lundi 18 avril 2011

Tempête dans un verre d'urine

Au fond de ma campagne, il se dit que le vent du dimanche des Rameaux indique, en force et direction, ce qui nous décoiffera durant l'année à venir.

Peut-être tient-on des propos analogues du côté d'Avignon... Mais on préférerait penser que la mini tempête intégriste qui s'y est levée hier ne préfigure en rien le sens du vent qui vient.

Deux photographies de l'artiste américain Andres Serrano ont été vandalisées, dans la matinée du dimanche 17 avril, dans les salles de la Collection Lambert, à Avignon. Aux alentours de 11h30, un groupe d'hommes jeunes, entre 18 et 25 ans d'après les témoins, a pénétré dans l'exposition en s'acquittant des droits d'entrée. Trois d'entre eux se sont rendus dans les combles, où étaient accrochés les Serrano. Après avoir molesté l'un des trois gardiens présents, ils ont brisé la vitre de protection et détruit les œuvres à l'aide d'un marteau et d'un pic à glace ou d'un tournevis avant de prendre la fuite.

La présence dans cette exposition, ouverte en décembre 2010 et intitulée Je crois aux miracles, de Immersion Piss Christ (Andres Serrano, 1987) avait suscité le courroux de l'archevêque d'Avignon, Mgr Jean-Pierre Cattenoz. On remarquera, sans en chercher d'explications - car les voies de monseigneur sont probablement impénétrables - que cette réaction fut assez tardive puisque l'ire de notre éminence ne trouva à s'exprimer publiquement que le 7 avril 2011. Dans ce communiqué, qui se donne des allures d'urgence, on peut lire toute la sainte indignation du prélat :

"Devant le côté odieux de ce cliché qui bafoue l'image du Christ sur la croix, cœur de notre foi chrétienne, je me dois de réagir. Toute atteinte à notre foi nous blesse, devant le côté odieux de ce cliché tout croyant est atteint au plus profond de sa foi."

Puis :

"Devant la gravité d'un tel affront, j'ai essayé de joindre en urgence le responsable de l'exposition pour lui demander de retirer le cliché mis en cause ainsi que les clichés affichés dans la ville, je n'ai encore aucune réponse de sa part."

Et enfin :

"Je me dois d'alerter publiquement les autorités de mon pays qui se targuent avec beaucoup de gesticulations de défendre une laïcité positive".

Une pétition, exigeant que l’œuvre soit retirée avant Pâques, fut lancée par l'Institut Civitas, qui affirme avoir pour noble but "la restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ". Cette pétition aurait recueilli 35 000 signatures...

Samedi 16 avril, avec d'autres associations de même obédience – Catholiques en campagne, l'Observatoire de la christianophobie ou le blog intégriste Le Salon beige –, l'Institut Civitas avait organisé une manifestation devant la Collection. Elle aurait réuni 1500 personnes selon les organisateurs et 800 selon la police, parmi lesquelles Marie-Claude Bompard, maire de Bollène, ex-membre du Front national (FN), et Marie-Odile Rayé, conseillère régionale FN de la région PACA. A l'issue de la manifestation, l'abbé Régis de Cacqueray, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, a exhorté les fidèles à dire un chapelet de réparation.

Et Le Monde poursuit :

Il semble que les auteurs de l'acte de vandalisme participaient à cette démonstration. Dimanche soir, les sites des associations organisatrices s'ouvraient sur l'annonce réjouie de la destruction du Piss Christ.

Mais on peut supposer que personne n'est vraiment au courant.

D'ailleurs tout le monde était encore à la messe quand les faits se sont produits.

Andres Serrano, Piss Christ, 1987.


L'image, un tirage cibachrome de grand format, représente un crucifix plongé dans un liquide ambré. Cette teinte, chaude et très saturée, domine l'ensemble de l’œuvre avec de belles variations de coloris et de luminosité.

Seules les affirmations de l'artiste permettent de penser que le titre, Piss Christ, n'est pas à prendre comme une métaphore, mais bien comme une précision sur la nature du liquide utilisé pour préparer la prise de vue.

Autrement dit, alors que tant d'artistes nous bassinent en commentant publiquement les résultats de leurs analyses d'urines, Andres Serrano a utilisé le produit de sa propre miction pour y tremper un crucifix et obtenir une somptueuse palette de jaune-brun-rouge.

Travaillant en séries, comme beaucoup de photographes, il a, à la même époque, utilisé un certain nombre d'objets, pas toujours liés au culte religieux dominant, pour pratiquer ses Immersions. On peut, en une simple navigation avec moteur de recherche hors-bord, en découvrir quelques unes, plus ou bien reproduites. Les défenseurs de la chrétienté pourront même se délecter de la présence, discrète mais indéniable, d'un Piss Satan.


