jeudi 17 février 2011

Les crétins n'ont pas d'oreille

Lorsque je fis mon entrée à l'école communale de Bouseuville-lès-Trifouillis, l'une des injures les plus en vogue était "Crétin des Alpes !"

C'était mignon.

Mais c'était il y a plus d'un demi-siècle.

J'ai très vite appris, car j'apprenais vite à l'époque, que si le crétinisme avait quasiment disparu, non seulement des Alpes, mais aussi des autres régions françaises, la crétinerie était la chose du monde la plus répandue.

Car "ils" sont partout.

Même dans le Gard !

On vient, en effet, de découvrir une poignée d'irréductibles crétins enracinés dans ce beau département. Il semble qu'ils se soient appariés, accouplés et reproduits. Ils sont ainsi devenus "parents d'élèves"; ce qui n'arrange pas leur cas déjà bien inquiétant, car ils sont dotés d'un très grand sens patrimonial inné (forcément) : ils ne voient pas pourquoi leurs enfants seraient moins crétins qu'eux-même.

Quelques-uns de ces tristes abrutis, parents d’élèves du regroupement pédagogique intercommunal des communes de Pin et Saint-Pons-la-Calm, dans le Gard, ont tenu à faire savoir qu'ils étaient "étonnés que leurs enfants apprennent une chanson arabe à l’école". Il ont, en conséquence, pris l'initiative d'adresser à tous les autres parents une lettre courageusement anonyme dénonçant les pratiques pédagogiques étonnantes de l'institutrice en charge de la classe de CP-CE1.

Il est sans doute utile de préciser que cette présumée "chanson arabe" est une berceuse bilingue, écrite par Gabriel Yared, qui accompagne le début du film d’animation Azur et Asmar (2006), réalisé par Michel Ocelot. La projection de ce film aux enfants, il y a trois mois, s'est faite dans le cadre très institutionnel du "dispositif" École et cinéma, mis en place par l'Éducation Nationale, avec différents partenaires, dont le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée). L'étude de cette petite chanson par les élèves qui ont vu le film fait partie de ce qui est préconisé officiellement sous le nom, assez clair, de "travail pédagogique d'accompagnement".


Cliquez sur l'image pour accéder à la page
du Centre national de documentation pédagogique.


Nos crétins auraient pu manifester leur étonnement en apprenant qu'on allait travailler en classe sur les thèmes abordés par ce "dessin animé" qui semblent plus dérangeants, dans leur optique de crétins, que les quelques mots d'arabe de la chansonnette. Mais il est probable qu'ils se moquent pas mal de ce qui se fait à l'école - d'ailleurs, pour eux, on n'y fait plus rien...

Au bout de trois mois, ils en ont eu assez d'entendre de l'arabe à la maison - car l'enfant de CP, ou même de CE1, chantonne, savez-vous...

Et ils ont pris leur plus belle plume :

"Nous parents, à l’heure où certaines catégories d’individus sifflent la Marseillaise, nous posons la question : “Pourquoi ne pas, plutôt que des chants arabes, enseigner notre Marseillaise à nos enfants ?”"

Ils ont reçu, sur ce point, une réponse rassurante de la direction de l'école : leurs enfants apprendront bien "notre Marseillaise".

Malgré les explications, rencontres, réunions, il est à supposer que cela ne dégonflera pas leur acrimonie.

C'est que c'est un travail pédagogique de longue haleine que d'éclairer la raison d'un crétin.

J'espère que la professeure mise en cause, et ses collègues qui la soutiennent, recevront localement tout le soutien nécessaire.

Et surtout que leur hiérarchie continuera, elle aussi, de les soutenir fermement. Et cela malgré la remise en cause très nette, à la tête de l'état, du "multiculturalisme".




Petit enfant deviendra grand...

Mais qu'il doit être difficile de grandir dans cet espace étriqué, entre les murs érigés par les crétins, à l'âge où les découvertes ont les couleurs de l'émerveillement !

