samedi 2 avril 2011

La bibliothèque idéale (1)

La bibliothèque idéale, souvent évoquée par Jacques Roubaud dans ses écrits, serait organisée selon le principe du "bon voisinage". Allant chercher un volume en rayon, vous devriez immanquablement trouver dans son voisinage le livre dont vous avez réellement besoin, et auquel vous n'aviez pas songé.

Ce système de classement a été imaginé, pour son usage personnel mais non exclusif, par Aby Warburg, dans la bibliothèque qu'il avait rassemblée à Hambourg.

En 1933, les 80 000 volumes ont trouvé refuge à Londres, où la bibliothèque de Warburg est devenue la Warburg Library que nombre de chercheurs ont fréquentée, et fréquentent encore, avec profit.

On doit à son existence une grande part des plaisirs de lecture que sont les ouvrages de Frances Yates, Ernst Gombrich ou Michael Baxandall...


L'immeuble très londonien qui abrite la bibliothèque de Warburg.

Longtemps, Aby Warburg (1866-1929) est resté méconnu par chez nous. On l'avait peut-être un peu rapidement relégué dans les environs poussiéreux de l'histoire de l'art, ou encore de l'histoire des idées, largement discréditée auprès des jeunes loups de la pensée française. On peut désormais trouver des traductions de ses études, et les travaux de Georges Didi-Hubermann ont contribué à nous le faire mieux connaître - voir L’Image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg (Minuit, 2002).

Né à Hambourg dans une famille de banquiers juifs, Aby Warburg ne montra guère d'intérêt pour le monde de la finance. On dit qu'à peine adolescent, il conclut avec son frère un accord : il lui abandonnait la banque, à condition de recevoir les moyens de faire ses recherches et de constituer sa bibliothèque. S'il devint, après ses études à l'université de Bonn, un spécialiste reconnu de l'art de la Renaissance, son approche s'enrichit du voisinage de ses intérêts intellectuels multiples. En 1895, il publie une analyse très minu­tieuse d'une suite d'intermèdes maniéristes montés à cour des Médicis, en 1589, et il s'embarque pour l'Amérique du Nord où son voyage devait le conduire chez les indiens hopis. Il y assistera, notamment, aux cérémonies du "rituel du serpent", qu'il photographiera et sur lesquelles il reviendra plus tard.

Aby Warburg en plein exotisme, mais pas si loin de Florence.

Au sortir de la guerre, en 1918, angoisses, obsessions, délires s'emparent de l'esprit d'Aby Warburg. Il sera interné pendant trois ans, pour "psychose aiguë", dans une clinique de Hambourg, avant de partir pour la Suisse, à Kreuzlingen, où il sera soigné par un disciple de Sigmund Freud, le docteur Ludwig Binswanger.

Son état s'améliore, mais Warburg peine à retrouver la concentration nécessaire à la reprise de ses recherches.

En 1923, il fait cette folle proposition à Binswanger, qui l'accepte : s'il arrive à produire un travail reconnu scientifiquement convenable, il aura l'autorisation de quitter la clinique.

Guéri.

Le 21 avril 1923, devant l'équipe médicale et bon nombre de patients, Aby Warburg expose son étude du rituel du serpent.

Il peut alors repartir vers sa bibliothèque, à Hambourg.


La suite demain...


Voisinage bibliographique :

On doit pouvoir encore trouver Le rituel du serpent. Récit d'un voyage en pays pueblo, paru en 2003 aux éditions Macula.

Et dans quelques jours, devrait paraître, en collection de poche, La guérison infinie, de Ludwig Binswanger et Aby Warburg (Rivages poche, 2011), qui contient, dixit l'éditeur, "le dossier clinique rédigé par Binswanger, les lettres et les fragments autobiographiques de Warburg, ainsi que la correspondance des deux hommes".

2 commentaires:

iGor a dit…

Ce système de classement est proprement fascinant. Une bibliothèque pour se perdre, c'est attirant! Il y a toujours un voisinage au voisinage. Je cherche un livre qui est proche d'un livre qui est proche d'un livre qui...

Il avait une idée du / de la bibliothécaire idéal(e) ce merveilleux Aby?

Et sortir de clinique par un "travail scientifiquement convenable" sur le rituel du serpent... Je me demande ce qu'en aurait pensé Antonin...

Guy M. a dit…

Je crois qu'au départ il était le propre bibliothécaire de sa bibliothèque en mouvement.

Arthaud et Warburg ? A voir... Ils ont été voisins devant les rituels indiens, et surtout sur cette frontière si mal définie entre raison et déraison.