jeudi 4 mars 2010

Une réserve bien gardée

Il est assez réconfortant de jeter un coup d'œil sur l'agenda en ligne du Comité de soutien pour le retour de Najlae.

En cliquant sur le bandeau, vous accéderez au site du comité de soutien.

J'espère qu'au Maroc, où elle a été expéditivement expulsée à l'aube du samedi 20 février, Najlae Lhimer peut se tenir informée des actions menées par tous les amis qu'elle ignorait peut-être avoir dans la région, et que cela lui remonte le moral...

Régulièrement maltraitée et battue par le frère chez qui elle s'était installée, en 2005, pour échapper à un mariage arrangé par son père, Najlae s'était rendue, le 18 février, à la gendarmerie de Montargis dans l'intention de porter plainte. Le lendemain, elle a été placée en garde à vue, puis en rétention. Le samedi 20, à 4 heures du matin, Najlae a appelé ses amis pour leur apprendre qu’elle prendrait l’avion pour Casablanca à 7h 35.

On trouvera les détails, ainsi que les premières réactions, dans l'article de Mourad Guichard, dans Libé-Orléans., et sur la page du site du RESF (où vous pourrez signer la pétition pour le retour de Najlae).

Le 25 février, à l'Assemblée nationale, madame Nadine Morano a été interrogée sur le cas de Najlae. Sa réponse, qui ne distingue pas par une attention excessive à la personne humaine prénommée Najlae, donne la version officielle des circonstances de cette expulsion, et tente de montrer, évidemment, cela va de soi, l'absolue régularité de la procédure.

Si les routines administratives ont été régulièrement respectées, son laïus a été préparé par une "note" que la préfecture du Loiret a fait "remonter"...

Peu satisfait de cette intervention, et en contestant certains points, le RESF 45 a mis en ligne une "Note récapitulative" qui constitue une "Réponse à madame Morano et à tous les représentants de l'État qui préfèrent servir une leçon bien apprise plutôt que de reconnaître leurs torts."

C'est une lecture indispensable, qui montre bien que l'ignominie réside dans les détails.


Selon la République du Centre, la manifestation de samedi dernier à Orléans a réuni cinq cents personnes, dont quelques élus ou candidats:

Le président socialiste du conseil régional, candidat à sa succession, a participé à la manifestation, tout comme le sénateur Jean-Pierre Sueur (PS), Farida Megdoud de Lutte ouvrière, les élus communistes Michel Ricoud et Marc Brynhole, des représentants d'Europe Écologie, des Verts...

Monsieur Bernard Fragneau, préfet du Loiret et préfet de la région Centre, n'a pas souhaité recevoir les associations à l'issue de la manifestation, et a fixé un rendez-vous pour le 2 mars.

Monsieur le préfet est bien aimable.

La délégation a bien été reçue à la préfecture du Loiret, et on peut en trouver un compte-rendu sur la site du RESF.

On ne s'étonne pas trop d'y lire les positions coutumières d'un haut fonctionnaire au garde-à-vous:

Selon le préfet du Loiret :

- Les procédures d’interpellation et d’expulsion sont pleinement justifiées.

- Maintenant qu’il relève du gouvernement, le dossier est clos à ses yeux puisque la préfecture n’a plus son mot à dire.

(...)

- Quant à Najlae, elle aurait refusé de porter plainte. Alors pas question de la protéger !

Mais on y trouve aussi un étrange reproche adressé aux associations:

- Les soutiens ont participé au montage de cette affaire de toutes pièces en raison de la période électorale. La préfecture en veut pour preuve : l’accueil en un temps record de Najlae au Maroc, la mobilisation immédiate des médias et les rapides prises de position de politiques.

A croire que le préfet se monte le bourrichon sous sa casquette à feuilles de chêne...

Il est vrai qu'en période électorale, la mobilisation des politiques, ça fait très mauvais effet, et quand on est soucieux de sa carrière, on en deviendrait parano.

