En découvrant, sur le site de Rue 89, le "grand entretien" avec Catherine Millet, un premier étonnement, minuscule : ainsi donc, cela ne fait que 10 ans qu'a été publiée La Vie sexuelle de Catherine M. !
De cette lecture, que je découvre pas si ancienne que je l'aurais cru, me reste surtout le souvenir d'un long texte ennuyeux, essentiellement descriptif, dont le seul tour de force m'avait semblé être de pouvoir discourir de vie sexuelle en évitant presque totalement de parler des plaisirs qui en font, dit-on, le principal agrément. Si je me souviens bien, l'auteure y évoque davantage, en diverses figures avec ou sans style, son excitation que sa jouissance...
A cette impression, ajoutons un certain agacement à entendre un peu partout célébrer l'écriture de ce livre qui, en somme, ne faisait qu'appliquer le déjà vieux procédé littéraire de l'écriture blanche au récit d'une autobiographie sexuelle - au sens où l'on parle d'autobiographie intellectuelle. On mesurera la nouveauté de la recette en se rappelant que L’Étranger d'Albert Camus, qui est peut-être la grande réussite du genre, est paru en 1942.
D'autres étonnements sont nichés dans le corps de cet article où "dix ans après, Catherine Millet vous reparle de sexe (et d'amour)"...
Je ne sais pas si Catherine Millet parlait du viol il y a dix ans, et je n'ai pas envie de relire son livre pour vérifier, mais il se trouve qu'elle est ici conduite à aborder le sujet.
Après avoir dit toute son admiration pour Anne Sinclair, elle est appelée à se prononcer sur l'articulation possible entre "libertinisme et féminisme".
Cri du cœur et/ou forte pensée :
Plutôt que de créer des associations pour aider les femmes à déposer des plaintes et payer des avocats, les féministes feraient mieux de leur apprendre à considérer ces agressions sexuelles avec une certaine distance, à les relativiser, à renforcer leurs « défenses naturelles ». Il faut aider les femmes à être fortes par elles-mêmes plutôt qu'en se réfugiant derrière la loi.
Et puisqu'on en arrive aux leçons à donner, Catherine Millet ne va pas se priver. Il faut dire qu'elle a au moins une forte référence : elle en a parlé, "il y a longtemps", avec la romancière Christine Angot qui "trouve atroce l'entourage des filles violées et notamment, victimes d'un inceste, et qui les entretiennent dans ce traumatisme par des procès intentés des années après" (orthographe Rue 89), et elle sait ce qu'on devrait leur dire, à ces "filles violées" :
«La chose a eu lieu, elle ne t'a pas marqué de façon indélébile, tu peux vivre ta vie dans un autre habit que celui de la jeune fille victime d'un viol.»
Et, comme si cela ne suffisait pas, elle insiste :
Je risque de choquer, mais je ne comprends pas les femmes qui se disent traumatisées, sévèrement traumatisées par un viol.
(En général, quand on reconnaît que l'on "risque de choquer", on éprouve une sorte de jouissance d'ordre intellectuel. On est bien content de la voir varier ses plaisirs...)
Mais face à de telles affirmations, qui pourraient révéler un beau cas de résilience, on est conduit à se poser une question :
"Avez-vous été vous-même victime d'un viol ?"
Elle répond :
"Non, et j'espère que cela ne m'interdit pas d'avoir une opinion sur la question ! Je pense que s'il m'était arrivé de me voir imposer un acte sexuel - et après tout, ça m'est peut-être arrivé, et j'ai oublié -, j'aurais laissé faire en attendant que ça se passe, et je m'en serais tirée en me disant que c'était moins grave que de perdre un œil ou une jambe. Je ne me serais pas sentie atteinte. Ma personne ne se confond pas avec mon corps."
J'espère que le fait de n'avoir jamais violé personne ne m'interdit pas d'avoir, moi aussi, "une opinion sur la question", et même une opinion sur cette "opinion sur la question"... Ce que je m'interdis, c'est de porter le moindre jugement sur la manière dont les "filles violées" cherchent à surmonter ce qui, pour elles, a été, est encore et restera un traumatisme.
C'est justement sur ce mot de "traumatisme" que Catherine Millet ergote, avec toutes les ressources de la mise en situation de son imagination. Elle aurait donc "laissé faire en attendant que ça se passe" et s'en serait "tirée" en se disant "que c'était moins grave que de perdre un œil ou une jambe".
La documentation de l'interviewée étant de toute évidence très limitée, on aurait pu lui signaler que cette tentative de mise à l'abri en se dissociant de son corps revient très souvent dans les récits de viols faits par les victimes, et que cela n'empêche aucunement le traumatisme et les conséquences du traumatisme...
Catherine Millet dirait peut-être que ces femmes ne sont pas assez "fortes", et que surtout elles ignorent, ces nulles, ce grand principe métaphysique dualiste :
Ma personne ne se confond pas avec mon corps.
