Plus sûrement que les hirondelles, les poètes ont la charge quasiment institutionnelle d'annoncer l'arrivée du printemps...
Du moins depuis la création du "Printemps des Poètes".
La douzième édition se déroulera du 8 au 21 mars 2010, autour du thème "Couleur femme".
Il n'est pas certain que nous vivions un temps où se trouve enfin "brisé l’infini servage de la femme", mais il est grand temps de proclamer qu'elle est "poète, elle aussi !"
Et que parfois, elle peut "vivre en poésie".
C'est le choix qu'a fait Valérie Rouzeau.
Pour la découvrir, si ce n'est déjà fait, il faut profiter de la récente réédition en livre de poche, à La Table Ronde, dans la collection La petite vermillon, de deux de ses recueils, Pas revoir et Neige rien.
Le premier qui a été initialement publié en 1999 par les éditions Le Dé Bleu, avait permis de "découvrir" la voix de Valérie Rouzeau: la première édition en a été épuisée en moins d'un an (ce qui est, on l'admettra, assez rare pour un livre de poésie).
Mais il suffit d'ouvrir le recueil pour être empoigné:
Toi mourant man au téléphone pernoctera pas voir papa.
Le train foncé sous la pluie dure pas mourir mon père oh steu plaît tends-moi me dépêche d'arriver.
Pas mouranrir désespérir père infinir lever courir -
Main montre l'heure sommes à Vierzon dehors ça tombe des grêlons.
Nous nous loupons ça je l'ignore passant Vierzon que tu es mort en cet horaire.
Pas mourir steu plaît infinir jusqu'au couloir blanc d'infirmières.
Jusqu'à ton lit comme la loco poursuit vite vers Lyon la Part-Dieu.
Jusqu'à ton front c'est terminé tout le monde dans la petite chambre rien oublier.
Valérie Rouzeau dit de cet adieu à son père qu'il "est sorti tel quel avec ses mots coupés":
"J'avais en fait les rythmes avant d'avoir les mots. En allant à pied au cimetière."
Ces rythmes et ces mots bousculés par ces rythmes, on peut les entendre dans la voix de Valérie Rouzeau elle-même lisant des pages de Pas revoir, mise en ligne par Libération.
(En espérant que le lien soit encore efficace pour quelque temps...)
Le second recueil de cette réédition, Neige rien, publié en 2000 aux éditions Unes, creuse encore davantage les rythmes et les mots, jouant sur leurs sonorités et même, à l'image du titre quasi palindromique, sur leurs lettres...
Mais il s'agit aussi d'un livre de colère:
La colère on en a... c'est pourquoi j'ai voulu que le livre soit imprimé en rouge. Voir rouge, le rouge de la colère et des graffitis.
(Cette volonté n'est pas respectée dans l'édition de poche, au lecteur de lire "rouge"...)
La colère est tournée contre le fait qu'un P.D.-G. va gagner en un mois ce que ses ouvriers gagnent en dix ans. Elle est là mais je ne peux pas l'écrire comme ça. Ça ferait un tract ou un slogan. Dans Neige rien, il faut entendre aussi "N'ai-je rien". Il n'y est question que de gens démunis
Un bon début,
puis vous lirez Va où, Récipients d'air, Quand je me deux,
aux éditions Le Temps qu'il fait.
puis vous lirez Va où, Récipients d'air, Quand je me deux,
aux éditions Le Temps qu'il fait.
Valérie Rouzeau est aussi une traductrice de poésie de langue anglaise.
On lui doit de très belles traductions de Sylvia Plath, de William Carlos Williams et de Ted Hughes.
Elle traduit avec une liberté attentive, comme on pourra en juger sur cette traduction d'Ariel de Sylvia Plath, qui me semble être une véritable "lecture" du poème original :
Stasis in darkness.
Then the substanceless blue
Pour of tor and distances.
God's lioness,
How one we grow,
Pivot of heels and knees! ― The furrow
Splits and passes, sister to
The brown arc
Of the neck I cannot catch,
Nigger-eye
Berries cast dark
Hooks ―
Black sweet blood mouthfuls,
Shadows.
Something else
Hauls me through air ―
Thighs, hair;
Flakes from my heels.
White
Godiva, I unpeel ―
Dead hands, dead stringencies.
And now I
Foam to wheat, a glitter of seas.
The child's cry
Melts in the wall.
And I
Am the arrow,
The dew that flies,
Suicidal, at one with the drive
Into the red
Eye, the cauldron of morning.
Un moment de stase dans l’obscurité.
Puis l’irréel écoulement bleu
Des rochers, des horizons.
Lionne de Dieu,
Nous ne faisons plus qu’un,
Pivot de talons, de genoux ! ― Le sillon
S’ouvre et va, frère
De l’arc brun de cette nuque
Que je ne peux saisir,
Yeux nègres
Les mûres jettent leurs obscurs
Hameçons ―
Gorgées de doux sang noir ―
Leurs ombres.
C’est autre chose
Qui m’entraîne fendre l’air ―
Cuisses, chevelure ;
Jaillit de mes talons.
Lumineuse
Godiva, je me dépouille ―
Mains mortes, mortelle austérité.
Je deviens
L’écume des blés, un miroitement des vagues.
Le cri de l’enfant
Se fond dans le mur.
Et je
Suis la flèche,
La rosée suicidaire accordée
Comme un seul qui se lance et qui fonce
Sur cet œil
Rouge, le chaudron de l’aurore.
Puis l’irréel écoulement bleu
Des rochers, des horizons.
Lionne de Dieu,
Nous ne faisons plus qu’un,
Pivot de talons, de genoux ! ― Le sillon
S’ouvre et va, frère
De l’arc brun de cette nuque
Que je ne peux saisir,
Yeux nègres
Les mûres jettent leurs obscurs
Hameçons ―
Gorgées de doux sang noir ―
Leurs ombres.
C’est autre chose
Qui m’entraîne fendre l’air ―
Cuisses, chevelure ;
Jaillit de mes talons.
Lumineuse
Godiva, je me dépouille ―
Mains mortes, mortelle austérité.
Je deviens
L’écume des blés, un miroitement des vagues.
Le cri de l’enfant
Se fond dans le mur.
Et je
Suis la flèche,
La rosée suicidaire accordée
Comme un seul qui se lance et qui fonce
Sur cet œil
Rouge, le chaudron de l’aurore.
(Ariel, de Sylvia Plath, traduit de l’anglais, présenté et annoté par Valérie Rouzeau, éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2009.)
PS: Comme j'ai quelque scrupule à avoir utilisé deux fragments de Rimbaud, je restitue la citation complète:
« Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra par elle et pour elle, l’homme, — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son envol, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu! Ses mondes d’idées diffèreront-ils des nôtres? Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses; nous les prendrons, nous les comprendrons. »
Arthur Rimbaud.
Lettre adressée à Demeny, le 15 mai 1871.
4 commentaires:
Cette traduction est extraordinaire.
— «Dans quelle mesure la lecture d'un traducteur doué [...] affecte-t-elle notre perception de l'original ?»
C'est Alberto Manguel qui nous invite à y rêver, au chapitre «Le traducteur en lecteur» de Une histoire de la lecture (Actes Sud, 1998).
Il m'avait semblé aussi, malgré mon tout petit anglais...
Je suis bien content que tu confirmes mon impression.
Et je vais, de ce pas, tenter de retrouver le livre de Manguel (le problème avec lui, c'est qu'il est inclassable, et que je n'ai pas prévu de rayon pour les inclassables).
La solution : un rayon pour les livres qui changent tout le temps de place ?
;-)
Certes, mais je change souvent mes rayons de place.
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