Il y a assurément, en ce bas monde et cette triste vie, beaucoup de choses plus intéressantes à faire que de battre sa femme.
Et pourtant...
Certains de nos contemporains trouvent des tas de bonnes raisons de le faire.
La lecture récente d'un livre consacré à la "psychologie évolutionniste"(*), que l'on abrège en evopsy (evolutionary psychology) pour avoir l'air au parfum, m'a permis d'en découvrir une irréfutable explication scientifique.
L'evopsy est une approche de la psychologie qui ne cache pas son ambition de devenir un nouveau "paradigme" scientifique.
Pour Leda Cosmides et John Tooby, de l'Université de Santa Barbara, qui ont présenté les grandes lignes de l'evopsy dans leur article, Evolutionary Psychology: A Primer, la psychologie est la "branche de la biologie qui étudie (1) les cerveaux, (2) comment les cerveaux traitent l'information et (3) comment les programmes du cerveau traitant l'information génèrent le comportement".
Partant de l’idée selon laquelle la psychologie humaine a dû être soumise aux pressions sélectives tout autant que la morphologie, les évo-psychologues cherchent à appliquer les grands principes des théories de l’évolution (sélection naturelle et sélection sexuelle) à la psychologie.
Leda Cosmides et John Tooby posent cinq principes axiomatiques:
1 Le cerveau est un système physique. Il fonctionne comme un ordinateur. Ses circuits sont conçus pour générer des comportements appropriés aux circonstances environnementales.
2 Nos circuits neuronaux ont été déterminés par la sélection naturelle pour résoudre les problèmes auxquels nos ancêtres ont eu à faire face pendant l’histoire de l’évolution de notre espèce.
3 La conscience n’est que le haut de l’iceberg ; la plus grande partie de ce qui se passe dans votre esprit vous est caché. En conséquence, votre expérience consciente peut vous tromper en vous amenant à penser que l'ensemble de vos circuits neuronaux est plus simple qu'il ne l'est vraiment. La plupart des problèmes que vous trouvez faciles à résoudre sont très difficiles à résoudre - ils exigent un ensemble de circuits neuronaux très compliqués.
4 Des circuits neuronaux différents sont spécialisés pour résoudre des problèmes adaptatifs différents.
5 Notre crâne moderne abrite un cerveau qui date de l’âge de pierre.
Bien entendu, ces postulats sont plus ou moins discutés et affinés par les chercheurs croyants et pratiquants de l'evopsy, ou de tout champ disciplinaire qui s'en inspire. Mais il semble qu'en ce qui concerne les processus de l'évolution, la plupart adoptent une version de la théorie dite du "gène égoïste", popularisée par Richard Dawkins dans son livre de 1976.
Pour faire bref, comme ouiquipédia:
Dawkins soutient que mettre au centre de l'évolution le gène est une meilleure description de la sélection naturelle et que la sélection au niveau des organismes et des populations ne l'emporte jamais sur la sélection par les gènes. On attend d'un organisme qu'il évolue de façon à maximiser son aptitude inclusive (le nombre de copie de ses gènes qui sont transmis). En conséquence, les populations auront tendance à atteindre des stratégies évolutionnairement stables.
Malgré les mises au point de Dawkins, il n'a pu empêcher que se développe, à partir de sa terminologie assez maladroite de l'égoïsme du gène, une conception idyllique (!) de l'espèce humaine engagée dans une compétition de tous contre tous, régulée par la "main invisible" de la génétique...
Je ne sais pas si celui-ci est égoïste,
et vainqueur de la compétition,
mais il est de toute évidence anglo-saxon.
et vainqueur de la compétition,
mais il est de toute évidence anglo-saxon.
Les plus candides des lecteurs/trices qui ont réussi à lire jusque là ont déjà compris qu'en montant en mayonnaise ces hypothèses basiques, les évopsychologues peuvent nous éclairer sur les étranges stratégies d'accouplement qui permettent la perpétuation de notre espèce.