Pour qui entendrait là comme un écho pas trop assourdi de sacristie janséniste, Catherine Millet tient à le confirmer - après un détour où elle expédie la "morale de l'Islam" ("Mon opinion est qu'une femme née dans cette culture-là doit s'en libérer. C'est tout.") -, en citant l'inévitable Saint Augustin (La Cité de Dieu) :
« Tant que se maintient ferme et inchangée cette volonté [vertueuse], rien de ce qu'un autre peut faire du corps ou dans le corps, et qu'on ne peut éviter sans pécher soi-même, n'entraîne de faute pour qui le subit… »
La lumière augustinienne éclaire d'une bien intéressante façon le mépris du corps affiché par la "permissive" post-soixante-huitarde Catherine Millet.
Et curieusement, cela me rappelle un ouvrage que j'ai lu avec plus d'attention que La Cité de Dieu en ces années soixante-dix. C'était l'adaptation française d'un livre américain de 1971, écrit par un certain "Collectif de Boston pour la santé des femmes". Je ne me souviens plus du titre de la version anglaise que j'avais lue d'abord, mais en français, cela avait donné :
12 commentaires:
"J'espère que le fait de n'avoir jamais personne" t'en as même oublié le mot ;-))
Excellent livre, même si un peu vieilli maintenant. Quand il était encore dispo, je l'offrais tout le temps !
C'est un mot que je n'aime pas trop... Mais c'est corrigé.
Vieilli, sûrement. Mais moins que le jansénisme permissif...
J'avais feuilleté ce livre chez un pote, pas eu envie de l'acheter, j'avaios eu l'impression de lire la même chose sur toutes les pages. Pas une écriture terrible et les histoires de sexe, à la longue, ça lasse. Et moi ça me lasse très vite, sauf quand c'est Proust qui écrit. C'était mécanique...
Un livre vieilli n'est pas un excellent livre d'ailleurs, mais passons.
Cela dit, une agression sexuelle, ben c'est pas terriblement drôle à vivre et encore moins, rappelons-le lorsqu'il s'agit d'un viol qui peut entraîner la mort... Je doute fort que même madame Millet ne pense pas un tout petit peu au sida dans ces cas-là. Ce que j'en dis hein.
Je commence à regretter d'avoir fait se télescoper deux livres si différents.
Le livre de Millet est ennuyeux comme beaucoup de livres de sexe. Je trouve qu'il fait plus que son âge, mais beaucoup le trouvent "moderne"...
Le lire du Collectif de Boston, dont Christine parlait, est ancien, mais c'est un livre important pour beaucoup. Et même pour certains hommes...
Quant aux pensées de C. Millet, il m'est difficile de les imaginer. Je remarque simplement qu'elle sont curieusement guidées par la conception au fond très chrétienne du "corps-guenille".
Pas bien compliqué à retrouver, le titre en anglais ;-): Our bodies, ourselves" http://www.amazon.co.uk/Our-Bodies-Ourselves-Health-Women/dp/0140044302/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1309564593&sr=1-2
Cela dit, en lisant les propos de cette femme, Millet, dans Rue 89, j'ai ressenti un énorme malaise.
En plus, ce qu'elle dit sur le viol ne sonne pas vrai. On dirait qu'elle veut faire cadrer ce qu'elle dit avec un personnage qu'elle se serait fabriqué.
Enfin, c'est comme cela que je le ressens.
Pas compliqué, pas compliqué... Pour toi qui navigue experte sur la toile, mais pour moi, c'est plus difficile : je cherche d'abord le bouquin, je ne le retrouve pas, et j'abandonne...
Personnage fabriqué ? Probablement puisqu'il nous parvient par le biais du projet d'écriture, mais ce qui me frappe c'est qu'il se construit sur la vieille articulation séma/soma. D'où le malaise que je ressens, vu que depuis que j'ai abandonné la lecture des pères de l'église je n'arrive plus à penser l'être dans la dissociation : mon corps, c'est moi-même...
A chacun ses fantasmes ! Je ne suis pas arrivée au bout de la lecture de la vie sexuelle de la dame , j'apprécie parfois ses écrits sur l'art ,je la trouve pathétique dans ses approches littéraires du sexe ......
Comme je ne lis plus grand chose, je ne lis plus Art Press non plus...
Du rayon sexe & littérature, je suis en train de me demander ce que j'emporterais sur la fameuse île déserte des questionnaires.
???
@ Guy: je dis "pas compliqué", parce que le titre en anglais est exactement le même en français. Or, tu maîtrises l'anglais. Pour retrouver le texte en anglais, il m'a suffi de traduire "bêtement" le titre.
Rien d'insurmontable ;-)
Pour ce qui est de mes capacités de maîtriser le web, Monsieur est trop bon :-D; je suis pourtant une bugne notoire.
Quant au séma/soma, je consulte et je reviens ;-)
"Or, tu maîtrises l'anglais."
Yes, I am un grand simulateur...
Je connais les simulateurs de vols mais de langues ?
C'est le progrès !
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