jeudi 8 octobre 2009

Dans la boue

La triste nouvelle est tombée en milieu de journée: les jurés suédois ont attribué le prix Nobel de littérature à madame Herta Müller, écrivaine de langue allemande, et non à monsieur Frédéric Mitterrand, écrivain de langue française.

L'Académie Nobel a ses raisons.

Pourtant cette reconnaissance littéraire aurait été bienvenue pour monsieur Mitterrand qui, selon un article du Monde, "va tenter de désamorcer la polémique" suscitée par madame Marine Le Pen à propos de son livre, La mauvaise vie, paru en 2005.

Le journal Le Monde a obtenu des éditions Robert Laffont, et par conséquent de l'auteur, l'autorisation de publier quelques pages du chapitre incriminé. C'est une initiative qu'il faut saluer, car il n'est peut-être pas inutile de lire cette prose débarrassée de la diction assez poissonnière de madame Le Pen, qui, pour mener son attaque télévisée surprise, avait fait l'effort d'en apprendre un morceau par cœur.

Pour la prochaine édition, on supprimera le cigare.

Je n'ai pas lu le livre de Frédéric Mitterrand. A l'oral, son phrasé de rengaine et la scansion appliquée de ses platitudes boursouflées ont tendance à me le rendre insupportable. J'ai eu peur de retrouver l'équivalent à l'écrit.

Ce qui n'est pas le cas, du moins dans ces pages où le style est plus celui de la notation de journal, un peu sèche et sans ampleur.

(C'est terriblement ennuyeux; notre "talentueux" écrivain, bientôt traduit aux Etats-Unis a oublié le principe baudelairien: quand on pétrit de la boue, il faut en faire de l'or...)

L'intérêt se réveille (un peu) lorsque l'auteur se regarde, prend des poses et s'explique:

L'argent et le sexe, je suis au cœur de mon système ; celui qui fonctionne enfin car je sais qu'on ne me refusera pas. Je peux évaluer, imaginer, me raconter des histoires en fonction de chaque garçon ; ils sont là pour ça et moi aussi. Je peux enfin choisir. J'ai ce que je n'ai jamais eu, j'ai le choix ; la seule chose que l'on attend de moi, sans me brusquer, sans m'imposer quoi que ce soit, c'est de choisir. Je n'ai pas d'autre compte à régler que d'aligner mes bahts, et je suis libre, absolument libre de jouer avec mon désir et de choisir. La morale occidentale, la culpabilité de toujours, la honte que je traîne volent en éclats ; et que le monde aille à sa perte, comme dirait l'autre.

Le choix et la liberté pour tous, sauf peut-être les filles ?

Cette posture étudiée du grand bourgeois artiste qui pleurniche sur le manque de choix de sa vie, et veut régler ses "comptes" avec cette "culpabilité de toujours" et la "honte qu'[il] traîne" en balançant son "argent" à la face de la misère des bordels, a effectivement quelque chose d'écœurant...

Quant à la littérature dans tout cela, on la traîne incontestablement dans la boue.

9 commentaires:

Marianne a dit…

Ce choeur de moralisateurs relayé par des journaleux en mal de sensationnel ne grandit pas non plus les médias .

Guy M. a dit…

J'ai toujours quelque scrupule moral à rejoindre le chœur des moralisateurs. En l'occurrence, j'espère ne pas tout à fait chanter la même partition que mme Le Pen...

Mais j'avoue, oui, que le passage que je cite, qui se veut l'analyse de la fascination (attirance/répulsion) exercée par ce marché du sexe, heurte frontalement ma propre morale sexuelle.

olive a dit…

Dans cet extrait à la fois plat et boursouflé de «Moi-Je», remplaçons si vous le voulez bien «sexe» et «garçon» par «lessive», «chemise», «paquet de nouilles», «micro-ondes», «écran plat» (etc.).

Magique ! On obtient l'extase du consommateur épanoui dans le centre commercial de ses rêves.

Consommer de la chair humaine, dévorer des enfants, «et que le monde aille à sa perte, comme dirait l'autre»...

Qu'on soit — la question n'est pas là — homo, hétéro, abstinent, zoo, sado, maso, que sais-je, c'est crapuleux.

(allez, je fais mon coming-out : pour les paquets de nouilles, je suis très calviniste)

Guy M. a dit…

Applaudissements...

(Quoique je me sente plutôt janséniste...)

JBB a dit…

"En l'occurrence, j'espère ne pas tout à fait chanter la même partition que mme Le Pen..."

Heureusement, non. Même si je rejoins Marianne sur un point : le débat est tellement biaisé et marécageux, sur cette question, qu'il devient très difficile d'en parler. En ce qui te concerne, tu t'en sors haut la main.


"quand on pétrit de la boue, il faut en faire de l'or.."

A quelques années de différence, F. Mitterrand va peut-être y arriver. Au sens propre : depuis la mise en cause de l'auteur, les ventes s'envolent. Sur amazon, le bouquin vient de passer les trois derniers jours en tête des ventes. Mitterrand n'aura pas tout perdu…

olive a dit…

@ Guy :

Justement, j'ai failli écrire «janséniste» (surtout pour les spaghetti à la Blaise), mais cette semaine y a promo sur les coquillettes Max Weber.

Guy M. a dit…

@ Jbb,

Pour l'argent, c'est une bonne opération; pour le sexe, attendons la suite du non-roman non-autobiographique.

@ Pièce détachée,

Mon amour immodéré des coquillettes au beurre va peut-être me placer sur la voie de l'apostasie.

JR a dit…

Ne pas faire partie du choeur des moralisateurs et se démarquer de Mme Le Pen.
Comme on se fait parfois avoir.
Bravo Guy de ton intelligence.
Quant aux nouilles, je ne suis pas certain pour ma part, d'en avaler d'autres que Le Pen ou Mitterand. Je suis parfois d'un commun.

Guy M. a dit…

Feu Pierre-Gilles de Gennes montrait une grande virtuosité en expliquant ses travaux récompensés du Nobel en parlant de nouilles...

C'est dire l'importance de ce concept.