dimanche 17 juillet 2011

Que maudit soit mon beau-frère

Une terrible malédiction poursuit Laurent Joffrin : quand il veut faire de l'esprit, il atteint à peine le niveau prudhommesque de mon beau-frère qui doit bien être, sans conteste, le beau-frère le plus bête de France - oui, j'ai de la chance, et ma sœur aussi.

Pour introduire sa profonde réflexion sur les récents propos de madame Eva Joly, notre éditorialiste maudit écrit :

Supprimer le défilé militaire du 14 juillet ? Avec tout le respect qu'on lui doit, il faut dire à Eva Joly que cette idée respire la naïveté inconséquente et que la candidate écologiste aurait mieux fait, ce jour-là, d'aller s'occuper de son jardin bio.

(Je n'y peux rien, j'entends le rire crétin de mon beau-frère... Serais-je poursuivi par cette malédiction-là ?)

Elle n'est pas mauvaise, hein, ma bien-bonne ?
(Photo SIPA, choisie pour illustrer les éditos de notre auteur.)

Homme de haute culture de gauche, l'éditorialiste le plus creux de France poursuit :

Il y a certes une tradition d'antimilitarisme à gauche, qui a ses justifications. Entre les assassins de 1848, les émules de Badinguet, les fusilleurs de la Commune, les accusateurs de Dreyfus, les ganaches de 14-18 si prodigues du sang des soldats, les militaires pétainistes ou les agents du colonialisme armé, jusqu'aux putschistes de l'Algérie française, il y a eu dans l'histoire suffisamment de militaires rangés du côté de la plus noire réaction pour expliquer cette tradition qu'on retrouve aujourd'hui encore au Canard Enchaîné, à Charlie Hebdo ou dans les rangs de l'altermondialisme.

On lui saura gré de faire une liste "suffisante", mais sûrement incomplète, non pas pour justifier, la survivance d'une "tradition d'antimilitarisme" qui se serait ringardisée "au Canard Enchaîné, à Charlie Hebdo ou dans les rangs de l'altermondialisme", mais pour motiver une position antimilitariste conséquente et rien moins que naïve, totalement ignorée de monsieur Joffrin, "avec tout le respect qu'on lui doit".

Il lui suffira d'aligner quelques "réalités élémentaires" chères au sens commun et à la propagande des services de la communication des armées avant de pouvoir conclure :

Si l'on considère ces quelques réalités élémentaires, le défilé du 14 juillet est parfaitement légitime. On ne peut demander aux soldats français de secourir telle ou telle révolution démocratique, de protéger nos ressortissants à l'étranger ou de couvrir telle ou telle opération humanitaire et les cacher ensuite comme si nous en avions honte. Eva Joly devrait y réfléchir.

Je suis persuadé qu'après avoir lu ce merveilleux texticule si joliment tourné, madame Eva Joly est en train de réfléchir à toutes ces occasions où l'on aurait vu les soldats français effectivement "secourir telle ou telle révolution démocratique", ou "protéger nos ressortissants à l'étranger", ou encore "couvrir telle ou telle opération humanitaire"...

Mais il est probable que leur désintéressement, dont monsieur Joffrin fait un vibrant éloge, les a conduits à cacher les éclats de tels succès.

Pas le genre à exhiber leurs médailles...
(Photo M. Medina/AFP)

L'avantage que l'on peut retirer de la lecture de ces plates joffrinades, si niaisement consensuelles, est peut-être d'avoir envie de lire des choses plus consistantes...

Sortant de cette dénonciation bêtasse de l'antimilitarisme, m'est venue l'idée de retrouver dans La Boucle (éditions du Seuil, 1993), de Jacques Roubaud, quelques passages où, parlant de son père Lucien Roubaud, il évoque ces normaliens de la rue d'Ulm qui, dans les années 20, s'affirmaient pacifistes et antimilitaristes dans le sillage du philosophe Alain - violemment dénoncé par ceux qui allaient constituer, plus tard, la "droite collaboratrice". Par conviction, ces jeunes gens s'opposaient de toutes les manières possibles aux séances de PMS (Préparation militaire supérieure) auxquelles les conviaient instamment les autorités militaires. Jacques Roubaud cite, pour notre plus grand plaisir, une lettre adressée par son père au directeur de l’École normale supérieure qui lui demandait des explications sur son absentéisme :

Monsieur,

J'ai estimé qu'il était vraiment trop inutile pour moi, et pour les autres, de m'adonner à la préparation intensive d'un examen dont le résultat, en ce qui me concerne, est déjà décidé. J'ajoute que je n'ai été empêché de prendre part aux séances de Romainville, où j'avais cependant l'intention d'aller, que par le pensée des perturbations que mon inexpérience ne pourrait manquer de jeter dans les manœuvres. Veuillez croire, Monsieur, à ma considération.

