crimes by analyzing and detecting patterns in years of past crime data. The projections are recalibrated daily, as new crimes occur and updated data is fed into the program.)

Pour renforcer la prétention au sérieux scientifique de la chose, un lien renvoie le lecteur à une sorte de présentation en 9 diapositives qui pourrait, j'en suis sûr, faire grande impression dans les commissariats de quartier.

Tout à fait convaincant, non ?

Pour ceux qui évoqueraient en ricanant les inénarrables spots publicitaires pour les pâtes dentifrices traquant la plaque dentaire jusque dans les coins - souvenez-vous de ces superbes séquences où un bellâtre au sourire éclatant et en blouse blanche commente la courbe d'évolution des populations de bactéries bouffeuses d'émail tout au fond de nos cavités buccales -, on précisera que ce programme a été mis au point par un solide groupe de chercheurs, comprenant deux mathématiciens, George Mohler et Martin Short, un anthropologue, Jeff Brantingham, et un criminologue, George Tita. Il n'y a peut-être pas lieu de cesser de ricaner, car cela soulage, mais on admettra qu'il y a là de quoi impressionner ceux des lecteurs qui ont la religion de la science...

Et pour ceux qui adhèrent avant tout à la culture du résultat, on soulignera que, "utilisé pour des vols de voitures mais également des cambriolages de maison, le programme a permis la prévention de plusieurs crimes et l’arrestation de cinq personnes" et, surtout, que la police de Santa Cruz "a recensé une baisse de 27% de cambriolages en un mois (par rapport à juillet 2010)".

Les truands n'ont pas encore mis au point leur propre logiciel prédictif, semble-t-il...

On distingue ici quelques endroits où des cambriolages n'ont pas eu lieu.

Les responsables de la police américaine, cités par Erica Goode, ont l'air très contents de ce logiciel très scientifique et semblent persuadés que son expérimentation est d'ores et déjà, après un mois et demi, un remarquable succès...

A la fin de son article, elle donne la parole à un certain Scott Dickson qui fait profession de "crime analyst" à Killeen, au Texas. Il estime que les programmes permettant de prévoir, et donc de prévenir, les délits sont, d'une certaine manière, des extensions assez naturelles des techniques couramment utilisées par des firmes comme Wal-Mart pour prévoir les habitudes consuméristes des clients qui fréquentent leurs magasins.

Voilà qui, en dégonflant quelque peu le baratin présentant le programme de Santa Cruz comme une géniale adaptation des modèles de prévision des répliques sismiques, éclaire un peu mieux la source d'inspiration des deux mathématiciens-tâcherons qui ont travaillé à son élaboration...

Et, bien sûr, cela amène à penser que, dans un avenir assez proche, le logiciel pourra indiquer à quelle heure et en quel lieu se présentera le futur délinquant, en précisant sa taille, son genre et, évidemment, la couleur de sa peau.


PS : J'ignore si ces techniques de pointe font partie du fameux "savoir-faire" français. A tout hasard, j'ai lancé l'un des plus brillants de mes anciens élèves, actuellement sans emploi, dans une recherche analogue, en lui suggérant de transposer le modèle de l'étude diagnostique des arythmies cardiaques - monsieur Guéant, à qui nous comptons proposer nos résultats, devrait y être sensible - dans le domaine de la prédiction criminologique.


2 commentaires:

iGor a dit…

Vou-ha. Quand on sait la merveilleuse capacité à l'aveuglement des êtres humains face aux probabilités (nucléaire ou subprimes)...

Il serait tout à fait erroné de croire que les inégalités et l'idéologie de l'intérêt personnel puisse avoir une quelconque incidence sur les motivations des cambrioleurs.

By the way, le logiciel permet-il de prévoir où et quand l'élite des entreprises privées va cambrioler la caisse du contribuable, et ensuite lui faire remarqué qu'il s'est tout à fait inconsidérément endetté?

Guy M. a dit…

Ce logiciel ne semble s'intéresser qu'aux délits dûment répertoriés et sanctionnés par la loi...

Dans le domaine de la finance, les analystes quantitatifs, qui sont une variété de mathématiciens dévoyés, ont fait la preuve de leur prodigieuse capacité de nuisance, bien aidés, il est vrai, par notre très grand respect de la théorie des probabilités qui est en train de devenir une des rares certitudes de ce monde incertain.