La première et dernière fois que j'ai tenté de me rendre à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, je n'ai pas pu y pénétrer: monsieur Besson entendait y être tranquille pour inaugurer la médiathèque.
C'était Besson ou moi, et un délicieux CRS m'a expliqué que ce jour-là, c'était Besson.
Bon !
Je n'y suis pas retourné, car la Porte Dorée est hors de mes chemins parisiens coutumiers, et, par conséquent, j'ignore si le musée consacre la moindre vitrine à la date du 17 octobre 1961.
Cependant j'espère que les participants de la journée A l’ère des mémoires, quel avenir pour l’oubli ? qui y est organisée ce 17 octobre, ne l'auront pas oubliée.
Car,"les événements du 17 octobre 1961 ont longtemps été frappés d'un oubli presque entier. Longtemps, nul ne semblait savoir qu'avait eu lieu en 1961 une manifestation de masse d'Algériens à Paris, ni qu'elle avait été réprimée avec une extrême violence."*
Une certaine confusion avait même envahi les esprits, comme en témoigne cette étrange idée, en 1988, de commémorer le 17 octobre par un rassemblement au métro Charonne, lieu d'un autre massacre commandité par les autorités françaises, mais datant du 8 février 1962.
Le 17 octobre 2001, pour le quarantième anniversaire des ratonnades, monsieur Bertrand Delanoë, maire de Paris, prenait sur lui d'inaugurer une plaque commémorative sur le quai du Marché Neuf, à côté du pont Saint Michel, non loin de la préfecture de police. Il était bien seul, abandonné de certains de ses camarades, dont monsieur Lionel Jospin, alors premier ministre, qui devait craindre de perdre les élections de 2002. Aucun membre de son gouvernement n'était là.
Il est vrai que cette initiative municipale avait provoqué la grosse colère chez les élus de droite, tant au conseil de Paris qu'à l'Assemblée Nationale...
On sait que les dirigeants français, de quelque bord que ce soit, sont peu enclins à reconnaître les crimes commis pour des raisons d'Etat...
Pour en arriver là, il faudra encore du temps, et les témoignages accumulés ne suffisent pas.
L'un des premiers à témoigner est un photographe, mort il y a une dizaine d'années. Dans ses archives, conservées à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC, on trouve cette note:
"La Fédération de France du FLN avait appelé ce jour-là les Algériens de Paris et de la région parisienne à manifester pacifiquement dans les rues de Paris pour protester contre le couvre-feu raciste décrété par le préfet de police Maurice Papon, Roger Frey étant ministre de l'Intérieur. Cette manifestation pacifique fut brutalement chargée par la police.
C'était ... dans l'indifférence la plus totale de la population française. Pour moi qui ai été le seul reporter à photographier ces événements, un peu partout dans Paris, métro Concorde, Solférino, rue des Pâquerettes à Nanterre, l'homme que je suis a ressenti ces brutalités d'un côté et l'indifférence de l'autre comme un affront et m'a rappelé le 16 juillet 42."
La rafle du Vel d'Hiv du 16 juillet 42, Elie Kagan, né en 1929 de parents juifs d'Europe orientale, devait en avoir une idée précise: il a échappé à la déportation en vivant caché dans Paris occupé.
Ses images de la ratonnade du 17 octobre constituent un document accablant.
Quelques unes sont utilisées dans cette vidéo, avec des images de télévision du fond de l'ina.
Je dois avertir les âmes sensibles que cette séquence se termine par un court extrait d'un entretien avec Maurice Papon.
Il me plait de penser que, comme Maurice Papon, mais pour des raisons assez différentes, et que je comprends beaucoup mieux, Elie Kagan referait d'une autre vie ce qu'il a fait de la sienne.
Après la Libération, il ne restera que peu de temps au PCF,"le parti de Maurice Thorez appréciant peu l’attitude d’un militant qui préférait, aux réunions de cellule, lâcher en plein meeting des préservatifs gonflés à l’hélium."
Il mènera une vie peu confortable de photographe indépendant, et même farouchement indépendant, prenant ses photos, développant ses négatifs et tirant ses épreuves pour aller ensuite les proposer dans les rédactions.
Selon la biographie d'Actuphoto.com:
Toujours indigné, toujours à l’affût d’une injustice à dénoncer, il réalisa les premières images sur les S.D.F. et accompagna aussi bien les revendications du mouvement Droit au logement que celles des sans-papiers. Sa hargne, son refus d’accepter l’indifférence des médias pour ceux qu’il voulait aider l’avaient, à la fin d’une vie difficile, rendu aigri, agressif, mais il n’a jamais baissé les bras. Elie Kagan est mort solitaire mais légitimement fier de «n’avoir jamais accepté l’inacceptable».
C'est une satisfaction qui vaut bien certaines légions d'honneur...
On peut voir et entendre Elie Kagan dans ce sujet diffusé à la télévision en 1997, pendant le procès de Maurice Papon.
Je dois avertir les âmes sensibles que cette séquence est introduite par Daniel Bilalian.
Les images d'Elie Kagan sont malheureusement mal représentées sur le ouaibe.
Une édition des photographies d'octobre 1961, présentée par Jean-Luc Einaudi**, est, semble-t-il, encore disponible chez Actes-Sud, mais à un prix plutôt dissuasif.