Souhaitons à ces enfants de garder longtemps dans l'oreille un peu des beautés de cette langue arabe qu'ils ont chantée dans leur petite école du Gard. Peut-être pourront-ils comprendre, mieux que leurs parents, la secrète fierté de Naguib Mahfouz, au début de son discours de réception du prix Nobel de littérature, en 1988, à Stockholm :

Avant tout, je tiens à remercier l'Académie suédoise et son comité Nobel d'avoir prêté attention à ma longue et persévérante entreprise. Je vous demanderai de faire preuve de tolérance en m'écoutant, car je m'adresse à vous dans une langue que vous êtes nombreux à ne pas connaître. Mais c'est elle la véritable lauréate de ce prix et il n'est donc que justice que sa mélodie flotte pour la première fois sur cette oasis de culture et de civilisation.

Naguib Mahfouz savait très bien qu'apprécier la mélodie de la langue qu'il avait illustrée de si belle manière n'était pas seulement une question de tolérance, mais aussi d'oreille...

Mais les crétins, décidément, n'ont pas d'oreille.


PS : La traduction française, par Marie Francis-Saad, du discours de réception du prix Nobel a été publiée, en 2001, aux Éditions de l'Aube, dans un recueil de nouvelles de Naguib Mahfouz, intitulé Le vieux quartier.

11 commentaires:

yelrah a dit…

Le pire, c'est que je ne suis même pas étonné...

Guy M. a dit…

Déjà blasé ?

yelrah a dit…

Blasé c'est pas vraiment ça,je ne sais pas déterminer .
Un genre de film minable dont on devine plus ou moins la fin, qui dégoute mais qu'on ne parvient pas à lacher.
Fascination sale ...

Marianne a dit…

L'anglais pas l'arabe avait dit Chatel . Quelle tristesse de constater que même les crétins font des enfants .

lediazec a dit…

J'ignore ce que vous valez comme musicien, mais en blogueur vous vous débrouillez très bien. Je me dépêche de proposer votre blog dans la liste chez les ruminants http://ruminanc.blogspot.com/

babelouest a dit…

Ce blog gagne à être connu, d'ailleurs Dazibaoueb vient vous visiter tous les jours pour de vos propos exquis extraire la substantifique moelle. Si, si !

Guy M. a dit…

@ yelrah,

J'espère bien que la fin ne sera pas celle que l'on devine...

@ Marianne,

L'anglais parlé dans les pays arabes est une pure merveille musicale. Et en plus, je le comprends aisément !

@ lediazec,

Je suis aussi mauvais musicien que linguiste, puisque j'ai peu d'oreille.

Merci pour le dépôt...

@ babelouest,

Et merci à Dazibaoueb de participer à la promotion de l'Escalier.

emcee a dit…

Eh bien, sale histoire. Mais je dirai que ce genre de réaction des parents n'est pas nouveau. Cela s'applique à toutes les langues. Du genre "on est en France, parlons français!" (ce qui ne vaut pas dire que ce sera le cas à 100%).Ici il s'agit d'arabe et c'est évidemment, c'est davantage connoté.
Mais cela passerait sans problème, finalement, su nous étions dans un monde normal.

Mais aujourd'hui, l'intolérance et la xénophobie sont directement encouragées au plus haut niveau de l'État.
Et que ça ne s'arrêtera pas comme cela. On n'a pas fini, hélas, d'assister à la décadence de ce pays et aux ambitions ségrégationnistes de ce gouvernement pétainiste.

emcee a dit…

Désolée, c'est bourré de fautes : il va falloir séparer le bon grain de l'ivraie :-(

Guy M. a dit…

Tu as raison sur la défiance envers les langues étrangères. Pour refuser une expérience très limitée d'introduction de l'anglais, j'ai jadis entendu la maire du chef lieu de canton de Trifouillis répondre : "qu'ils apprennent le français d'abord !" L'expérience s'est faite sans elle...

Ici, le fond et le style sont plus orientés vers la défense de "nos" valeurs menacées.

emcee a dit…

Oui, pour les Langues étrangères, on le constate aussi pour les films en VO qui sont la bête noire de la grande majorité des Français, même cultivés.
Et c'est ainsi que nous sommes nuls en langues étrangères et que nous avons, par conséquent, du mal à maîtriser la nôtre.
Une langue étrangère n'efface pas l'autre si elle est bien maîtrisée, elle la complète.
Sans compter qu'elle permet des échanges bien plus enrichissants.
C'est le manque de curiosité qui engendre les replis identitaires.