D'après Susan MacKinnon (*):
Selon eux, si les hommes et les femmes adoptent des stratégies de reproduction différentes, c'est en raison de leur asymétrie d'origine biologique, qui les destine chacun à un mode différent d'investissement parental. Ils suggèrent que quand les hommes et les femmes cherchent à maximiser leurs chances de reproduction, ils doivent chacun résoudre des problèmes d'adaptation différents. Étant donné le temps relativement long qu'elles consacrent à la reproduction, le problème auquel les ancêtres femelles ont été confrontées était de trouver les ressources pour subvenir aux besoins de leur progéniture. Pour les hommes, dont la participation reproductive était relativement courte, le problème était tout autre, et concernait essentiellement l'accès au plus grand nombre de femmes fertiles.
L'ancêtre mâle ayant appris à déceler cette fertilité des ancêtres femelles en utilisant certains indicateurs physique, on comprend ainsi Pourquoi les femmes des riches sont belles (**)...
Susan MacKinnon montre très bien à quel point ce "modèle" ignore la diversité des moyens utilisés dans les société humaines pour fabriquer des liens, des parentés, des filiations, hors du strict lignage biologique.
Comme ça ne me gêne pas trop d'être en retard d'une ou deux révolutions scientifiques, j'ai, au début de ma lecture, suspecté Susan MacKinnon de charger un peu la barque pour couler ses collègues (elle enseigne l'Anthropologie culturelle à l'université de Virginie).
Un grand nombre de copieuses citations m'a convaincu que les collègues arrivaient à se couler tous seuls...
A titre d'exemple:
Tout est rationnel
Les psychologues évolutionnistes se targuent de donner des explications parcimonieuses, qui le sont en effet, au sens où tout s'explique par la même rationalité génétique sous-jacente. Même les actes les plus irrationnels et les plus destructeurs donnent l'impression d'être rationnels et productifs. Prenons l'exemple de la jalousie. Dans son livre Une Passion dangereuse: la jalousie(***), David Buss explique que la jalousie, une émotion apparemment irrationnelle, est en priorité le fait des hommes, et que celle-ci serait une réaction adaptative rationnelle à l'incertitude perpétuelle de la paternité des hommes. Les psychologues évolutionnistes affirment que la jalousie se manifeste chez l'homme comme une réaction à l'éventualité d'une «menace réelle», à savoir que sa partenaire ait pu commettre un adultère et, par conséquent, qu'il puisse perdre une opportunité de se reproduire avec sa partenaire (ou d'en trouver une autre) mais aussi potentiellement «gaspiller» son investissement paternel avec des enfants qui ne sont pas les siens.
Buss fait du concept de jalousie une sorte de détecteur inconscient de fumée, même s'il n'emploie pas cette métaphore. C'est la jalousie (et non l'homme) qui détecte la fumée de l'infidélité et sonne l'alarme quand l'incendie de l'infidélité se déclare (et souvent, comme avec les fausses alertes, l'alarme sonne même s'il n'y a pas d'incendie). Le détecteur d'infidélité agit conformément à un calcul inconscient de reproduction; il s'ensuit que l'homme n'a pas besoin d'être conscient des «signaux» ou de comprendre pourquoi il ressent de la jalousie. La jalousie sonne l'alarme pour susciter les actions appropriées de la part de la partenaire d'un homme; la jalousie le protégera d'un éventuel adultère et de la perte de son potentiel reproducteur et de ses investissements. Ainsi donc, la «rationalité» de la jalousie est censée résider dans sa fonction de mécanisme de détection qui «voit» la véritable situation (là où la vision de l'homme pourrait être brouillée) et effectue un recalibrage de la relation pour protéger ses chances de reproduction (et pas nécessairement celles de la femme).
L'hypothèse d'une logique génétique «souterraine» permet à Buss et à d'autres psychologues évolutionnistes d'interpréter des actions comme fondamentalement rationnelles et adaptatives, même celles qui paraissent les plus irrationnelles, quand par exemple la jalousie devient obsessionnelle et qu'elle s'accompagne de violences malgré la fidélité de la partenaire. Buss arrive à tirer cette conclusion à partir d'une preuve qui la contredit. Il rapporte que
des chercheurs ont interrogé un échantillon de femmes battues et les ont divisées en deux groupes: les femmes du premier groupe avaient été violées et battues par leur mari, tandis que les femmes de l'autre groupe avaient été battues mais pas violées. Ces deux groupes ont ensuite été comparés avec un groupe de contrôle composé de femmes n'ayant subi aucune violence. Les chercheurs ont demandé à ces femmes si elles avaient «déjà eu des relations sexuelles» avec un autre homme que leur mari alors qu'elles vivaient au domicile conjugal. Dix pour cent des femmes n'ayant subi aucune violence avaient eu une relation extraconjugale, vingt-trois pour-cent des femmes battues avaient trompé leur mari, et quarante-sept pour-cent de celles qui avaient été battues et violées ont reconnu être adultères. Ces statistiques révèlent que l'infidélité d'une femme augmente la probabilité pour un homme d'avoir une conduite violente.