Peut-on espérer qu'un jour soit rendu à ce grand monsieur, et à son sale caractère, l'hommage qui lui revient ?
* Cette remarque introduit la section intitulée Histoire et oubli sur le site de l'association 17 octobre 1961 contre l'oubli (section rédigée par Charlotte Nordmann et Jérôme Vidal).
L'association n'a plus d'activité régulière depuis 7 ou 8 ans, mais son site est toujours ouvert. Il contient de nombreux documents et de nombreux témoignages. Je le conseille vivement à mes lecteurs et lectrices en bas-âge...
** Jean-Luc Einaudi est le courageux historien qui se bat inlassablement pour faire la lumière sur ce qui s'est passé le 17 octobre 1961. Maurice Papon, qui ne reculait devant rien, lui a fait l'honneur de l'attaquer en diffamation pour ce motif. Maurice Papon a été débouté de sa plainte.
Le dernier livre de Jean-Luc Einaudi, Scènes de la guerre d'Algérie en France : automne 1961, vient de paraître aux éditions du Cherche-Midi.
4 commentaires:
Merci pour cet article très bien écrit (une vérité de la Palisse ...tous vos écrits sont excellents...)
Extrait du Quotidien d'Oran quand à la suite des évènements du 17 octobre 1961...."Devant ce crime de guerre commis par le sinistre et raciste préfet de Paris, Maurice PAPON, et de plus de 25. 000 arrestations, le gouvernement français décidait le lendemain 18 octobre 1961, à l'issue d'un deuxième Conseil des ministres extraordinaire «que les manifestants appréhendés seraient refoulés à leur douar d'origine». Sitôt dit, sitôt fait. Deux jours plus tard, le 19 octobre un contingent de 1500 personnes tous bien «abimés» par la torture fut acheminé dans des cargos militaires vers l'Algérie et remis directement entre les mains des paras du général MASSU et du Colonel BIGEARD, avec le soutien auxiliaire des harkis.
Les autres manifestants appréhendés restant en France furent parqués comme du bétail au Palais des sports, au stade Coubertin, à Japy, au Vel d'Hiv, à Vincennes sans compter les commissariats de police où la torture la plus atroce, était pratiquée à ciel ouvert à tel enseigne que Jean-Paul SARTRE, révolté, dira dans la revue dans «TEMPS MODERNES»: «les juifs parqués au Vel d'Hiv sous l'occupation nazie étaient traités avec moins de sauvagerie par la police allemande que ne le furent au Palais des sports, par la police gaulliste, les Algériens».
Une algérienne .
Je ne sais que penser de la possibilité de commémorer aujourd'hui cette violente répression connue pour ceux qui le souhaitent . L'histoire a besoin de temps pour pouvoir être racontée sans provoquer de nouvelles souffrances . Avec l'Algérie et les algériens il semble que nous n'ayons toujours pas osé regarder en face l'horreur des actes perpétrés sur le sol algérien comme sur celui de la France . Pourrons nous le faire un jour ?
@ Anonyme,
Ce qui s'est passé dans les jours qui ont suivi le 17 octobre a été aussi atroce que ce qui s'était passé dans la nuit, et a été commis avec plus de "lucidité" encore de la part des responsables.
Merci de rappeler ce mot de Sartre (si j'avais eu un peu plus de jugeote, je l'aurais mis en exergue) qui est d'une très grande justesse. Si les conditions de vie au Vel'd'Hiv étaient affreuses, au moins n'y matraquait-on pas en permanence.
@ Marianne,
Commémorer, sans doute pas, mais regarder en face, cela il le faut absolument.
Pour nous, car on sait qu'il ne nait rien de bon d'un récit historique enluminé...
Et pour toutes les filles et tous les fils des tués, blessés, tabassés, expulsés d'octobre 61, qui n'ont rien oublié et témoignent encore.
Vient de paraître : " Les ratonnades d'octobre". Par Michel Levine
Editions Jean-Claude Gawsewitch 2011.
En octobre 1961. A Paris, en pleine guerre d'Algérie, Maurice Papon, préfet de police et chef de la répression, instaure un couvre-feu pour les Algériens, citoyens français de seconde zone : chasse au faciès, interpellations systématiques, bouclages de quartiers, etc. Les conditions de vie deviennent infernales pour des milliers d'hommes et de femmes.
En protestation contre ces mesures qui rappellent l'occupation nazie, le F.L.N. organise le 17 octobre une manifestation pacifique. Aussitôt, Papon "chauffe ses troupes". La machine à tuer est en marche…On retrouvera des centaines de cadavres dans la Seine.
Le crime commis, c'est le grand silence de la part des autorités et des médias, un mutisme absolu qui durera longtemps. Pour la première fois, on dévoile ce qui était ignoré de l'historiographie officielle ou soigneusement refoulé. L'auteur s'est livré à une véritable enquête, interrogeant victimes, avocats, témoins.
Michel Levine revient sur cette période tragique de l'Histoire à l'occasion du 50e anniversaire des évènements d'octobre 1961.
Michel Levine est historien des Droits de l'Homme. Il a notamment publié chez Fayard Affaires non classées (Archives inédites de la Ligue des Droits de l'Homme).
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