Alors, pour sa défense, monsieur Bernard Fragneau s'est fendu d'un communiqué sournoisement offensif, écrit en grande pompe préfectorale.

(Car, incontestablement, monsieur le préfet a du style: pour dire "si l'occasion se présente", il dit "si l'opportunité m'en semble avérée".)

La République du Centre, en sa version papier, donne de larges extraits de ce communiqué:

La récente reconduite au Maroc de Mlle N. Lhimer donne lieu depuis quelques jours à une polémique soigneusement organisée et à l'occasion de laquelle approximations et contre-vérités sont assénées avec une déconcertante assurance.

La participation à cette polémique de certains élus achève de donner à ce dossier une connotation politique et électoraliste évidente.

Tenu par le devoir de réserve qui s'impose à tout membre du corps préfectoral en période électorale, et placé de ce fait dans l'impossibilité de m'engager dans toute apparition ou déclaration publique, je respecterai ce devoir républicain même s'il est patent que certains ont choisi d'exploiter sans le moindre scrupule cette situation singulière - et confortable pour eux - dans laquelle la seule voix qui puisse se faire entendre est celle de l'accusation sans nuance. Le service de l'État, et la neutralité qui en fonde la fierté, imposent cette attitude.

Ce n'est donc qu'une fois retrouvée la faculté républicaine de m'exprimer, soit après le 21 mars, que, si l'opportunité m'en semble avérée, je répondrai à ceux qui ont délibérément choisi le recours à l'outrance.

On peut tout de même se demander si ce bel exercice stylistique contourné ne dépasse pas d'un poil les bornes de la réserve préfectorale...

5 commentaires:

JBB a dit…

Si c'est là un vocabulaire limité par le devoir de réserve, je n'ose imaginer ce que ce doit être quand le préfet ne se sent pas la bride sur le cou et prend le mors aux dents… Lefèbvre n'a qu'à bien se tenir, il a un concurrent sérieux, là.

Guy M. a dit…

On va voir ce qu'on va voir quand il aura retrouvé cette fameuse "faculté républicaine" de s'exprimer !

Vivement l'équinoxe de printemps...

cyclomal a dit…

On comprend mieux comment l'administration française a pu naguère s'enferrer dans des postures intenables, et aujourd'hui maudites, mais aussi pourquoi elle a alors commis, avec la meilleure conscience du monde et en donneuse de leçons, de très très mauvaises actions; Et combien elle en est en bonne partie restée là, absoute et rétablie dans son "honneur" par la non-repentance.

Avec du potentiel costumé en réserve, faites chauffer la légion d'honneur pour les serviteurs serviles!

Alors, oui, vivement le jour où Monsieur le Préfet va pouvoir librement débonder ce qu'il a en tête. Je me sens prêt à affronter son style pour mieux me convaincre de la fécondité d'un certain ventre...

olive a dit…

Sans vouloir du tout (mais alors vraiment pas du tout du tout) justifier la position du préfet, il se peut que la clause «si l'opportunité m'en semble avérée» signifie, dans une tournure classique du dernier chic, "si j'estime que cela s'avère opportun", plutôt que "si l'occasion se présente" (où l'on a un décalque erroné, passé en français "relâché", du faux ami anglais opportunity, qui signifie occasion et non pas opportunité).

Il ferait beau voir que le style se relâche, tiens ! tandis que «sous les lustres à facettes / Il pleut des orangeades / Et des champagnes tièdes et des propos glacés / De femelles maussades / De fonctionnarisés».

Passé cette minute de pinaillerie philologique, «l'opportunité me semble avérée» de dire merde à Monsieur le Préfet.

Guy M. a dit…

@ Cyclomal,

Chaque jour, il me semble que ce ventre s'arrondit un peu plus...

@ Pièce détachée,

Tu as raison de me rappeler à la vigilance: j'ai sans doute eu tort de penser que le préfet usait d'un franglosaxon "relâché".

Il est trop "chic" pour cela...