samedi 11 février 2012

Sur un air de flûtiau sauvage

Les heureux lecteurs du Figaro ont pu se délecter récemment d'une tribune signée de monsieur Luc Ferry, ancien ministre et musicologue contemporain.

Il y déclarait, un peu hors sujet mais d'un ton convaincu :

"Au nom de quoi devrais-je m'abstenir de penser que les œuvres de Bach ou Mozart sont infiniment plus profondes, plus riches et plus précieuses à tous égards que le tambourin ou le flûtiau de ce que Lévi-Strauss appelle les "sociétés sauvages" ? Un tel jugement de valeur n'implique nulle xénophobie, pas davantage la moindre volonté colonisatrice ou impérialiste, simplement l'expression d'un choix dont on voit mal au nom de quelle morale débile il devrait être interdit."

Une telle cuistrerie d'enculturé occidental ne pouvait que me donner l'envie d'écouter un petit air de "flûtiau" sauvage...





Le "flûtiau" est ici tellement primitif qu'il n'a qu'une seule note. Dans nos sociétés hautement civilisées, où l'on apprécie Bach, Mozart et Luc Ferry, on appelle cela un sifflet. Inutile de préciser qu'aucun de nos profonds, riches et précieux compositeurs n'ont composé de pièces pour voix et sifflet...

Le contributeur Youtube qui a posté ce court morceau l'attribue aux pygmées BaMbuti de la forêt de l'Ituri, qui est située au nord-est de la République démocratique du Congo. Je ne suis pas certain que cela soit juste. Si l'on en croit ce cher Wiki, hindewhu est une technique musicale pratiquée par les BaBenzélé que l'on rencontre plus à l'ouest, et plutôt sur le territoire de la République centrafricaine.

Notre ami 8SacredRoot8 - c'est son pseudo - ne donnant aucune référence discographique, les possibilités de vérification sont bien limitées.

Il a mis en ligne d'autres exemples de ce style, en les attribuant aux Aka Peoples - ce qui semble plus juste puisque les BaBenzélé sont aussi appelés BaYaka...




Encore un peu de "flûtiau" solo.




Et un chant de retour de la chasse.


Cédant probablement à une compulsion multiculturaliste "débile", Herbie Hancock a introduit du hindewhu dans Watermelon Man, un morceau du disque Heads Hunter qu'il a enregistré en septembre 1973 avec Bennie Maupin, Paul Jackson, Bill Summers et Harvey Mason.




C'est Bill Summers qui joue le hindewhu.


PS : La première vidéo montre, au passage, la photo d'un homme portant un enfant. C'est une belle image, illustrant la conception très exotique de la paternité et du partage des tâches d'éducation chez les Aka. Cette "société sauvage" a été étudiée de ce point de vue par l'anthropologue Barry S. Hewlett - il n'y a pas de traduction en français, je le crains.

8 commentaires:

celeste a dit…

moment de beauté, merci ;-)

Guy M. a dit…

De rien, le plaisir a d'abord été pour moi :-)

olive a dit…

Ah que c'est beau ! J'avais décidé de l'oublier, pour tenter d'amoindrir le chagrin, depuis (1984) qu'on m'a volé livres et disques, dont un 33 tours de chants pygmées... Au moins pour celui-ci, je sais que le voleur n'est pas Luc Ferry, dont les références musicales se doivent d'être aussi bien coupées que son complet philosophique.

Ce disque venait de la collection Ocora, fruit de travaux et de passions immenses, tout ça pour aboutir à un catalogue de pur gaspillage : on n'y trouve aucune trace, du moins directement identifiable, de Bach ni de Mozart. Comme disait Léopold, roi des Belges et propriétaire du Congo : «Exterminez tous ces sauvages ! ».

Guy M. a dit…

Voilà une enquête qui progresse à grands pas. Ce ne peut être Luc Ferry, mi moi...

Et la référence des enregistrements est découverte. Il n'y a plus qu'à explorer la collection Ocora, qui contient des merveilles.

(Les vrais musiciens qui se sont occupés de ces collectes de musiques sauvages avaient laissé un joyeux souvenir à Kinshasa...)

iGor a dit…

Évidemment le Luc d'un autre âge (glaciaire) a le droit de ses goûts.

J'imagine qu'on doit trouver quelques enregistrements fort intéressants chez Folkways, notamment un Black Music of Two Worlds. Un bijou de "relativisme culturel".

Et puis tout cela me fait penser à Ishmael Reed et son roman Mumbo Jumbo :

REED, Ishmael, 1998. Mumbo jumbo. Editions de l’Olivier. ISBN 2879291488.

Tiens si on écoutait une chanson en l'honneur du héros du livre ?
https://www.youtube.com/watch?v=zaW3ey92FD0

Guy M. a dit…

C'est justement chez Folkways que l'on peut trouver les enregistrements "historiques" réalisés par Colin Turnbull auprès des BaMbuti de la forêt de l'Ituri.

La référence :
http://www.folkways.si.edu/albumdetails.aspx?itemid=2300

(Et comme je ne connais pas Ishmael Reed, je vais aller voir...)

Anonyme a dit…

ralala ... que ne ferait on pas pour passer pour plus d'avant-garde que le commun . Mais montrez nous donc pourquoi cette musique pygmée vous émeut. Alors je vous montrerai pourquoi les suites de Bach (ou son Clavier bien tempéré) me bouleversent encore. Et souvenez vous : qui veut faire l'ange fait la bête.

Guy M. a dit…

Ne comptez pas sur moi pour vous déboucher les oreilles et/ou la sensibilité.

Et, en retour, de grâce, épargnez moi vos gloses sur les pièces de Bach, qui vous "bouleversent encore". Je crois que je sais écouter Bach et Mozart - et bien d'autres -, avec des références culturelles qui valent bien les vôtres.

(Quant à l'aphorisme pascalien, il a rarement été cité avec si peu de pertinence.)