Le slogan de campagne électorale est un matériau artistique en général assez pauvre. La métrique y est la plupart du temps rudimentaire, et le langage s'y cuit et recuit jusqu'à épuisement de tout son sens.
Pour sa participation à l'exposition Week-end de sept jours, l'artiste chinoise Ko Siu Lan s'était proposé de travailler sur le slogan sarkoziste "Travailler plus pour gagner plus", en jouant sur l'opposition primaire du "plus" et du "moins". Elle envisageait d'installer verticalement de grandes banderoles, portant les mots "travailler", "gagner", "plus" et "moins", en façade de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Suivant la position du spectateur, devaient apparaître des permutations diverses des quatre vocables.
Deux vues possibles.
(Photo Télérama)
(Photo Télérama)
A en juger par les travaux de Ko Siu Lan que l'on peut découvrir sur son site, ce projet n'est pas l'un des plus percutants qu'elle ait imaginés, puis réalisés...
L'installation n'a duré que quelques heures.
Mise en place mercredi matin, elle a été retirée d’autorité pendant la journée, et ceci, bien que la commissaire de l’exposition, Clare Carolin, du Royal College of Art de Londres, se soit opposée à son enlèvement.
La décision a été prise par le directeur des Beaux-Arts, monsieur Henry-Claude Cousseau, qui n'a pas jugé bon d'en avertir l'artiste.
C'est Clare Carolin qui l'a informée par un courriel, ensuite communiqué à l'AFP:
Le directeur Henry-Claude Cousseau "m'a dit que ton travail était trop explosif pour rester in situ et que certains membres de l'école et des personnes du ministère de l'Education s'en offusquaient déjà", écrit Clare Carolin à l'artiste. La direction "m'a dit aussi que le moment était délicat car l'école est en train de renouveler sa convention de financement avec le ministère", a-t-elle ajouté.
"J'ai répondu (...) qu'enlever ou changer de place cette œuvre constituerait un acte de censure et que je n'étais pas prête à accepter que mon exposition soit censurée", poursuit Clare Carolin.
Des extraits du communiqué de la direction des Beaux-Arts sont amplement cités dans la même dépêche de l'AFP.
Méditons sur ce passage:
La direction de l'école a considéré que "cette présentation non concertée de l'œuvre, sans explicitation à l'attention du public, pouvait constituer une atteinte à la neutralité du service public et instrumentaliser l'établissement", selon le communiqué.
On attend encore la réaction de monsieur le ministre de la Culture et de la Communication à cet acte de censure explicite, mais je doute qu'il réagisse: à Rue89 qui s'impatientait, il a fait répondre par son cabinet, «c'est un problème entre l'artiste et l'école, le ministre laisse l'école gérer.»
Monsieur Henry-Claude Cousseau fera donc de son mieux pour "gérer" ad majorem Sarkozi gloriam.
Peut-on espérer que le directeur de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris (Conservateur général du Patrimoine, ancien Chef de l’Inspection générale des Musées de France, ancien Directeur des Musées de la Ville de Nantes, ancien Directeur des Musées de la Ville de Bordeaux et historien de l’art renommé, paraît-il), se souvienne du soutien des artistes qui ont su sortir de leur "neutralité" pour pétitionner contre sa mise en examen pour avoir accueilli en 2000, à Bordeaux, l’exposition Présumés innocents : l’art contemporain et l’enfance ?
(Dans cette affaire, qui suit son cours, il est poursuivi pour "diffusion de message violent, pornographique ou contraire à la dignité, accessible à un mineur: diffusion de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique".)
Mais il est après tout possible que monsieur Cousseau ait l'ambition de devenir président de la commission de censure rénovée qui devrait, au train où vont les choses, bientôt voir le jour.
Alors, par précaution, adressons-lui l'extrait de la Lettre au Président* que Brigitte Fontaine, artiste depuis plus de quarante ans, et directrice de rien du tout, a lu sur Ouï FM, le 28 janvier.
