Selon toute apparence, les grands médias nationaux, pourtant aussi friands que les autres en matière de faits divers un peu glauques et de démêlées procédurières de haut vol, ont très largement anticipé la trêve des confiseurs et ont préféré se priver d'une goûteuse friandise un peu faisandée.
Seul, en effet, Nice-Matin, quotidien au rayonnement azuréen, semble avoir suivi, aux assises des Alpes-Maritimes, le procès où comparaissaient quatre gardiens de la paix. Trois d'entre eux étaient accusés de "viol par personne abusant de l'autorité conférée par ses fonctions" ; au quatrième on reprochait son "abstention volontaire d'empêcher un crime ou un délit contre l'intégrité d'une personne". Face à eux, la plaignante : une jeune femme de 27 ans, que la presse présentait, au moment des faits - fin février 2010 -, comme une prostituée exerçant son activité à Nice "sans autre but que de nourrir son enfant".
On a pu apprendre, au soir du 15 décembre, que les quatre accusés avaient été acquittés.
Le parquet pourrait faire appel, mais on ignore encore ce que le parquet en a à cirer...
de Jean-Baptiste Jouvenet (1644-1717).
Musée du Petit Palais, Paris.
Les faits se sont produits pendant la nuit du 23 au 24 février 2010. Comme dans toutes les affaires passant aux assises, il est probable qu'aucun récit absolument véridique n'en sera jamais fait. On peut, cependant, tenter de retrouver les contours qu'en traçait la presse avant le procès, en regroupant ce qui était clairement établi, ce qui avait été constaté et ce qui avait été avoué.
Vers deux heures du matin, une patrouille de quatre agents du service de sécurité de proximité de la ville de Nice, arrête son fourgon non-banalisé - il paraît que l'on dit "sérigraphié" - à la "hauteur d'une jeune femme qui racolait, un verre de boisson alcoolisée à la main" (article du 12 décembre 2011). On peut lire, dans un article du 2 mars 2010, que selon le procureur, monsieur Eric de Montgolfier, les policiers auraient voulu "la protéger d'un rôdeur qu'ils avaient repéré". Ils n'ont cependant pas averti le commandement de leur "intervention".
Toujours est-il que la jeune femme est montée dans le véhicule de police.
Trois des gardiens de la paix ont alors eu des relations sexuelles avec elle, et le quatrième, le plus jeune, a attendu, sans intervenir, à l'extérieur.
Après le départ des policiers, la jeune femme appelle le "17" afin de porter plainte.
Immédiatement un équipage de police secours vient entendre sa version des faits. Les présumés agresseurs sont identifiés. Leur ronde de nuit est écourtée. La version fournie par la jeune prostituée semble suffisamment crédible pour que l'on saisisse sur le champ les tenues des quatre fonctionnaires incriminés. (article du 2 mars 2010)
Le parquet de Nice fait aussitôt saisir le véhicule pour perquisition. L'Inspection générale de la police nationale est chargée de l'enquête et les quatre hommes sont suspendus de leurs fonctions. L'un d'eux sera même radié de la police. (article du 12 décembre 2011)
Malgré ma volonté initiale de m'en tenir aux seuls faits avérés, je ne puis résister au plaisir de citer cette opinion, qui conclut l'article du 2 mars 2010 :
S'il n'est pas question de "cautionner de tels dérapages", plusieurs fonctionnaires niçois pointaient hier du doigt la jeunesse de l'équipage incriminé. Le plus âgé des quatre policiers a 38 ans.
A croire qu'on a la maturité un peu tardive, dans la police niçoise...
(Photo : Richard Ray, dans Nice-Matin.)
C'est sans doute pour soutenir le moral de cet "équipage" de jeunots que "de nombreux policiers en civil" étaient venus à l'ouverture du procès de leurs anciens collègues...
Le premier jour a été consacré à l'évocation des personnalités respectives des quatre accusés que l'article du 13 décembre décrit comme "quatre sportifs dont deux de stature athlétique, rigoureux dans leur tenue".
Le matin, ils "ont été présentés comme des fonctionnaires sans tache, exemplaires, jusqu'à cette nuit-là, des policiers qui rêvaient d'exercer leur métier". Les deux experts convoqués, un psychiatre et un psychologue, leur ont délivré un certificat de "normalité", dépourvu de traces de "pathologies et perversité".
L'après-midi, les "témoins de moralité" ont défilé à la barre pour portraiturer chacun en bon mari, bon père, bon beau-père, bon compagnon, bon frère, bon beau-frère...
C'est au cours de l'audience du mardi que le récit de la plaignante sera entendu :
Reprenant les faits chronologiquement, la jeune femme a expliqué sa première réaction face à des policiers qui lui reprochaient, selon elle, une consommation d'alcool sur la voie publique : "J'ai d'abord pris çà sur le ton de la plaisanterie, mais j'ai compris qu'ils allaient m'arrêter. (...) J'étais coincée dans un véhicule avec quatre policiers, puis on m'a emmenée dans un coin sombre. Que pouvais-je faire ? Ils m'ont dit c'est toi la professionnelle, tu sais ce qu'il faut faire. Alors j'ai fait une passe… J'ai obéi aux ordres, pour m'en sortir avec un moindre mal". (article du 14 décembre)
Cette jeune femme, que l'on nous dit "fluette", est en face d'un escadron d'avocats de la défense, dans leurs rôles, et d'un président de cour d'assises, dans le sien, qui bien souvent consiste à jouer tous les rôles en même temps. C'est d'ailleurs lui qui introduit la thématique attendue dans une affaire de viol :
"Par votre attitude auriez-vous laissé entendre que vous étiez consentante ?"
