lundi 4 octobre 2010

Recette de soupe populiste

Monsieur Moi-j'dis-c'que-j'pense et madame, née Tiens-qu'on-va-s'gêner, ont du ressentir un émoi quasi orgasmique en découvrant la couverture du Point de la semaine dernière. Outre 43 pages "Spécial Placements", un entretien inédit avec Claude Lévi-Strauss, une célébration de l'amour par monsieur Luc Ferry et des révélations sur la sortie du bois de monsieur François Fillon, la Une promettait, de manière implicite certes, mais on sait lire, de tout nous dire sur "CE QU'ON N'OSE PAS DIRE", notamment sur "Immigration, Roms, allocations, mensonges..."

Putassier, certes, mais bien mis en page.

On sait que les vaillants rédacteurs du Point ont rempli ce programme avec une conscience professionnelle digne d'éloges, allant même jusqu'à fournir, sans doute à titre d'exemple pour la rubrique "mensonges", un reportage entièrement fictif sur la polygamie.

Quelques naïfs demanderont pourquoi un journaliste qui "travaille depuis vingt ans dans les cités" a besoin d'un "fixeur" pour enquêter sur ces pratiques qui y seraient si répandues... Je ne saurai leur répondre. Toujours est-il que monsieur Jean-Michel Décugis a fait appel pour son papier aux services du subtil Abdel, qui lui aurait été recommandé par madame Sonia Imloul, auteure, en 2009, d'un rapport sur la polygamie pour l'Institut Montaigne. On voit que, comme tout bon rabatteur, un "fixeur" a besoin d'un pedigree. Et Abdel n'a pas déçu: on lui demandait de la polygamie, il a servi de la polygamie. Et avec tous les assaisonnements souhaités.

Le grand reporter ayant accepté le principe d'un entretien par téléphone, Abdel s'est tout simplement mué en madame Bintou, Malienne de 32 ans, troisième épouse d'un Français d'origine malienne, et a répondu aux questions de monsieur Décugis de manière très convaincante. Son numéro d'imitateur, voix, accent, vocabulaire, syntaxe, était bien au point, on peut le vérifier: Abdel le subtil a filmé son coup de téléphone. Comme c'était à s'y méprendre, notre journaliste s'est mépris. En rédigeant son papier, il s'est cru tenu de rajouter une louche de réalisme convenu, en décrivant l'appartement, un "F4, au troisième étage", où "s'entassent une douzaine d'enfants", ainsi que son interlocutrice, madame Bintou, "une jeune femme au joli visage légèrement scarifié de chaque côté des yeux".

Putassier, mais quelle mise en page !

Daniel Schneidermann, qui ne s'est pas contenté d'avoir Abdel au téléphone, a posté, en libre accès pour le moment, un bel hommage à cet astucieux jeune homme. Il se termine par ces mots:

Osons le mot. Le gamin qui a déboulé hier matin, intègre et joyeux, pour nous raconter le bidonnage du Point, est un résistant d'aujourd'hui. Monté des profondeurs. Mû par quelque chose d'invincible. Je suis fier de l'avoir rencontré.

Excessif ?

Peut-être pas tant que cela.

Mais, de toute façon, en totale contradiction avec l'appréciation de monsieur Jean-Michel Décugis, qui, émergeant de la farine où il s'est fait rouler, affirme:

Mais je ne crois pas que ce soit un geste politique, son discours n'est pas très construit. Je pense que c'est un pied-de-nez, il s'est vengé des journalistes. Bon, je ne sais pas. Je ne suis peut-être pas très objectif.

On lui accordera le droit de manquer d'objectivité avant d'aller se mettre au vert...

Mais pas du côté des Bosquets à Montfermeil.

La rédaction du Point, dans les explications qu'elle sert à ses lecteurs "premières victimes de ce coup monté", aimerait se présenter comme "piégée" par une "manipulation", et promet "d'enquêter sur les raisons de cette manipulation et de mettre à jour les intérêts qu'elle sert".

Si cette enquête est menée avec les mêmes méthodes que les reportages de l'hebdomadaire, on voit à peu près ce que cela peut donner.

