Les amateurs d'euphémismes apprécieront :
Malgré l'adoption d'un nouveau plan de rigueur dimanche soir, la population ne croit plus guère à une solution proche.
C'est à peu près tout ce que l'on trouve aujourd'hui sur ce qui se passe en Grèce en première page "Actualité" d'un quotidien proche de l'UMP...
Enfin presque.
On trouve aussi, parmi "les plus belles images de la semaine, sélectionnées par Le Figaro Magazine", une photo de Louisa Gouliamaki, de l'AFP, avec cette légende explicative :
Chaos. Athènes brûle. La capitale grecque commence à peine à se remettre d’une nuit de guérilla urbaine, provoquée par la révolte contre les nouveaux sacrifices votés par le parlement afin d’obtenir le soutien des bailleurs de fonds internationaux. Une rigueur sans laquelle l’UE et le FMI ne débloqueront pas leur aide de 130 milliards d’euros vitale pour le pays, qui risque sans cela le défaut de paiement dès le mois prochain. « La faillite de la Grèce n’est pas une option que nous pouvons nous permettre », a ainsi martelé avant-hier le Premier ministre Lucas Papademos, avant le vote au parlement.
De son côté, Libération a préféré laisser en "une" matinale de son site un diaporama de huit photographies de l'agence Reuters. La première image est signée de John Kolesidis, et accompagnée d'une légende assez courte, mais inepte :
Les Athéniens ont découvert ce lundi matin l’ampleur des dégâts causés au centre-ville par une nuit de violences, en marge d’une manifestation géante contre un nouveau train d’austérité.
Ce commentaire cherche peut-être à nous faire croire que les habitants d'Athènes ont, comme nous, passé leur dimanche à supputer le calendrier de campagne de Nicolas Sarkozy, président pas encore candidat, et qu'en conséquence, ils n'ont rien vu, rien entendu et rien su de ce qui se passait dans leur ville...
Exactement comme nous, qui serons bientôt exactement comme eux...
Mais non.
On y voit, entouré de manifestants, un vieux monsieur assis. Il porte un masque de protection et il a la tête un peu penchée en avant, comme s'il reprenait difficilement sa respiration...
Cet homme, qui est dans sa quatre-vingt-septième année, est le compositeur Míkis Theodorákis qui vient d'être gazé par la police grecque.
Pour un moment, il personnifie tout un pays que l'on cherche à asphyxier - pour son plus grand bien, nous dit-on.
Míkis Theodorákis dirige, avec la gestuelle très particulière qui était la sienne, Ena to Xelidoni, extrait de Axion Esti, grande pièce "métasymphonique" - c'est lui qui le dit - composée à partir du cycle poétique d'Odysséas Elýtis.
Les paroles de ce morceau sont tirées de ce poème :
Pour que le soleil s'en revienne * il en coûte bien des peines
Il faut des morts par milliers * à ses Roues poussant
Il faut non moins de vivants * à lui dispenser leur sang.
Mon Dieu Premier-Ouvrier * dans la mer tu m'as enclavé!
L'ont enseveli dans un * mémorial sous-marin
Dans un puits d'obscurité * l'ont précipité
Que son musc envahisse * les ténèbres et tout l'Abysse.
Mon Dieu Premier-Ouvrier * Tu sens bon la Résurrection !
L'insecte affreux de mémoire * a taraudé la terre
Et comme mordrait une araignée * mordit la lumière
La plage a resplendi * et toute la mer aussi.
Mon Dieu Premier-Ouvrier * aux monts tu m'as enraciné !
Quelques pages plus loin, dans le livre d'Elýtis, on peut lire ceci :
*****SURGIRENT
vêtus en « amis»
*****d'incalculables fois mes ennemis
leurs bottes foulant le sol ancestral.
*****Or ce sol n'eut jamais d'affinités avec leurs talons.
Apportant
*****l'Expert, le Colonisateur et le Géomètre,
des livres pleins de mots et de chiffres,
*****la Toute-Puissance et Toute-Obéissance,
ils ont domestiqué le feu ancestral.
*****Or ce feu n'eut jamais d'affinités pour leurs foyers.
Nulle abeille un seul instant ne s'est laissé prendre à l'or ayant inspiré son jeu
*****nul zéphyr un instant, aux blancheurs soulevant les tabliers.
Ils érigèrent et fondèrent
*****sur ces monts, dans ces vallées, dans ces ports
tours inébranlables et villas
*****navires et autres bois flottants,
les Lois, celles qui prescrivent l'exploitation et le profit,
*****fondant leur application sur l'aune ancestrale.
Or cette aune n'eut jamais d'affinités pour leur pensée.
*****Nul sillage de divinité dans leurs âmes n'a laissé le moindre amer
nul clin d'œil de néréide n'a tenté de leur dérober la parole.
*****Surgirent
vêtus en « amis »
*****d'incalculables fois mes ennemis,
nous faisant présent de cadeaux ancestraux.
*****Mais en substance leurs cadeaux n'étaient rien
d'autre finalement que fer et feu.
*****Entre les doigts écartés qui attendaient
rien que des armes et du fer et du feu.
*****Rien que des armes et du fer et du feu.
(Odysséas Elýtis, Axion Esti, 1951. La traduction de Xavier Borde et Robert Longueville est parue en 1987, aux éditions Gallimard, et a été reprise en collection poésie/Gallimard en 1998.)
10 commentaires:
2 lexeis :
brillant !
merci!
Exactement comme nous qui serons bientôt exactement comme eux !
Wait and see , j'espère que non car si je suis comme eux ce sera aussi pour être dans la rue !
@ cycy,
...de rien.
@ Marianne,
Alors, on se verra peut-être.
Angélique Ionatos chante Elýtis, entre autres dans l'album O Erotas (1992). Par exemple, Belle et étrange patrie.
Il s'en trouve à qui ça ne dit rien : «ce n'est pas une option».
Une autre version ici.
"Elle cherche la révolte / Et s’offre des tyrans"
Je crois que c'est grâce à Ionatos que j'ai commencé à lire Elýtis, après avoir écouté "Marie des brumes" (1984). Ensuite, il y a eu "Le Monogramme" (1988).
Et cette "Belle et étrange patrie", je ne sais combien de fois en concert.
(Il me semblait que j'avais fait un billet sur ce poème. Je l'ai retrouvé, il date du 14 décembre 2008. Il y a un siècle, quoi.)
Je ne m'en sortirai pas en prétendant que je ne retrouvais pas ce billet, alors que c'est si facile (hin hin) en consultant tes "archives". En réalité, je l'avais complètement oublié (sans doute pour oublier, surtout, le commentaire que j'y ai laissé...).
Ouiménon, c'était une lacanerie...
(On s'en remet.)
Ne te crois pas obligé d'exhumer toutes les archives, je te prie.
Non, rassure-toi, qu'en paix dorment les archives !
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