vendredi 16 décembre 2011

Faux viol et vrais coupables

Avec application, et un dictionnaire en ligne, je tente de lire une langue que je ne parle pas et que je n’entends que comme la langue de l'opéra, ou comme celle d'un cinéma resté pour moi essentiellement en noir et blanc.

Una bambina. «Io lo amo» dice. E lui ? «Anche lui. Me l’ha detto»

Deux ou trois notes mélodramatiques ?

Non, plutôt le début d'un très mauvais film.

Ce serait pour protéger cet amour de l'inquisition parentale que la "bambina", une jeune fille de 16 ans, aurait menti, avec l'aide de son frère, en disant avoir été agressée et violentée par deux jeunes gens du camp Rom de la Continassa - dans la banlieue de Turin. Cette histoire, reprise et propagée par la rumeur et par les journaux, a servi de prétexte à une descente punitive sur le campement. Il a été détruit et incendié le 10 décembre par une foule que même la révélation du mensonge, faite par le frère, n'a pas su arrêter.

Le quotidien turinois où je déchiffre cela n'a pas été le dernier à relayer la fiction du viol. Il s'en était excusé dans son numéro du 11 décembre. On peut en trouver une traduction dans un billet du blogue Mediapart de Charles Heimberg :

Hier, dans le titre de l’article qui racontait le "viol" du quartier Le Vallette, nous avons écrit : "Il met en fuite les deux Roms qui violaient sa sœur". Un titre qui ne laissait place à aucune autre possibilité, ni sur les faits, ni surtout sur la provenance ethnique des "violeurs".

Nous n’aurions probablement jamais écrit : il met en fuite deux "Turinois", deux "ressortissants d’Asti", deux "Romains", deux "Finlandais". Mais avec les "Roms", nous sommes tombés dans le titre raciste. Raciste sans le vouloir, bien sûr, mais raciste quand même. Un titre pour lequel, aujourd’hui, la vérité étant connue, nous voulons demander pardon. À nos lecteurs, et surtout à nous-mêmes. (La Stampa, 11 décembre 2011)

Étrangement, La Stampa ne semble guère songer que cette demande de pardon de pure forme, nourrie de creuse rhétorique - "surtout à nous-mêmes" (!!!) -, aurait pu s'adresser d'abord à celles et ceux qui ont été les victimes de ce ratage journalistique...

Mais les lecteurs, en compensation peut-être, en auront pour leur argent en matière d’éclaircissements... Ils apprendront que cela avait été la "prima volta" pour la jeune fille, qu'elle avait saigné et sali ses vêtements, et qu'elle avait eu peur de la réaction de ses parents. En rentrant à la maison, elle avait rencontré son frère et mis au point avec lui son scénario accusateur...

Allusion est faite à l'inquiétude des parents - on peut appeler ça comme ça - concernant les fréquentations de leur fille, mais c'est dans un commentaire de Charles Heimberg que je lis ceci :

Dans sa chronique Buongiorno d'aujourd'hui dans La Stampa, Massimo Gramellini nous apprend que la jeune fille qui a inventé cette histoire de viol était soumise par ses parents à un contrôle mensuel de virginité.

Ce qui n'empêchera pas le père, en avouant avoir été dépassé par les événements, de déclarer :

Quale genitore non avrebbe creduto alla propria figlia? Nessuno di noi ha avuto il minimo dubbio.

Si la famille a laissé se propager la rumeur, c'est que des parents ne peuvent que croire ce que dit leur propre fille, sans avoir le moindre doute.

En toute confiance, n'est-ce pas.

Photo : La Stampa.

A quelques centaines de mètres de cette maison où l'on se cherche de pauvres excuses et où l'on pleure beaucoup en demandant pardon, un champ de ruines calcinées.

On trouve des détails sur l'enchaînement des événements dans un billet d'un autre blogue Mediapart, celui de chiara.v.

Après la divulgation de la fausse nouvelle du viol de la jeune fille, un tract a été distribué dans les boîtes aux lettres pour appeler à une marche de protestation qui a rassemblé 500 personnes. Ce tract, "qui pointait des Roms installés illégalement dans le voisinage, dans une ferme en ruines", les aura au moins alertés : la plupart d'entre eux avaient quitté les lieux, tout en laissant sur place leurs maigres biens, tentes, voitures, caravanes...

Le cortège défile, aux flambeaux, mais vers la fin de la manifestation, une centaine de jeunes cagoulés, armés de bâtons, de barres de fer et de pierres pénètrent dans le camp et entreprennent de le saccager et de le brûler. Quelqu'un crie "Attention, il y a peut-être des enfants !” Réponse : "Où est le problème ? On les crame eux aussi." La police, arrivée sur les lieux en nombre insuffisant, est impuissante. (...)

Apparemment, la centaine de jeunes appartiendrait majoritairement à deux clubs de supporters ultra de la Juve, appelés "Bravi Ragazzi" (les Bons Garçons, appellation qui leur va comme un gant) et "Drughi". Et la ferme était destinée à devenir le nouveau siège de la Juve.

Photo : La Stampa.

Selon chiara.v, qui a posté son billet au lendemain du raid, "deux personnes ont été arrêtées, mais pas des supporters"...

Et la jeune fille a été mise en examen.

Mais n'ont pas été inquiétés ceux qui, par des discours que nous connaissons bien également de ce côté-ci des Alpes, ont largement contribué à arrimer dans sa petite tête affolée que le violeur idéal, le violeur le plus crédible aux yeux de ses parents, était justement un Rom.

N'importe lequel - et s'il y en a deux, c'est encore mieux...

4 commentaires:

Olivier a dit…

Ce fait divers est d'une tristesse absolue et montre que, malheureusement, les chasses aux sorcières musclées ont de beaux jours devant elles.

Guy M. a dit…

Cette tristesse n'est pas loin de nous envahir. On a vu fleurir des tracts et affichettes dénonçant les nuisances d'un squat de Roms, on a vu des "voisins" défiler...

Et le petit voleur universel est désigné comme "roumain".

babelouest a dit…

Et le grand voleur universel, celui qui n'est jamais cité, s'appelle Lloyd Blankfein. Sa "petite entreprise" est située 200 West Street à Manhattan.
http://i40.servimg.com/u/f40/11/40/28/12/goldma10.jpg

Mais lui ne risque rien...

Guy M. a dit…

L'immeuble penche un peu quand même.

Ou est-ce le cadrage ?