Andres Serrano, Discobolo, 1988.

Pour ceux qui aimeraient voir avant de sortir leurs pics à glace, la galerie Yvon Lambert propose, sur son site, 101 images d'excellente qualité permettant une vue rétrospective de la production d'Andres Serrano. On peut y découvrir, notamment, au n° 89/101, la photographie de 1991, intitulée Sœur Jeanne Myriam, qui a également souffert de l'action du commando purificateur du dimanche des Rameaux. Il est bien possible qu'en sortant de cette visite virtuelle, on puisse reconnaître, en toute honnêteté, y avoir croisé des fascinations depuis longtemps refoulées qui font pourtant partie de nos obsessions inavouées parce que décrétées inavouables - voir les séries Morgue ou Shit, par exemple.

Considéré sous cet angle, cet anecdotique petit jésus dans un verre de pipi nous fait remonter à cette enfance de l'art que certains ne sauraient voir...

Lorsque le Piss Christ a commencé à scandaliser ici ou là - car cette provocation a une longue histoire -, la célèbre critique d'art britannique, Sister Wendy Beckett, refusa de se joindre à la meute. Un peu vacharde, elle suggérait qu'Andres Serrano n'était peut-être pas un jeune homme très doué, mais qu'il faisait de son mieux... Mais elle ajoutait que, pour elle, son œuvre n'avait rien de blasphématoire, y voyant plutôt un avertissement pour dire : "this is what we are doing to Christ" - "voilà ce que nous faisons au Christ".

Il est peu probable que les défenseurs de l'Occident chrétien voient les choses de la même façon que leur très chère sœur en Jésus-Christ.

6 commentaires:

olivier a dit…

Il aurait été beau que Serrano eut façonné son oeuvre dans le but d'être détruite, un peu comme le fit à l'extrême Jean-Baptiste Grenouille avec son parfum.
Et puis le sacrifice du temps passé, de l'orgueil, du travail, ça se fondrait bien dans l'ambiance.

Guy M. a dit…

Je ne crois pas que Serrano, qui s'est dit surpris de l'événement, ait envisagé cet avenir pour son œuvre.

Mais il a été question de continuer à l'exposer en l'état... Ce sera une œuvre inédite, à dater New York(?) 1987 - Avignon 2011.

Suzanne a dit…

La Vierge qui fait des miracles aurait du punir cet artistenekenn piss (Serrano) en lui filant la gravelle. Comme elle ne l'a pas fait, c'est la preuve éclatante que Dieu n'existe pas. Ou alors qu'il s'en fout.
ça me tue, comme vous parlez avec respect de l'artiste, de son oeuvre, devant des trucs comme ça. Oui, les intégristes montrent leur connerie, comme ceux qui veulent brûler un Coran, une Bible, pisser sur une mosquée ou dans un bénitier. Et s'ils avaient dit avant qu'ils réalisaient une "performance artistique" et s'étaient munis de bombes de peinture multicolores (ou de pistolets à eau remplis de décoction chiasseuse) pour tagger l'affiche en question, en la renommant: "Palimpseste de l'agneau de Dieu", vous auriez embrayé sur les chatoyantes couleurs, la hardiesse de la démarche, le sens de l'art dans la cité, etc ?

Dorham a dit…

"Je ne crois pas que Serrano, qui s'est dit surpris de l'événement, ait envisagé cet avenir pour son œuvre.

Mais il a été question de continuer à l'exposer en l'état... Ce sera une œuvre inédite, à dater New York(?) 1987 - Avignon 2011."

Tu m'étonnes... Pour tout retour sur investissement concernant vos toiles et clichés de mauvaise qualité, contactez la Fraternité Saint Pie X. Frais non remboursés. Rendement garanti !*

* Offre dans la limite des fidèles disponibles.

Didier Goux a dit…

Mais enfin, Suzanne et Dorham, qu'est-ce que vous fichez à traîner chez ce pontifiant crétin ? C'est mon boulot, je vous rappelle, de dénicher les gauchistes-qui-font-rire !

Que cela ne se reproduise pas…

Guy M. a dit…

Suzanne, Dorham, votre visite m'honore et vos commentaires sont probablement très fins ou très profonds.

J'aurais volontiers tenté d'y répondre, et de la manière la plus pontificale possible.

Mais votre ami, celui qui vient d'entrer sans saluer, semble bien fâché de vous voir ici.

Moi, je vais prendre l'apéro.

(Cela, au moins, il pourra le comprendre.)