Jacques Roubaud a retrouvé cette lettre dans l'ouvrage Génération intellectuelle : Khâgneux et normaliens dans l'entre deux guerres (Fayard, 1988, puis Quadrige/Presses Universitaires de France, 1994), de Jean-François Sirinelli. La référence "Arch. Nat. 61 AJ 198" y est indiquée et il est précisé :

Le passage en italique était souligné par le destinataire, avec, en marge, cette appréciation : "raison inadmissible".

D'autres stratégies étaient, bien sûr, mise en œuvres :

Mon père a souvent évoqué la réussite de Canguilhem, renversant comme sans le faire exprès, lors d'une inspection, une lourde mitrailleuse sur les pieds d'un colonel.

Et pourtant Georges Canguilhem et Lucien Roubaud, et beaucoup d'autres de cette génération haïssant la chose militaire, se sont retrouvés dans les rangs de la résistance à l'occupant.

Jacques Roubaud recourt à la notion simple mais forte d'un "patriotisme" immédiat, détaché de tout nationalisme et de tout militarisme :

Avant toute autre considération (l'antifascisme, l'antiracisme par exemple) mon père s'est engagé par patriotisme. Et il ne l'a pas fait à moitié. Le disciple d'Alain, l'étudiant pacifiste, antimilitariste des années vingt, qui avait refusé (comme ses amis d'alors) le Préparation militaire supérieure et avait fait son service militaire, volontairement, comme simple soldat, se mit, en 43, au service d'un général dont il ne partageait guère les convictions politiques ou religieuses (et il se sépara de lui la guerre finie, précisément pour cette raison-là : leur unique point commun fut de ne pas accepter l'avilissement national que représentaient l'armistice, le règne des Allemands et de leurs disciples français, les "collaborateurs").

Monsieur Laurent Joffrin "devrait y réfléchir".

7 commentaires:

Ysabeau a dit…

Veinard, un seul beau-frère ! Les miens sont tous de ce calibre... et pas qu'eux.
Ce qui est, euh, marrant, dans cette histoire c'est qu'on a retenu essentiellement le "pas d'armée" le 14 juillet et pas le reste de a la proposition de madame Joly. Or la deuxième partie avait une autre force qu'un simple défilé militaire coûteux et polluant et que je ne peux m'empêcher d'assimiler à un concours de bites (ouais je sais c'est pas joli comme mot).

Faut pas être trop méchant avec Laurent Joffrin, on ne peut pas editorialiser et penser, trop difficile. Et cela même s'il a du mal à comprendre que la citoyenneté ne se résout pas à l'armée et à son allégeance. Sans remonter aux sombres années 40. En 1981, quand monsieur Mitterrand a été élu à la présidence, certains militaires se sont posés la question d'un coup d'état (pendant que des civils fuyaient aux États-unis la soviétisation inéluctable qu'allait apporter l'odieux parti socialiste à la France). Et tout ça ne fait pas ce que j'appelle d'excellents Français.

Guy M. a dit…

Erreur : j'en ai 6, mais un seul me sert pour le blogue, et il est, à la limite, tellement parfait que ça doit être une fiction...

Sur le fond, bien sûr qu'on n'a rien écouté de la proposition d'Eva Joly. Il était plus simple de touitter des âneries assassines ou de pondre des éditoriaux à la Joffrin sur les "naïvetés" antimilitaristes. (Je ne suis d'ailleurs pas persuadé qu'Eva Joly soit antimilitariste, mais ce n'est pas grave.)

Quant au rôle de l'armée, celui qu'on lui donne, ou celui qu'elle se donne, soit en gros préserver les intérêts de la Nation en tirant sur le peuple ou en prenant le pouvoir, notre ami Joffrin préfère l'oublier...

oli66 a dit…

J'ai l'impression que certaines personnes deviennent cons du jour au lendemain. Peut-être est-ce simplement mon jugement qui "se révèle" en un rien de temps ; le temps de marier sa soeur par exemple.

babelouest a dit…

"Appelé du contingent" autrefois, le meilleur militaire que j'ai connu était un officier dégradé, obligé d'encadrer les tout jeunes arrivés. A la fois humain, compétent, et attentif à son travail qui le rendait incontournable, il était tout... ce que certains n'apprécient pas sans doute. Célèbres, méprisants, et gagnant beaucoup à se taire.

Ah, vous étiez là, Monsieur Joffrin ?

Guy M. a dit…

@ oli66,

En ce qui me concerne, j'étais con au départ. Le mariage de ma sœur n'a rien changé...

@ Babelouest,

Allez savoir où était monsieur Joffrin, encore Mouchard peut-être, à l'âge où l'on était appelé au service...

oli66 a dit…

Oh, je ne parlais pas pour vous Monsieur Guy, mon assiduité à votre blog ne m'autorisant pas éthiquement à de tels traits d'insultes.

Guy M. a dit…

Preuve tout de même que je sais bien faire le malcomprenant.

;-)