Le fait qu'une forme violente de jalousie se manifeste en dépit du fait qu'une majorité de femmes (soixante-dix-sept pour-cent des femmes battues et cinquante-trois pour-cent des femmes battues et violées) n'ait pas commis d'adultère, est passé sous silence. Poursuivant tranquillement dans le même registre, Buss explique que la jalousie violente est «efficace» parce que quand «les hommes font peser une menace crédible... ils réduisent la probabilité d'une infidélité ou d'une rupture» et, par là, la jalousie empêcherait que les hommes perdent la bataille de la prolifération génétique. Buss et Duntley vont même jusqu'à postuler le développement chez les hommes d'un «module de meurtres de conjoints», qui, suivant une analyse du coût-bénéfice, dicterait le meurtre d'un «partenaire sexuel» pour différentes raisons: pour réduire les coûts d'une paternité incertaine et de la mauvaise orientation d'un investissement parental (quand un homme présume que sa femme attend un enfant d'un autre homme) ou pour empêcher que l'épouse déserte le foyer conjugal pour un autre homme. L'homicide est ainsi simplement perçu, du point de vue du meurtrier, comme une «solution adaptative pour réduire le coût [de la reproduction]».
Pardonnez la longueur de cet extrait, mais ces preuves "scientifiques" des lieux communs décomplexés méritent qu'on s'y arrête un peu.
(*) La génétique néolibérale. Les mythes de la psychologie évolutionniste, de Susan McKinnon, traduit de l'étazunien par Sophie Renaut, 2010, éditions de l'éclat, dans la collection Terra Cognita
(**) Pour reprendre en partie le titre du livre que Philippe Gouillou a consacré à cette thématique: Pourquoi les femmes des riches sont belles : programmation génétique et compétition sexuelle, Duculot, 2003.
(***) David Buss, Une passion dangereuse : La jalousie, éditions Odile Jacob, 2005. De David Buss a également été traduit Les stratégies de l'amour, InterEditions, 1997.
6 commentaires:
Ah, l'evopsy ! On y publie des papiers souvent discutables qui sont ensuite encore caricaturés par la presse qui les reprend avec un enthousiasme proportionnel à leur capacité à fournir des titres croustillants...
Un exemple particukièrement éloquent : l'idée que "les filles préfèrent le rose, par atavisme de la cueillette des fruits rouges" http://articles.alambic.ch/delirium/index.php?page=rose-bleu.html
Tous les défauts de cette approche se résume en une phrase :
“If every human behaviour can be seen as a by-product of evolution, then the by-product idea is useless, for a theory that explains everything is merely a truism.”
— Jerry A. Coyne et Andrew Berry, « Rape as an adaptation ». Nature, 404: 121-122, 2000.
Je regrette beaucoup de ne pas avoir connu plus tôt cette spécialité: quel confort !
Tout explique n'importe quoi, et réciproquement.
(Mais pourquoi les garçons préfèrent-ils le bleu ?)
Mince, j'ai pas tout compris, faut que je l'avoue.
Mais aussi, dès ce moment-là, ça parait mal : "Le cerveau est un système physique. Il fonctionne comme un ordinateur."
Le mien est un Windows, alors : il plante en permanence…
C'est vrai qu'à l'âge de pierre, dans la savane, le modèle le mieux adapté fonctionnait sous Linux.
Il va falloir que tu lises S. McKinnon...
A propos de Susan, on va dire que je vais me contenter de ce que tu rapportes (en même temps, ça a déjà l'air suffisamment gratiné comme ça…)
Mouais, mais tu n'oublieras pas d'apporter un "vrai" mot d'excuse...
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