Monsieur Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point, garde apparemment le moral. Il se risque même à faire, si je ne m'abuse, de l'humour:

"Ça montre aussi à quel point notre métier est difficile."

Je ne sais pourquoi cela m'a rappelé une prestation assez nullissime de notre "Américain d'Elbeuf" face à monsieur Jean-Marie Le Pen...

Les associations d'idées sont parfois aussi fantasques de les "fixeurs".

L'émission L'heure de vérité recevait, le 16 octobre 1985, le vieux renard des déserts de Saint-Cloud, et monsieur Giesbert était chargé de l'interroger pendant un quart d'heure. Pour ce faire, il s'était composé, et affichait, une dégaine d'ado de mauvais poil que l'on vient d'extraire du canapé où il entendait bien se dissoudre. La moue entre bouderie et mépris, la mèche prête à recouvrir les yeux et le ton hésitant entre agressivité et manque de conviction... Évidemment, monsieur Le Pen était ravi de le voir débarquer. FOG ayant déjà la détestable habitude de s'écouter parler, ses questions étaient longues et circonstanciées, ce qui permit au vieux bateleur d'utiliser à plein régime ses techniques d'occupation du terrain, interruptions, ricanement, grosses blagues et formules à l'emporte-pièce. Vers la fin du mauvais quart d'heure passé par notre éminent journaliste (alors au Nouvel Observateur), monsieur Le Pen était assez sûr de ses effets pour pouvoir travailler avec accessoires de bonimenteur: une liasse de télégrammes reçus dans la journée qu'il brandit, triomphant, au nez dépité du maussade FOG. Celui-ci lança alors qu'il n'était pas là pour lui servir la soupe, permettant ainsi au vieux lion de conclure avec des rugissements faussement offensés et vraiment victorieux...

(Ce quart d'heure est visible en deux parties sur le site de l'Ina - Partie I, Partie II.)

Monsieur Giesbert en train de se faire "piéger".

Un quart de siècle plus tard, monsieur Franz-Olivier Giesbert, à la tête de son hebdomadaire, nous sert généreusement une soupe populiste qui a un curieux arrière goût.


PS: Je suis officiellement chargé par l'amicale des blogueurs de Trifouillis-en-Normandie, la Réblouguique des Ploucs, d'informer ces messieudames de la presse que nous nous tenons à leur disposition pour toute enquête approfondie sur les pratiques polygames en milieu rural. Nous disposons de témoignages sûrs et vérifiables sur toutes les formes de polygamie, qu'elle soit alternative, séquentielle ou simultanée. Par ailleurs, bien que nous ne disposions pas d'enquêtes sociologiques étudiant le lien de ce fléau de nos campagnes avec les difficultés scolaires, la délinquance ou les violences à la sortie des bals, ce que nous regrettons, nous pouvons communiquer la récente étude menée par l'un d'entre nous, éminent cul-terreux culturaliste, mettant en évidence une très forte corrélation entre les formes précitées de polygamie et la culture de la betterave sucrière. Au cas où...

5 commentaires:

GdeC a dit…

bravo ! Bravo ! bis répétita ! j'adore !!!

Guy M. a dit…

N'hésite pas à en reprendre une assiette...

Floréal a dit…

Question lien avec "les difficultés scolaires, la délinquance ou les violences":
http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=559
Ni "daubé", ni bidonné.
Evidemment, l'échantillonage ne sort pas des campagnes du bas-Berry (pardon: "de basse-Normandie") où les culs-terreux ont vu dans leur vie plus de betteraves que d'immigrés...

Guy M. a dit…

Ah ! l'indispensable Hugues Lagrange...

Attendons de l'avoir lu, voulez-vous ?

(Quant à ses échantillonnages, il semble qu'ils posent problème, justement.)

Floréal a dit…

Vous préférez Laurent Mucchielli, j'imagine (je ne dis pas non plus qu'il ait tort)...

Mais dites-moi, vous qui etes spécialiste de la sociologie en basse-Normandie, quelle est la condition féminine dans le cadre de la polygamie en milieu rural (betteraves à part)? Sont-elles (les femmes) benoitement satisfaites de leur situation ou ont-elles des objections? Leur avis est-il pris en considération par les cultivateurs de betteraves?