vendredi 24 septembre 2010

Silence, cri des consciences

A moins que, sur les lieux, ils-elles n'aient été d'une discrétion qu'on ne leur connait que rarement, ces messieudames de la presse ne se sont pas bousculé(e)s, vendredi dernier, pour "couvrir" la fin du jeûne de dix jours que neuf personnes avaient entamé non loin des ors du Palais-Bourbon. Ils tenaient ainsi à marquer leur opposition au projet de loi "Besson", et à en appeler à la conscience de chacun, parlementaires compris, face à cette nouvelle mouture de loi relative "à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité".

Comme il était prévu que prises de paroles et partage de la soupe soient précédés de la tenue d'un "cercle de silence", on comprend que les médias ne soient pas déplacés. Quel sujet radio-télé voulez-vous faire avec des gens qui se taisent pendant si longtemps ?

Bien sûr, quelques articles et reportages avaient rendu compte de l'installation des jeûneurs sur la place Edouard Herriot, ce delta où, venant du boulevard Saint-Germain, s'élargit la rue de l'Université avant de longer l'Assemblée Nationale. Mais les envoyés spéciaux et autre grands reporters ont dû se fatiguer très vite de ces peu spectaculaires "neuf apôtres de la non-violence", pour reprendre l'expression du quotidien Libération-Touche-pas-à-ma-nation. Seule la chaîne parlementaire LCP s'était déplacée pour la rencontre/conférence de presse du 14 septembre, lors de laquelle les jeûneurs ont pu s'exprimer face à cinq députés des différents partis politiques. Le reportage a été diffusé au cours du journal du mardi 14 septembre. On peut le regarder en suivant le lien - il commence à 9 min 30.



Arrivant de la place des Invalides où j'avais quitté le réseau métropolitain, je rejoignis la placette Edouard Herriot en longeant la place du Palais-Bourbon, et je pus ainsi saluer le dos de la statue qui la domine. Son auteur, Jean-Jacques Feuchère, l'avait sculptée pour figurer La Constitution, mais, installée en 1855, l'œuvre fut rebaptisée La Loi - le pouvoir en place était alors, cela arrive, en délicatesse avec la notion même de constitution.

Je me réjouissais de voir se déployer cette malicieuse allégorie: La Loi entourée d'un cercle de silence.

Il est possible qu'un délicat fonctionnaire de la Préfecture de Police ait été sensible à l'ironie de ce symbole. Lorsqu'à l'heure prévue, le groupe des personnes rassemblées se dirigea vers la place du Palais-Bourbon, les CRS en faction au coin de la rue installèrent des barrières pour en empêcher l'accès, et des renforts, venus à grands pas de la rue Aristide Briand, firent héroïquement un mur de leurs corps. Leur équipement était légèrement minimal, mais quelques-uns portaient prudemment de quoi se protéger les tibias.

Confinés aux abords du triangle Edouard Herriot, les participants durent se répartir sur une courbe fermée, tout à fait convexe et probablement - je n'ai pas cherché - circulaire pour une métrique inusuelle du plan.

Mise en place du "cercle".

Rapidement le silence s'établit, et sembla même s'imposer, par delà les barrières, aux CRS en faction, immobiles eux aussi. Mais bientôt, on put entendre leurs récepteurs grésiller, et résonner les voix déformées et nasillardes des chefs ou des collègues, transmettant les précieuses instructions ou les informations indispensables... Ces interventions avaient sans doute pour but de leur permettre de "tenir", face aux pernicieux non-violents. Car, si un CRS est assez entraîné pour résister à une très longue oisiveté en marge d'une manifestation mouvante et sonore, on peut le craindre beaucoup plus démuni lorsqu'il est exposé sans protection à un ferme et immobile silence.

Il faut rappeler que s'exposer à une telle qualité de silence peut être dangereux. Vous voilà soudain plus attentif et plus sensible au flux de conscience qui vous traverse, et si vous n'y prenez garde, ce courant pourrait vous entraîner aux rivages d'une véritable prise de conscience de ce que vous êtes, de ce que vous faites ou de ce que l'on vous fait faire...

Et tout ça...

Et tout ça...

La lampe, au centre virtuel du "cercle".
(Photo empruntée à Jean-Claude Saget.)

Aux abords du "cercle" qui circonscrit largement le triangle de la place Edouard Herriot, on dirait que les bruits de la ville viennent s'amortir. Le silence s'amplifie et prend l'intensité d'une présence.

Peut-être même atteint-il, au centre marqué d'une lampe allumée, la pureté d'un cri.

Un fois la lampe éteinte, viendront des interventions des jeûneurs et de représentants d'associations qui préciseront, pour les mal-entendants, le sens de cette action symbolique.

(On entendra Jean-Paul Nuñez et Alain Richard, pour les jeûneurs, ainsi que Claude Baty, président de la Fédération Protestante de France, Patrick Peugeot, président de la Cimade, Guy Aurenche président du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement-Terre Solidaire, Laurent Schlumberger, président de L'Eglise Réformée de France, un membre de l'association Coexister et un représentant de Droit Devant!)

Autre symbole, qui est peut-être aussi tout un programme:
La Loi, substituée à La Constitution.

Un peu plus tard dans la soirée, attablé à une terrasse proche de la station de métro Assemblée Nationale, j'ai pu observer quelques groupes de CRS, encore en carapace et encore en attente. L'un d'entre eux faisait peine à voir, appuyé sur son bouclier, insensible aux plaisanteries des deux "civils" qui, désœuvrés, étaient venus bavarder au coin de la rue de Lille.

Tranquillement, les participants du "cercle" reprenaient le métro après avoir partagé la soupe avec les jeûneurs.

Soudain, un "ho ! ho ! ho !" lancé des environs de l'entrée du pont de la Concorde, une cavalcade de godillots résonnant sur le trottoir, et les factionnaires avaient disparu.

J'ai supposé que, pour eux aussi, c'était l'heure de la soupe.

2 commentaires:

Marianne a dit…

Voila une manif qui me demanderait beaucoup d'effort , ne pas manger c'est possible mais ne plus parler pas facile .Je note le prochain RDV le 15 oct.

Guy M. a dit…

Le prochain cercle de silence parisien aura bien lieu le vendredi 15, mais à l'endroit habituel, place du Palais-Royal.