jeudi 18 février 2010

"Parce que ce sont des êtres humains"

C'est une jeune fille de seize ans qui s'avance droit vers la scène, tendue et concentrée. Un instant elle hésite, pour éviter le cameraman au milieu de son chemin. Arrivée face au public, sans attendre, elle commence:

Mesdames, Messieurs,

Je me dresse aujourd'hui devant vous pour plaider la cause de Mendaye, Aman, Maryam ou Hamed. Ces personnes viennent du Soudan, d'Érythrée, d'Éthiopie, d'Afghanistan, d'Iran, du Pakistan ou d'Irak. Ce sont des femmes enceintes, des chefs de famille, des enfants qui ont quitté leur pays d'origine afin de rejoindre nos civilisations occidentales, porteuses d'espoirs et d'avenir.

Elle s'appelle Enora Naour et elle participe à la "finale nationale" du concours international de plaidoiries pour les droits de l'homme, organisé par le Mémorial de Caen.

C'est toute la grâce et toute la fragilité de ses seize ans qu'elle dresse devant le jury et le public, et c'est aussi toute sa conviction.

Ils possédaient pourtant une maison, une famille, un métier. Ils pouvaient manger à leur faim, et se laver correctement, mais malgré cela, leur vie était en danger. Guerre, régime totalitaire ou intolérance religieuse sont les principales raisons qui ont poussé ces êtres humains à s'enfuir. Pour survivre.

Ils ont traversé l'Europe d'Est en Ouest, lors d'un voyage qui pour beaucoup, aura duré plus de 2 ans. D'autres sont passés par le Sahara, et ont franchi le détroit de Gibraltar. Certains ne sont jamais arrivés.

Leur but ? Rejoindre la France, pays fondateur de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avant de passer en Angleterre. Tout espoir leur était permis car, d'après l'article 13 de cette fameuse déclaration, «devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.»

J'aimerais pouvoir vous dire, Mesdames et Messieurs, que leurs désirs de bonheur et de liberté ont été exaucés. Mais cela serait une utopie, et je ne suis pas venue pour vous mentir.

Enora Naour, le 29 janvier 2010,
au Mémorial de Caen.
(Photo Mémorial de Caen.)

Sa plaidoirie, intitulée Les réfugiés de la Jungle ne sont pas des animaux, a remporté le premier prix de la catégorie "lycéens.

On peut la lire sur le site de DailyNord, où je l'ai découverte, ou sur celui du Mémorial de Caen.

On peut aussi la regarder, et l'écouter, grâce à la vidéo mise en ligne par le Mémorial. (Enora commence à 1 min 40 sec environ du début.)

Au milieu des discours insipides et convenus des réalpoliticiens, il est bon d'entendre cette voix claire, qui ne trébuche pas et qui parle haut, de toute la hauteur de sa jeunesse, exigeante et sans compromis.

(Photo: François Decaens / Le Mémorial de Caen)

En recevant son prix, Enora Naour espérait qu'on n'oublierait pas sa plaidoirie dès le lendemain...

Quelques lecteurs la découvriront ici.

Mais peut-être pas madame Bouchart, maire, monsieur Gavory, sous-préfet, monsieur de Bousquet, préfet, ou monsieur Besson, ministre...



PS:

Enora Naour est élève de 1ère ES au Lycée Victor et Hélène Basch de Rennes. Elle a préparé sa plaidoirie toute seule. D'après l'article de Sébastien Brêteau, dans Ouest-France:

«Il était hors de question que quelqu'un rajoute ou enlève un mot à ma place.» Ses professeurs ont seulement découvert l'aventure dans laquelle s'était lancée Enora, «en lisant Ouest-France quand j'ai remporté la finale régionale».

4 commentaires:

JBB a dit…

Tant qu'il restera des adolescents comme Enora Naour, rien n'est perdu. Sur son intelligence et sa fraîcheur, sur leur intelligence et leur fraîcheur, les discours de haine buteront, stopperont, avant de s'effriter en fines poussières.

Guy M. a dit…

Rien n'est jamais perdu, même pas nos illusions.

Mais regarder cette plaidoirie, ça aide bien à le penser.

Dorémi a dit…

Quelle émotion, quelle grâce, quelle maturité… Surtout, qu'elle ne change pas. Notre monde a besoin de gens comme elle…

Guy M. a dit…

Toutes ces qualités lui permettent de dépasser le cadre assez formel de la plaidoirie.

(On souhaite qu'elle persévère dans son être... et sa vie sera belle.)