mardi 20 octobre 2009

La morgue du statisticien

La tribune que publie, dans le journal La Croix, monsieur René Padieu, inspecteur général honoraire de l’Insee, président de la commission de déontologie de la Société française de statistique, et qu'il a intitulée Sur une vague de suicides, ne va sûrement pas faire baisser le taux de suicides dans notre beau pays, tant on sort de sa lecture avec la triste impression d'être le plus nul de chez les nuls, ou le plus gland de chez les glands, ou le plus con de chez les cons...

Au point qu'on se demande à quoi ça sert d'être là, et tout ci, et tout ça...

Ça vous donne tout de suite envie d'en finir et de vous foutre à l'eau.

...la tête la première.
(La vague, Gustave Courbet, 1869)

Visiblement agacé d'entendre les médias parler "d’une vague de suicides à France Télécom" et de les voir faire un décompte de ces suicides, Monsieur René Padieu entend leur donner une leçon de statistique, agrémentée, dans la foulée, d'une leçon de professionnalisme.

Un journaliste consciencieux recoupe son information.

Et toc !

Avant de donner ce cinglant coup de cravache, Monsieur Padieu avait remarqué que "télévision, journaux gratuits ou grands quotidiens nationaux, en passant par d’innombrables forums Internet" dénombraient chaque nouveau cas de suicide dans le personnel de France-Télécom, sans que jamais "personne ne semble penser à vérifier en quoi [le nombre obtenu] est élevé."

Soit.

Il ne faut jamais citer le moindre chiffre devant un statisticien: les chiffres sont de son exclusif domaine, pas du vôtre, et vous voir en utiliser l'indispose...

Et puis, vous dira-t-il, un chiffre tout seul n'a pas de sens: il faut faire des comparaisons avec des résultats de référence.

On n'y coupe pas:

En 2007 (cela varie peu d’une année à l’autre), on avait pour la population d’âge actif (20 à 60 ans) un taux de 19,6 suicides pour 100 000. Vingt-quatre suicides en dix-neuf mois, cela fait 15 sur une année. L’entreprise compte à peu près 100 000 employés. (...)

Monsieur René Padieu indique en note qu'il a tiré sa référence de Statistique sur les causes médicales de décès, Inserm, CépiDc. C'est du sérieux.

Seulement la suite est beaucoup moins sérieuse:

(...) Conclusion : on se suicide plutôt moins à France Télécom qu’ailleurs. Et, semble-il, moins qu’il y a quelques années. Il n’y a pas de «vague de suicides»…

La Vague, Camille Claudel, 1897,
œuvre terminée par Francois Pompon en 1902.


Devant le résultat obtenu, 19,6 d'un côté et 15 de l'autre, un statisticien un peu consciencieux aurait été amené à se poser quelques questions, et en particulier, la question de la pertinence de son ensemble de référence.

Est-il vraiment intelligent, d'un point de vue statistique, de comparer l'ensemble des employés de France-Télécom, qui présente une certaine homogénéité avec l'ensemble hétérogène des hommes et femmes "d'âge actif" ? Dans cette dernière population, ne serait-il pas plus judicieux de ne retenir que les personnes employées dans une entreprise comparable, par sa structure, avec France-Télécom ?

Je ne sais pas si c'est possible de le faire, et je ne connais pas les résultats...

Mais ce que je remarque, c'est que monsieur le donneur de leçons statistiques, dont c'est la spécialité, s'est bien gardé de chercher à affiner ses références.

Je rejette donc la validité de sa conclusion: "on se suicide plutôt moins à France Télécom qu’ailleurs".

Et, par conséquent, je rejette toute la suite de son texte, si plein de morgue et de prétention, ses "jugements sommaires" et ses "affirmations péremptoires".

Ceci n'est pas de la statistique, c'est une demonstration.

Un dernier mot pour souligner la très grande malhonnêteté de cette incise glissée dans la "conclusion":

Et, semble-il, moins qu’il y a quelques années.

Monsieur René Padieu, du haut de son expertise d'inspecteur général honoraire de l’Insee et de son autorité de président de la commission de déontologie de la Société française de statistique, insinue donc qu'on se suicide moins ces derniers mois à France-Télécom qu'il y a quelques années.

Aucun chiffre ne vient appuyer cette estimation dans le corps de l'article de monsieur Padieu, aucune note ne renvoie à une étude accessible.

Or, c'est ce paragraphe qui est retaillé en chapeau de l'article par la rédaction de La Croix, et c'est ce paragraphe qui est le plus cité par les médias qui parle de cette tribune.

Monsieur René Padieu dénonce l'instrumentalisation qui est faite des suicides à France-Télécom.

Lui se livre à une manipulation, tout simplement.

4 commentaires:

Marianne a dit…

Les familles des suicidés apprécieront la démonstration de cet excellent statisticien .

Guy M. a dit…

Pour certains, les chiffres n'ont pas de visage.

Jean-Pierre VIDAL a dit…

N'est Padieu qui veut ...
M. le Statisticien, avec le grade qu'il a, Inspecteur Général (honoraire) de l'INSEE, a du passer par l'X dans sa jeunesse, et il ne m'étonnerait pas qu'il soit un copain de promo de M. Lombard qui est passé au même endroit il y a très longtemps !...

Guy M. a dit…

Je me suis posé la même question... Mais, bien sûr, je n'ai pas cherché les listes d'anciens élèves de notre Grrrande Ecole.

(Je ne sais pas si "La jaune et la rouge" est en ligne...)