mardi 13 octobre 2009

Macédoine culturelle à la Bernard-Henri

Quand au matin le ciel bas et lourd me pèse comme un couvercle de cocotte-minute, je me dis, comme tous les ans depuis que je suis devenu soudainement un vieillard sournois, que j'aurais dû commencer un peu plus tôt ma cure pré-hivernale de gelée royale renforcée au ginseng impérial.

Damned ! C'est encore raté pour cet automne.

Me dis-je.

In petto.

Et puis je passe à autre chose, cherchant consolation dans les chroniques de la fatuité ordinaire que sont les pages quotidiennes des éditorialistes.

Ce matin, j'ai eu la chance de découvrir le miraculeux feuillet jailli de la plume féconde de monsieur Bernard-Henry Lévy, qui se présente comme "écrivain, directeur de la revue La Règle du jeu"*, intitulé Affaire Mitterrand : et si on inculpait Léon Blum ? et publié par le journal Libération.

Pour qu'on ne l'oublie pas, l'explicit de ce bel et revigorant article est suivi de:

[Bernard-Henri Lévy est membre du conseil de surveillance de «Libération».]

Je ne sais pas trop ce que cela veut dire de faire partie du conseil de surveillance d'un journal, mais je suppose que c'est une fonction qui a à voir avec le respect des règles du jeu sur la cour de récréation médiatique...

Pour prendre un exemple au hasard, une telle règle me semble de proscrire les attaques personnelles non documentées, les dénonciations évasives ou l'attaque du père pour toucher la fille et son malsain esprit de parti.

Or, il me semble que cette règle est mal observée par le membre éminent du conseil de surveillance du journal, lorsque, à propos de la polémique Mitterrand, il écrit:

Et voici donc un événement considérable (...) : l’alliance folle, profondément contre-nature, suicidaire, entre des héritiers de Jaurès et le parti d’un homme qui, jadis, à Alger, partit faire du tourisme parachutiste autrement plus olé olé que celui dont Frédéric Mitterrand a fait lui-même, il y a quelques années, dans un livre unanimement salué par la critique, l’aveu public et désolé.

Les connaisseurs applaudiront devant cette habileté du sophiste qui introduit dans son parallèle le thème des "héritiers" côté socialiste, mais ne nomme que le "parti" de Jean-Marie Le Pen, alors qu'il est clair pour son lecteur qu'il pense à son "héritière"...

On admirera aussi la subtilité prudente de notre auteur, qui s'abstient bien de nommer explicitement Jean-Marie Le Pen, ne le désignant que par une longue périphrase riche de fourbes sous-entendus. On ne saura pas ce qu'entend monsieur Lévy par cette curieuse expression de "tourisme parachutiste olé olé", mais cela nous laisse imaginer plus que ce qui a été révélé des présumées ardeurs combattantes de monsieur Le Pen en son active jeunesse.

Jean-Marie Le Pen décoré de la Croix de la valeur militaire, en 1957.
(Les commentaires incrustés viennent du site d'origine de la photo.)

Après s'être livré à cette attaque latérale contre le père-fondateur du Front National, d'une manière qui montre qu'il n'ignore rien des techniques frontistes, notre ancien philosophe termine son feuillet en s'attaquant à ce "nouvel ordre moral" qu'il prétend voir se constituer, avec l'aide d'un "escadron de vertueux, estampillé socialiste".

Usant de sa technique éprouvée, BHL tire de sa culture encyclopédique de quoi nous éblouir et, pense-t-il, nous convaincre en nous éblouissant. De cette macédoine de références culturelles, bien touillée, cela va de soi, il ressort cette effrayante constatation que, comme Frédéric Mitterand, médiocre auteur d'un "livre unanimement salué par la critique", André Malraux, Léon Blum, André Gide, Jean-Jacques Rousseau et Jean Genet, s'ils avaient le malheur de vivre sous l'œil de "la nouvelle Brigade des mœurs", ne seraient plus que "du gibier de média et d’agora".

Monsieur le ministre de la Culture et de la Communication doit être flatté...

Notre polémiste exalté semble très content de nous mettre le nez sur les "turpitudes" de Léon Blum (qui lui inspire son titre):

Blum à qui il arriva, au temps de La Revue blanche, de faire l’éloge de l’adultère et de l’extrême liberté de mœurs pour les jeunes filles emprisonnées dans le carcan des familles, devrait se tenir à carreaux de peur d’être dénoncé comme pédophile par les Benoît Hamon de service.

A ma grande honte, je n'ai pas lu les écrits de Léon Blum dans La Revue blanche. Mais je me demande si les textes évoqués par l'omniscient BHL ne sont pas simplement des textes revendiquant des libertés, plutôt que des confessions publiques.

Cependant c'est là le secret de la recette: il faut que tout soit bien amalgamé.

Proche du confusionnisme mental, en quelque sorte.

BHL a-t-il commencé sa cure de gelée royale ?
Il paraît que ça aide à garder les idées claires.



* Faut-il en déduire de BHL renonce temporairement à se faire passer pour philosophe ? et/ou que la revue La Règle du jeu aurait besoin d'augmenter son tirage ?

2 commentaires:

JR a dit…

Pour rester dans la métaphore, j'en déduirai plutôt que le pseudo philosophe fait son miel avec n'importe quoi et qu'il rencontre des problèmes similaires à ceux des abeilles, qui s'égarent parfois loin de leur ruche à cause des pesticides et autres insecticides, dont le fameux gaucho, qui n'a rien à voir avec l'ultra gauche et ne peut donc être classé dans aucune héritage sauf celui d'une planète sale que nous léguons à nos enfants…
Bref.
Il n'est pas trop tôt pour renforcer tes défenses, immunitaires et autres : c'est pas encore l'hiver.

Guy M. a dit…

Côté défenses, je suis comme un vieil éléphant édenté: il y longtemps que je n'en ai plus.

(Mais l'ancien philosophe me donne envie d'aller voir à la BM ou à la BU si l'on y trouve ces textes sulfureux de Blum...)