(A la suite de cette émission, elle a précisé: «Brigitte Fontaine fait savoir, populo chéri, que la page de son livre (…) lue à l'antenne s'adresse à n'importe quel président de n'importe quoi.»)
Monsieur le Président,
je vous gratte le cul très fort avec une fourchette, je vous crache dans les yeux, je mords jusqu'au sang vos mollets de coq, je vous râpe le nez jusqu'à ce que vous ayez l'air d'un lépreux.
(…)
Je vous pends par les couilles, je dévore votre foie, je vous gerbe à la gueule et je signe Riri la Crème, bien connue des services de police !
Finalement, on pourrait mettre aussi
Monsieur le Directeur, virgule....
* Merci à Lucide, qui m'a fait découvrir cette lettre.
10 commentaires:
Attention, quand même : je ne suis pas sûr que l'organe hépatique de ce directeur pétochard soit tellement savoureux. Vu comme il les a, les foies…
(Tandis que le mien, de foie, serait - j'en suis certain - délicieux, tant il présente une égale proportion de chair et d'alcool)
Tout ça est de l'art, pas du cochon, voyons. Avec Brigitte Fontaine, on est dans la métaphore, comme disent les gestionnaires...
(Pour le foie gras, on peut peut-être tenter le gavage à l'Armagnac, mais il faut que l'alcool se transforme en sucre, puis en graisse... C'est fatigant, sais-tu... Alors il vaut mieux mettre le foie avec l'Armagnac avant de le cuisiner.)
Ayé ! Monsieur le Ministre a réagi : Frédéric Mitterrand demande que soit raccrochée l'œuvre.
Bises et bon week-end.
Il a pris le temps de bien réfléchir, notre bouillant défenseur des artistes !
Bises.
...après avoir déclaré — peut-être pour ne pas nous ébouillanter — que c'était au directeur de l'ENSBA de régler l'affaire. Quelle farce !
Il y a deux jours, Ko Siu Lan appelait à venir aujourd'hui même, vers 17h30-18h, devant l'École, tous munis de banderoles «travailler», «gagner», «moins», «plus». Si c'est en train de se faire, comme ça doit être beau, au-delà même du pied-de-nez, cette performance collective !
Alors que je trouvais le "concept" un peu maigrelet, je dois dire qu'avec l'intervention du directeur, et cette réaction, si elle est maintenue, l'installation s'étoffe.
(Mais il faut se méfier de ce qui semble mince, cela peut prendre de la force en rencontrant la bêtise institutionnelle.)
"je trouvais le "concept" un peu maigrelet"
Clair : ça cassait pas trois pattes à un canard, même. C'est finalement le plus révélateur, qu'un truc aussi gentillet puisse être susceptible de censure. A tel point qu'il n'y aura bientôt que les toiles à grand-papa Sarkozy pour ne pas être jugées comme potentiellement subversives.
Quoique...
Je trouve que mettre quelque chose comme la grande croix de la légion d'honneur (ou les grandes palmes du mérite académique agricole avec tuba, je ne sais plus) en pendant d'oreille, ça vous a un air de provocation qui mériterait bien qu'une association de citoyens respectueux demande qu'on décroche ce tableau si jamais papa Sarko l'exposait sur notre territoire.
(Je sais qu'il y a un projet d'expo, mais je ne sais pas si c'est en place...)
C'est bien ce qu'il me semble aussi.
Parce qu'il s'agit du royal meneur de revue, tout le monde s'imagine que son père ne peut lui vouloir de mal. Alors que : si. Même, il ne doit rêver que de racheter la faute commise en lui donnant vie.
L'expo du papa Pal est prévue à l'Espace Cardin en avril...
Libération prétend que le président aurait recommandé à la responsable de la com(munication) de l'Espace Cardin: "Occupez-vous bien de mon papa !"
Tu vois pas d'œdipe à la mords-moi l'oreille dans cette famille...
Enregistrer un commentaire