mardi 7 septembre 2010

Une rhétorique de grande classe

On peut imaginer que dans une démocratie idéale où les citoyens seraient "honnêtes, propres" et dont le fonctionnement serait régi par une certaine décence, un ministre condamné pour des propos tendancieux ne serait plus ministre - et cela, même s'il avait fait appel de cette condamnation. Le gouvernement de la France serait donc amputé de ce membre de plus en plus éminent qu'est devenu monsieur Brice Hortefeux, et nous serions privé(e)s de cette rhétorique sécuritaire ronflante qu'il déverse sur nous à profusion depuis quelques mois.

Heureusement pour nous, l'ampleur de sa tâche d'urgence sécuritaire n'a pas diminué le sens de l'humour légendaire de l'auvergnat pince-sans-rire préféré du président. En témoigne cet impayable article de Sud-Ouest, signé de Bruno Dive, où on le voit, revenant sur "un été agité", faire de l'esprit :

La proposition du député Éric Ciotti sur la responsabilité pénale des parents ? Les policiers de la BAC « qui connaissent le terrain » ont fini par le convaincre : « La famille, c'est la seule structure qui demeure vaguement dans certains quartiers. » Il était pourtant sceptique au départ : « Moi-même, j'ai du mal à exercer mon autorité sur mon fils de 10 ans, alors… » Puisqu'on vous dit que le ministre de l'Intérieur est un grand modeste…

Forcément, on est mort de rire.

Et je ne parle pas de cette rumeur désopilante, qu'il laisse courir sans vraiment la démentir, selon laquelle la mairie de Vichy lui conviendrait bien en 2014...

"Vichy" ? "Etat" ? Rigolo, non ?
(Photo empruntée au blogue
lesmurspeintsmurmurent)

Beaucoup ont noté que notre "grand modeste" avait accédé au vedettariat après le célèbre discours de Grenoble, puisque, à partir de cette date, monsieur Hortefeux s'est mué en monsieur Je-suis-partout. On a noté aussi l'abondance de ses déclarations, et dans ces propos des inflexions nouvelles.

Mais pas tant que cela, nous ont dit les praticiens du "décryptage" médiatico-politique...

Certes, grand nombre des expressions employées par le ministre de l'Intérieur dans l'entretien au Monde, qui a été publié le 21 août, n'auraient pas écorché certaines bouches d'égout sises sur le trottoir de droite de l'UMP, mais elles étaient prononcées par un ministre de l'Intérieur, et non par un obscur aboyeur plus ou moins appointé.

Cela mériterait qu'on s'y arrête, au lieu de s'évertuer à montrer que, par exemple, "la rhétorique frontiste de Brice Hortefeux" est le résultat d'un subtil "calcul médiatique" (réussi).

Primo, je me doute bien qu'il y a là, aussi, une stratégie de communication... Mais je me moque éperdument que le "calcul médiatique" soit ou non réussi. N'attendez pas de moi des applaudissements, des "bien joué !", des "bravo l'artiste !", et/ou des "encore ! encore !"

Secundo, la rhétorique de monsieur Hortefeux me semble bien éloignée de celle des lideurs du Front National.

Comparons.

Au soir de la belle manifestation du 4 septembre, le ministre de l'Intérieur déclarait dans un communiqué:

"Une telle manifestation hétéroclite, où se sont retrouvés une mosaïque de partis traditionnels mais aussi des groupuscules gauchistes et anarchistes, ne fait pas une politique."

Il y a là un admirable art de l'éloquence onctueuse et méprisante (*) qui est assez éloigné des techniques discursives du FN, beaucoup plus grossières. Si monsieur Jean-Maris Le Pen pouvait parfois approcher cette élégance dans l'allusion péjorative - et encore, dans ses bons jours -, sa fille en a perdu le secret.

Celle-ci, commentant la décision du président de la République de ne pas étendre les conditions de la déchéance de nationalité à la "polygamie de fait", a déclaré:

"Cet arbitrage consacre surtout la victoire intellectuelle de Lies Hebbadj."

Vous devez bien sentir comme moi que cette éloquence a des tonalités beaucoup plus rugueuses... (**)

L'identification formelle des deux discours ne me semble donc pas aller de soi.

Reste à se demander si cette sempiternelle référence au discours frontiste, que ce soit sous l'angle rhétorique ou sous l'angle idéologique, a le moindre intérêt... Il est sans doute plus urgent de mettre en évidence ce qui se révèle dans les mots du sarkozisme.

Car les mots ont aussi un sens...



(*) Voyez comment l'innocent substantif "mosaïque" devient presque injurieux par son voisinage avec "hétéroclite", et surtout "anarchiste"...

(**) Quant à l'utilisation du signifiant "Lies Hebbadj" en lieu et place de "islamisme radical", c'est bel et bien une figure de rhétorique, dont le nom m'échappe. Et mon professeur de beau langage doit encore bloqué dans la manifestation parisienne : il ne répond pas.

2 commentaires:

Vanessa a dit…

Ce serait pas "antonomase", des fois, le nom qui t'échappe ?
Des bises.

Guy M. a dit…

Antonomase:
RHÉT. Figure qui consiste à remplacer, en vue d'une expression plus spécifiante ou plus suggestive, un nom propre par un nom commun (le Sauveur pour Jésus-Christ) ou un nom commun par un nom propre (un Tartuffe pour un hypocrite).
− P. ext. Substitution d'une expression suggestive à une expression banale.

C'est peut-être bien ça, anéfé...