Demande-t-il.
Et l'un des avocats reprendra :
"Avez-vous eu un rôle exclusivement passif, avez-vous obéi à des instructions ou bien avez-vous pris des initiatives ?"
C'est le jeu : le moindre geste vaguement interprétable comme le début de l'amorce d'un consentement fera tomber l'accusation de viol...
Aussi s'interrogera-t-on bien davantage sur ces signes d’acquiescement que sur les contraintes éventuellement ressenties par la jeune femme.
(L'image était non floutée dans Nice-Matin.)
(Photo : Richard Ray.)
Le lendemain, la parole est à ces messieurs, qui insisteront sur le caractère consenti de la baise en groupe qui a eu lieu dans le fourgon, et aussi sur la demande d'une contribution de 20 € qui a été faite aux trois actifs à l'issue d'icelle. Le compte-rendu (article du 15 décembre) laisse supposer qu'un délicat parfum de virilisme décomplexé a envahi le prétoire.
Le chef de patrouille - désigné par la plaignante comme ayant entrainé les autres :
"Je n'ai donné aucune consigne à mes collègues : je veux bien être le chef de patrouille mais pas celui des ébats ! Elle nous a chauffés, oui, on ne jouait pas aux cartes !"
"Aviez-vous l'intention de payer ses charmes ?", questionne le président. "Non, pas du tout, réplique le policier déjà révoqué. Pour les 20 € qu'elle a réclamés à la fin, on n'a pas pris les choses au sérieux."
Le chauffeur du fourgon :
"Elle était très avenante. Elle nous a dit qu'elle pouvait être très gentille et a été particulièrement active…"
Question clé du président : "Pourquoi ferait-elle ça ?" Réponse surréaliste du policier, qui fait sourire, d'un air entendu, l'avocat général Eric Camous : "Peut-être pour se mettre bien avec nous… Ça arrive avec des commerçants : ils ne veulent pas qu'on les paye. Que voulez-vous qu'on fasse ?"
Le doyen de la bande :
(...) pour lui, c'est bien la prostituée qui les a "allumés" : "Je pense qu'elle voulait récupérer un peu d'argent après sa soirée perdue. Mais on n'a pas relevé : elle nous a même donné des lingettes après, c'était irréel… "
Et le benjamin abstinent :
"Si j'avais perçu chez elle la moindre hésitation…"
Au fond, nos trois messieurs ne sont pas si mécontents d'eux-même, et Me Véronique Wilhem, avocate de la jeune femme, dans sa plaidoirie, évoque leur satisfaction :
"Ils sont tous persuadés que la victime a pris du plaisir…"
Il semble bien, en effet, que les trois principaux prévenus aient eu à cœur non seulement de prouver leur droit de prendre leur plaisir en insistant sur l'accord de leur partenaire, mais encore de rassurer sur leur virilité en affirmant qu'ils lui en avaient donné, du plaisir...
(Mais ils oublient un peu vite, je crois, que la simulation de la jouissance est un bon moyen, et largement utilisé dans la profession, pour hâter les choses lorsque le meussieu tarde à se décongestionner...)
Me Véronique Wilhem ajoute :
"Mais non, dans ce camion, elle n'était plus rien, elle n'était même plus bonne à être payée : quand elle demande les 20 €, tout le monde rit…" (article du 16 décembre)
de Jean-Baptiste Jouvenet (1644-1717).
Rennes, Musée des Beaux-Arts.
Que la plaignante ne soit plus rien, les avocats de la défense s'y emploieront avec le bel esprit que l'on déploie habituellement en cour d'assises...
Et malgré les réquisitions de l'avocat général - dix ans pour le chef de patrouille, huit ans pour les deux autres participants et un an pour le non-participant -, la cour et les jurés ont prononcé l'acquittement des prévenus.
Ce commentaire du président de la cour, monsieur Thierry Fusina, n'a pas été relevé dans Nice-Matin :
"Il y avait des zones d’ombre dans ce dossier. Nous n’avons pas considéré que la victime avait menti, ça n’est pas un blanc-seing." (Metro, 15 décembre)
Étrange déclaration, car on peut supposer qu'un magistrat de son rang pèse ses mots, et n'utilise pas celui de "victime" à tort et à travers.
Elle pourrait servir de point de départ à une interrogation sur ce qu'a eu à subir cette "victime" - qui, aux yeux de la cour, n'aurait pas menti -, si cela n'est pas un viol...
Mais pour cela, il aurait peut-être fallu s'intéresser à ce qui a été dit lors de ce procès...
PS : Notons tout de même une autre source d'intérêt : le discours qu'on y a entendu, pour autant que l'on puisse en juger d'après quelques articles de presse, semble avoir été largement à la "hauteur" du fameux "troussage de domestique" ricané par un célèbre ancien journaliste semi-gâteux.
2 commentaires:
Euh...
Au fait, comment ça s’appelle, déjà, un régime où la police fait sa propre loi ?
R. Kulpouhareaux
Une démocratie mal barrée...
(Mais qui est à la barre ?)
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