Les fidèles lecteurs de la Vie du Rail savent que l'art cinématographique doit beaucoup à l'existence du chemin de fer.
Une vidéo assez récente, tournée dans une gare des Cévennes, confirme avec éclat la justesse de cette remarque :
On voit que ce petit film entremêle avec beaucoup d'élégance de nombreuses références aux grands classiques ferroviaires du septième art, de L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat (1895) à Ceux qui m'aiment prendront le train (1998), en passant, évidemment, par La Bête humaine (1938).
Mais c'est la prestation très remarquée d'un beau cow-boy post-moderne dégainant sa gazeuse qui a fait tout le succès de ce court-métrage.
L'idée de départ est due au très créatif monsieur Max Roustan, député-maire UMP d'Alès, et président de la Communauté d'agglomération du Grand Alès. Il souhaitait agrémenter la cérémonie de présentation de ses vœux d'un petit voyage touristique et il décida d'emprunter, avec quelques invités, le train à vapeur des Cévennes. Un certain nombre d'habitants et d'élus de la communauté de communes Autour d'Anduze (2C2A), que monsieur Roustan aimerait bien rattacher à "son" Grand Alès, a ressenti ce scénario "comme une provocation", et décidé d'en perturber le déroulement en bloquant symboliquement le petit train touristique dans leur gare.
Le début du film rend assez bien l'ambiance pacifique et plutôt bon enfant de cette action de protestation. Les antagonistes s'ignorent ou se saluent, discutent ou se coupent la parole, mais n'échangent ni invectives ni torgnoles...
Le blocage de la voie de chemin de fer est ensuite mis en scène de manière assez allégorique, avec un bel ordonnancement en première ligne de figurants portant l'écharpe tricolore et un harmonieux regroupement de têtes chenues en seconde ligne. Une pancarte brandie accentue la juste symétrie de la scène, et quelques slogans meublent le fond sonore.
Un gradé de la gendarmerie vient saluer les élus de premier rang. On ne décèle aucune animosité dans cette poignée de main.
L'un des élus présents sur les rails, monsieur Alain Beaud, maire PS de Saint-Sébastien-d'Aigrefeuille et président de la 2C2A, raconte :
Les gens étaient rassemblés devant la locomotive. Le commandant de la gendarmerie d'Alès, Frédéric Warion, vient à notre rencontre et nous demande nos intentions, ce qui est traditionnel. Nous lui disons que nous ne souhaitons pas empêcher le train de partir, simplement manifester notre mécontentement en lui donnant un retard, de l'ordre de cinq à quinze minutes. Quand ce délai serait écoulé, on lui dit qu'il vienne nous prendre par le bras, on s'écarterait alors. Ce message est passé aux manifestants, qui attendent.
"Et subitement", notre beau cowboy (car c'était lui...), sans sommation, "se met à gazer tout le monde".
Quelque chose s'est détraqué dans la mise en scène, et l'on voit un officier de gendarmerie qui se lance dans un numéro d'acteur dépassant largement son rôle... S'ensuivra une séquence lamentable de bagarre mal réglée, avec des scènes de violence réglementaires mais inutiles, et des figurants en uniforme apparemment surpris par le cours pris par les événements et incapables d'improviser autre chose que des coups de matraques.
Il est assez instructif, sur cette intervention du commandant, de prendre l'avis de professionnels. Le sujet ayant été proposé sur le Forum Gendarmes & Citoyens, on peut y lire un bon nombre de réactions. Malgré la très grande modération de ce forum, la prudence des intervenants, et le fait que beaucoup paraissent, dans la réflexion et l'expression, plus gendarmes que citoyens, il semble que l'action du chef d'escadron ait été assez généralement désapprouvée, ne serait-ce que comme "lamentable gestion d'une manifestation pacifique" (sic). Au fil des pages, vous verrez s'imposer la volonté, dans les commentaires, de faire la part des choses non montrées sur la vidéo, et surtout la volonté de ne pas dégrader l'image de l'institution.
