jeudi 2 février 2012

Le ventre mou de la démocratie

Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds...
Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde

Bertold Brecht,
La Résistible Ascension d'Arturo Ui, 1941.

Un peu tranchant, mais plutôt rassurant, monsieur Paul Gradvohl, que Le Monde présente comme spécialiste des civilisations d'Europe centrale et maître de conférences à l'université Nancy-II :

Il est important de préciser que le premier ministre, Viktor Orbán, n'est pas un fasciste. Sur le plan économique, par exemple, il suit une ligne qualifiée de "non orthodoxe" et qui se situerait entre Chevènement et de Villiers, si on la comparait à ce qui peut être proposé en France.

Dit-il, vers la fin de l'entretien publié le 3 janvier.

Il est possible que Paul Gradvohl ait raison et que Viktor Orbán ne soit pas un fasciste. Mais on peut regretter que notre spécialiste n'étaye sa précision que d'une référence à la doctrine économique hétérodoxe - "entre Chevènement et de Villiers" - qui serait celle du premier ministre hongrois. Car ce n'est peut-être pas d'abord dans ce domaine que le fascisme se caractérise de manière décisive.

Au tout début du même entretien, interrogé sur la signification qu'il fallait accorder au changement de nom - la "République de Hongrie" devenue la "Hongrie", tout court - imposé par la nouvelle constitution hongroise, il expliquait :

Désormais, le pays ne se définit plus comme un régime politique. C'est le peuple hongrois, par-delà les frontières, qui fait son essence. La "nation hongroise", évoquée dans la nouvelle Constitution, réunit à la fois les citoyens de Hongrie et les membres des minorités hongroises de Roumanie, Slovaquie, Voïvodine (Serbie), d'Ukraine et d'ailleurs, qui n'ont pas nécessairement la double nationalité.

Ce nationalisme étendu peut rappeler vaguement quelque chose d'historiquement bien attesté, qui déborde assez largement la simple notion de "fascisme", mais sachez que ce n'est qu'une impression.

Car même s'il est en train d'étouffer en Hongrie toute velléité de liberté, monsieur Viktor Orbán peut se targuer de n'avoir emprunté pour le faire que les voies de la démocratie la plus respectueuse de la légalité.

Zsófia Mihancsik, rédactrice en chef de Galamus-csoport, donne, dans une tribune traduite par Miklós Konrád et hébergée par le quotidien Le Monde, trois exemples de ces procédés de liquidation démocratique de la démocratie. On constatera que ces manipulations sont facilement transposables dans nos démocraties irréprochables à nous, européens de l'ouest - on y trouvera aussi quelques points de rencontre et/ou de convergence.

De quoi, en somme, se demander si "le ventre encore fécond" n'est pas tout simplement le ventre mou de la démocratie sacralisée.



Ultranationaliste à propulsion christiano-réactionnaire.
(Illustration* empruntée à ventscontraire.net,
revue collaborative de Théâtre du Rond-Point.)



* Cette illustration accompagne l'appel lancé de Vienne par l'auteur, comédien et clown Markus Kupferblum, directeur de la compagnie Totales Theater, à l'occasion de l'entrée en fonction, le 1er février, de György Dörner - artiste aux sympathies notoires avec le parti d'extrême droite MIEP - et de István Csurka -le président du MIEP en personne, aujourd'hui retiré de la politique -, respectivement comme directeur et administrateur du Nouveau Théâtre de Budapest.

Voici l'appel de Markus Kupferblum :

Memorandum

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, cher public, voici un memorandum qui sera lu aujourd'hui dans la plupart des théâtres européens, dans la langue du pays, avant chaque spectacle.

Nous sommes aujourd’hui le 1er février 2012. Aujourd’hui-même, à Budapest, un des plus importants théâtres de la ville passe sous la direction de deux personnes qui ont depuis plusieurs années publiquement fait leurs des vues d’extrême-droite. Ils ont personnellement publié des pamphlets anti-sémites, anti-tziganes, des écrits racistes. A partir d’aujourd’hui, ils seront directeurs d’un théâtre subventionné par les fonds publics dans une capitale européenne. Ceci brise un tabou. Mais plutôt que d’utiliser cette rupture comme une nouvelle occasion de condamner Budapest, pourquoi ne pas nous engager, dans nos pays respectifs, dans nos vies, pour la tolérance, pour la diversité et pour la solidarité avec les membres les plus faibles de notre société ? Nous sommes atterrés par le fait que des forces politiques, dans beaucoup de pays européens, promeuvent la haine, le mépris et la jalousie entre les peuples. Notre intention, dans notre travail théâtral, est de dépasser les facteurs de division dans nos sociétés, pour éveiller la curiosité et aiguiser les sens du public vers les évidences sociétales – au nom du bien commun de toutes les personnes, au nom de la paix et de la liberté en Europe. Après tout, nous autres humains sommes tous libres et égaux en dignité et en droits, nous sommes tous citoyens d’un seul et même monde. Nous sommes aujourd’hui le 1er février 2012. Rassemblons-nous pour célébrer aujourd’hui la première journée du Théâtre Européen pour la Tolérance.

Markus Kupferblum

2 commentaires:

Marianne a dit…

"La bête immonde" pointe son nez via le théâtre ?
Je n'aime pas le mot tolérance . Il est, pour moi , l'acceptation de faits et gestes qui ne devraient pas être tolérés .

Guy M. a dit…

A Budapest, il semble qu'elle soit un peu partout, au théâtre, au parlement et peut-être simplement au pouvoir.

Ce qui n'est qu'assez peu tolérable, en effet.