vendredi 2 octobre 2009

Adieu (tardif) à Pierre Samuel

Au temps où je m'adonnais aux études, j'ai fréquenté, de manière plus ou moins intermittente, les amphis et les salles de la faculté d'Orsay, qui était déjà devenue l'université de Paris-Sud. J'ai alors suivi, et parfois subi, les cours de quelques grands noms de la mathématique, et parmi ces grands noms, un seul pourrait se vanter, si cela avait la moindre importance et s'il était encore en vie, de ma présence assidue à ses exposés.

Pierre Samuel donnait alors un cours semestriel, qui était validé comme "demi C4" pour la maîtrise, sur la théorie algébrique des nombres.

Ignare et inculte, j'ignorais tout de Pierre Samuel, et à la fin du semestre, je n'en savais pas beaucoup plus.

Mais j'avais fait une précieuse découverte: on pouvait parler de mathématiques avec une élégance absolue.

Cette élégance était d'abord sensible dans sa manière d'occuper l'estrade, dans ses gestes habituels qui n'étaient certes pas des tics, mais qu'il semblait avoir choisis pour se scénographier discrètement... Elle devenait évidente dans le ton de sa voix et la construction de son discours... Et même les plus bourrins de ses étudiants ne pouvaient l'ignorer dès qu'il commençait son exposé.

Pierre Samuel avait l'art de faire partager à ses auditeurs son goût de la belle démonstration, et même de la jolie démonstration, qui se distingue de la précédente par une touche supplémentaire de subtilité: la petite pointe de couleur qui fait dire "oui, c'est mieux comme cela".

Pierre Samuel tel qu'en lui-même,
mais sans son fume-cigarette.


Sur Pierre Samuel, je sais maintenant
que, né en 1921, il a été admis en 1940 à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, alors repliée à Grenoble,
qu'il a publié son premier article de recherche en 1942,
qu'il s'est engagé dans la résistance et a été membre d'un maquis de Savoie,
qu'il a été coopté parmi les membres du groupe Bourbaki, dont il est devenu secrétaire,
qu'il est parti poursuivre sa thèse à Princeton en 1947,
qu'il est devenu professeur à Orsay en 1961,
qu'il a fondé, avec Alexandre Grothendieck et Claude Chevalley, le groupe Survivre et vivre en 1970,
qu'il a quitté ce groupe en 1973, pour rejoindre Les Amis de la Terre, dont il est devenu la président,
qu'il a publié Amazones, guerrières et gaillardes, une livre où il s'intéresse aux mythes et réalités autour de la "femme forte",
qu'il a été un opposant résolu et scientifiquement éclairé à la folie de l'énergie nucléaire...

Et je sais depuis peu que Pierre Samuel a quitté cette terre qu'il avait, à sa manière discrète mais efficace, rendue un peu plus vivable, le 22 août 2009.

Adieu, monsieur Samuel.

Et merci.

3 commentaires:

myriam a dit…

Merci MONSIEUR Guy... je passe dans le coin pour lire tous ces messages que je n'ai pu que "survoler" ces dernières semaines.
On va pas faire dans le cirage de pompes industriel, mais merci encore pour ce blogue in(dis)pensable... ;)
C'est vrai, comme l'a dit qq'un d'autre, ça manque l'accompagnement musical...


(et pas adieu...)

JBB a dit…

Oh que tout d'accord. Même que tu es le seul, Guy, à pouvoir quelquefois me faire percevoir une quelconque poésie ou élégance dans les mathématiques. Jusqu'à présent, j'avais toujours pensé que c'était comme les épinards : naturellement indigeste.

(Et aussi, il est quelquefois des profs qui vous marquent à vie. J'imagine que Pierre Samuel était de ceux-là)

Guy M. a dit…

Oh la la, n'en jetez plus !

A bientôt, myrage.

(Pierre Samuel, dont je n'ai été qu'un modeste étudiant pendant quatre mois, m'a plus influencé que bien d'autres, fréquentés plus longuement: c'était beaucoup plus qu'un excellent prof...)