lundi 15 février 2010

Chaud-froid de poulet pour tout le monde

Stéphane Joahny et Marie-Christine Tabet, du Journal du Dimanche, qui ne sont pas des "localiers" du Courrier Picard, peuvent se permettre de poser des questions directes à un ministre sans se faire rabrouer comme des malpropres.

En tant que père de famille avez-vous été choqué par la garde à vue d’une collégienne de 14 ans ?

Demandent-ils à monsieur Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales.

Monsieur Hortefeux n'a pas jugé que cette allusion à sa vie privée et familiale était "totalement déplacée et scandaleuse". Il a accepté de répondre avec la bonhommie qui le caractérise:

Tout de même, 14 ans… Les policiers n’ont rien fait d’illégal. Le code de procédure pénale permet de placer en garde à vue tout individu suspecté d’avoir commis un délit, dès lors qu’il est âgé d’au moins 13 ans. Cette jeune fille est quand même soupçonnée d’avoir participé à un tabassage avec deux autres filles et un garçon!

"Tout de même, 14 ans…" C'est qu'on est un(e) grand(e) à 14 ans ! Tous les pères de famille, sans parler des mères de famille, vous le diront, et tou(te)s les enseignant(e)s de collège et de lycée vous le confirmeront...

Bertrand Delanoë et Michèle Alliot-Marie
lors de l'inauguration du nouveau commissariat de police du XXè,
qui est si beau qu'on dirait un collège.

A treize-quatorze ans, il faut admettre que l'on peut avaler de tout. Alors pourquoi pas la bonne vieille recette des interrogatoires de garde à vue ?

Rien de plus revigorant que de se retrouver coincé(e) entre un policier qui joue (ou pas) les grosses brutes rugueuses et menaçantes, et un brave flic compatissant prêt à enregistrer vos aveux.

Pour grandir, c'est bien meilleur que la soupe.

Suggestion de présentation du chaud-froid de poulet,
débusquée sur le forum de SuperToinette.

On saura gré à monsieur Hortefeux, qui sait feindre parfois une charmante ingénuité, de déclarer, au cours de cet entretien:

N’oublions pas, encore une fois, qu’un gardé à vue a des droits.

Et de rappeler ces fameux "droits":

Il peut prévenir un proche dans les trois premières heures, demander à être examiné par un médecin dans les vingt-quatre heures, s’entretenir avec un avocat dans la première heure…

Toutes choses insuffisantes selon bon nombre d'observateurs du fonctionnement de cette institution.

(Ses interlocuteurs, prudents et avisés, n'insistent pas sur les conditions dégradantes de certaines gardes à vues pourtant bien réglementaires...)

Malgré ce rappel des "droits" du "gardé à vue", on sent chez lui une grande réticence à envisager le sujet d'une réforme de la garde à vue, cette cuisine policière si efficace, et il exprime cette réticence avec beaucoup de retenue. Il n'est pas "hostile par principe à une réforme" et n'est "pas opposé à ce que le nombre de gardes à vue diminue", certes, mais on dirait qu'il se tortille sur son fauteuil ministériel comme si quelque chose le turlupinait.

On y arrive:

[Cette réforme] ne doit pas avoir pour effet de donner plus de droits aux délinquants qu’aux victimes.

Il est probable que monsieur Hortefeux ait, comme beaucoup d'entre nous, du mal à penser la complexité du monde, et qu'il préfère se référer, en première approximation, à un système assez réducteur d'oppositions*, mais il a aussi une fâcheuse tendance à n'en pas décoller, ou à y retomber.

D'après ce que je comprends du droit français, qui ne doit pas différer notablement du droit auvergnat, une personne placée en garde à vue est soupçonnée d'avoir commis un délit ou un crime, mais reste "présumée innocente", et n'est pas a priori un "délinquant"...

(Ou alors, ça a changé récemment quand j'avais le dos tourné.)

Utiliser à l'encontre d'un présumé innocent une mesure privative de liberté comme la garde à vue devrait poser un certain nombre de problèmes de respect des droits qui ne peuvent qu'être éludés dans ce schéma simpliste "délinquant"/"victime", par ailleurs assez discutable.

Interrogé à nouveau sur ce sujet, mais cette fois sur Europe 1, monsieur Hortefeux aurait, selon le résumé du Monde, renvoyé "le débat à l'autorité judiciaire", expliquant "que la garde à vue était effectuée sous le contrôle des magistrats".

Cependant, désireux d'éviter que "les policiers et les gendarmes [ne] deviennent des boucs émissaires", il entend mettre en place "une concertation et un dialogue":

Concernant les modalités et le périmètre de cette réforme, je dois naturellement en discuter avec mes interlocuteurs, les organisations syndicales.

Naturellement...

Pour ceux qui fronceraient les sourcils devant ce naturel qui revient au pas de charge, voici un extrait du communiqué du SNOP (Syndicat national des officiers de police), daté du 10 février:

Le SNOP constate et déplore que, tant la classe politique dans son ensemble que les lobbies pour la plupart instrumentés par des avocats, s'acharnent aujourd'hui sur les premiers défenseurs des droits de l'homme et des libertés individuelles que sont ces policiers et gendarmes habités, tout autant voire plus que leurs détracteurs, par un profond respect des valeurs républicaines.

(...)

Déterminé à mobiliser par tous moyens les vrais défenseurs des droits de l'homme, et en priorité ceux de l'homme «honnête», le SNOP ne se contentera pas de déclarations indignées pour en faire la démonstration. Ainsi envisage-t-il dans un premier temps, si nécessaire, d'appeler l'ensemble des Officiers de Police Judiciaire à réclamer le retrait de leur habilitation.


De quoi vous rassurer, honnêtes gens.



*(Un bel exemple nous en a été donné lorsque, sur le plateau de Capital sur M6, en réponse à Guy Lagache qui lui demandait s'il y aurait "toujours des sans-papiers sur le territoire français", il répondit : "Si vous rêvez d'une société idéale dans laquelle il n'y aurait que des citoyens honnêtes, propres et s'agissant des immigrés, que ce soit uniquement des immigrés dévoués, avec des papiers, la vérité c'est que c'est un combat permanent." C'était le 25 novembre 2007, et il était alors ministre des Expulsions.)

2 commentaires:

JBB a dit…

"les premiers défenseurs des droits de l'homme et des libertés individuelles que sont ces policiers et gendarmes habités, tout autant voire plus que leurs détracteurs, par un profond respect des valeurs républicaines"

Enfin, il faut prévenir avant de balancer une telle citation ! J'ai failli vomir tout mon rosé… Une déclaration comme ça, c'est si collector que ça jette forcément le lecteur dans la confusion la plus complète.

Sinon, je note que ce billet (aussi complet que bien tourné) laisse de côté "l'audition libre" proposée par MAM. Je ne peux qu'exprimer mes plus profonds regrets en constatant que la vraie réponse au sujet liberté/police est ainsi laissée de côté… :-)

Guy M. a dit…

Quand j'ai découvert cette belle page de prose française, je me suis dit qu'elle aurait pu être signée par un talentueux parodiste.

Mais non, c'est authentique !

(Je n'ai pas oublié MAM, mais j'ai beaucoup de mal à être exhaustif - ça me fatigue. J'y reviendrai, avant l'août, foi d'animal !)