Il n'est pas rare que les étudiants se réunissent pour émettre des idées oiseuses sans que cela porte à conséquence. Parfois, imaginant de se prendre au sérieux, ils invitent quelques grands ainés et se réjouissent de partager avec eux une certaine conception avancée du monde à refaire.
Samedi, l'Union Nationale Inter-universitaire - UNI, "association indépendante" qui entend œuvrer "par l'éducation, pour la Nation" - , avait invité, à l'occasion de sa "convergence annuelle", monsieur Claude Guéant qui a pris la parole, pendant une trentaine de minutes. Il a prononcé, selon Olivier Vial, président de l'UNI, un "discours très général, très serein, posé et républicain", "dans une configuration de colloque, pas de meeting", qui "n'avait aucune vocation à être polémique", puisque "ce n'était pas une harangue". D'ailleurs, la presse n'était pas conviée, et l'on pouvait donc, a priori, proférer toutes les âneries générales, sereines, posées et républicaines que l'on voulait...
Ce qui fut fait :
"Or, il y a des comportements , qui n’ont pas leur place dans notre pays, non pas parce qu’ils sont étrangers, mais parce que nous ne les jugeons pas conformes à notre vision du monde, à celle, en particulier de la dignité de la femme et de l’homme. Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique.
En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation."
Quant aux moyens à employer, monsieur Éric Raoult y faisait peut-être finement allusion en déclarant, "sous les acclamations" :
"Ce que j'ai appris à l'UNI, c'est quand on se fait casser une dent, on répond en cassant la gueule."
Quoi qu'en aient dit l'orateur et ses amis, il faut reconnaître que cela n'arrange pas grand chose de replacer dans son contexte embrouillamineux cette phrase qui ferait sursauter n'importe quel correcteur du baccalauréat :
"Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas."
Peut-être abusés par la substitution de "les socialistes" en lieu et place de "l’idéologie relativiste de gauche" dans la première restitution de la sentence, divers commentateurs, du parti socialiste et d'ailleurs, se sont contentés d'y voir "la provocation pitoyable d'un ministre réduit à rabatteur de voix #FN" - ainsi que l'a touitté monsieur Harlem Désir. Monsieur Guéant a ainsi reçu toute facilité pour répliquer qu'on lui faisait - encore - un procès d'intention électoraliste, à lui qui ne s’intéresse pas du tout - mais alors pas du tout - aux idées du Front.
Ce n'est pas très malin...
Car, avec toutes les intentions que l'on voudra déceler, monsieur Guéant a abordé les rivages du débat d'idées autour de ce délicat concept de "civilisation", et il l'a fait avec les pauvres outils qui sont les siens, ceux de la "culture générale" d'un étudiant de SciencePo qui a fait l'impasse sur les questions d'anthropologie et qui tente sa chance avec "des propos de bon sens, des propos d'évidence"...
A lire certaines réactions, venant notamment de personnalités politiques qui ne sont pas trop à gauche, il semble que la tentation de jouer à l'examinateur ait été à peine évitée. Si le professeur Juppé n'émet qu'une critique assez "sympa" sur l'emploi du terme "inadéquat" de "civilisation" qui "peut prêter à confusion", le professeur Bayrou offre aux lecteurs de La Dépêche du Midi un joli "à la manière de" parodiant une correction de dissertation - "Ces propos sont un dangereux détournement de pensée. Au premier abord, la réflexion paraît fondée."...etc. - avant de replacer son discours politicard humano-centriste.
Cependant, il faudrait peut-être prendre l'étudiant Guéant à ses mots et le renvoyer à sa médiocrité. Car il est grand temps qu'il découvre quelle est sa "valeur" intellectuelle. Lui communiquer l'appréciation que mérite sa copie - dans genre bien vachard cultivé par les membres d'un jury d'agrègue, par exemple -, pourrait faire le plus grand bien à son œdème des chevilles.
Lequel œdème pourrait être aggravé par la remarque faite, à l'occasion de cette "polémique", par monsieur Henri Guaino, par ailleurs grand spécialiste de l'entrée dans l'Histoire de "l’Homme africain".
Selon Sophie Louet, pour Reuters :
Henri Guaino a comparé l'incident au procès fait en 1971 à Claude Levi-Strauss pour sa conférence sur "Race et Culture". L'ethnologue soulignait alors le danger pour les cultures de renoncer à faire valoir leurs différences au nom de l'égalité des hommes.
Cette tentative magistrale de recouvrir les tristes tropismes de monsieur Claude Guéant du voile d'une prestigieuse référence a été peu reprise.
Et c'est dommage, car c'est amusant.
Cela aurait pu être l'occasion de conseiller à notre piètre anthropologue gouvernemental la lecture indispensable non de Race et culture (1971), qu'il pourra aborder plus tard, mais de Race et histoire (1952), où Claude Lévi-Strauss, après avoir réfuté les théories racialistes de Gobineau, posait avec une grande clarté la question du jugement de la valeur d'une culture.
Cela devrait également l'éclairer quelque peu sur la difficulté qu'il y a à parler, en toute honnêteté intellectuelle d'une "idéologie relativiste de gauche" - pauvre fantasme d'un qui respire mal quand il ne se sent pas adossé à une échelle de valeur qu'il croit solide.
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