Encore quelques pages et la discussion ne tournera plus qu'autour de ce que veulent cacher les deux montages qui ont été mis en ligne par Edmond Zimmermann, quitte à l'accuser d'avoir procédé à une sournoise manipulation. Si j'en crois ce qu'il en dit dans son blogue du Reboussier, ses adversaires ne s'en privent pas... Contacté par des journalistes du Monde, Edmond Zimmermann leur a assuré qu'il allait déposer, chez un huissier, les rushes de sa vidéo afin qu'ils soient "à la disposition de la justice". Il ajoutait :
"Il y a au total une vingtaine de minutes de bande, j'ai coupé parce que c'est trop long mais il n'y a rien qui permette de tricher ou qui montre des violences quelconques."
La seconde grande vedette du jour.
(Photo : Train à Vapeur des Cévennes.)
(Photo : Train à Vapeur des Cévennes.)
Il ne semble pas que la maréchaussée ait été prise à partie par les manifestants. Le gendarme cévenol est peut-être placide, mais s'il se sent, à tort ou à raison, attaqué, ou débordé, il réplique. Les images diffusées le montrent amplement. Or jusqu'au geste technique du commandant, tout le monde reste bien tranquille...
Les zimportantes personnalités - "une vingtaine d'élus, qui étaient attendus par du public à la salle des fêtes de Saint-Jean-du-Gard" -, qui se trouvaient dans le train, auraient-elles été menacées d'autre chose que d'un retard dans leur précieux timing ?
C'est ce qui semble s'insinuer dans cette insistance à signaler le caillassage du train et les dégradations subséquentes de "la locomotive, qui est classée monument historique".
Admettons que des jets de pierres aient pu avoir lieu hors-champ, après la montée en voiture des personnalités et le départ du train. Admettons même que ce vilain sournois d'Edmond Zimmermann les ait coupés au montage... On peut alors se demander ce que faisaient les gendarmes, bras croisés sur le quai, au lieu de courser les voyous caillasseurs et de protéger le "monument historique".
Quant à ce qui a suivi l'action du chef d'escadron, cela semble n'être que la conséquence de ce geste inadmissible.
Il n'y a pas que des moutons dans les Cévennes.
PS : Le Monde nous apprend ceci :
Le directeur général de la gendarmerie nationale a demandé jeudi l'ouverture d'une enquête administrative de l'inspection générale de la gendarmerie. Il s'agit de faire "toute la lumière" sur la manifestation du 21 janvier au cours de laquelle des participants disent avoir été victimes de violences de la part des gendarmes (...). Par ailleurs, un élu socialiste, ayant participé aux manifestations, affirme que 30 plaintes seraient en préparation.
Et dans Libération, on peut lire ce témoignage :
«C'était une manière symbolique d'exprimer notre mécontentement. Un coup médiatique. On voulait juste retarder le train, rien de plus», raconte Louis Julian. Un commandant de la gendarmerie a intimé l'ordre aux manifestants de regagner le quai. «Ce que j'ai fait. Et là, d'un coup, sans sommation, le commandant a sorti un aérosol de lacrymo et a aspergé les gens à bout portant. Il y avait des personnes âgées, des enfants, c'était très violent. A un moment, le commandant a fait tomber l'aérosol à mes pieds, j'ai tenté de le ramasser pour le jeter au loin. Trois ou quatre gendarmes m'ont alors ceinturé et m'ont balancé six ou sept coups de poings dans la figure», poursuit-il.
Enfin, lemonde.fr a mis en ligne toutes les images enregistrées par Edmond Zimmermann, et détaille le témoignage de Louis Julian.
2 commentaires:
En Tunisie, on connaît point le "déclin de la démocratie".
Nous, ici, si, y semble.
C'est moche de vieillir, hein ...
A Guy le dis-tu...
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